30 Avril 2018

prohibition

Publié le 02/03/2018 • Mis à jour: 14/03, 30/04 et 17/06/2018

En juillet 2017, le ministre de l’Intérieur entendu par la commission des Lois fait le constat d’une répression de l’usage de drogues inefficace, sans effet dissuasif, et néanmoins très chronophage pour les forces de l’ordre (1.2 millions d’heures en 2016) L’idée est donc de mettre en place une procédure simplifiée en forfaitisant cette infraction, et de l’inclure dans la future loi de réforme de la procédure pénale.
La réflexion menée dans le cadre des Chantiers de la Justice faisaient pourtant état d’une réserve sans ambiguïté quant à l’application d’une amende forfaitaire à l’usage de drogues, ce délit devant relever d’une politique judiciaire conjointe avec la santé publique.

Tous les chiffres et indicateurs sont éloquents : les interpellations pour usage ne cessent d’augmenter et ce, trois fois plus que celles pour trafic.
- Usage de drogues : 63,7 % en 2012 - 68,1 % des ILS* en 2016
- Trafic : 7,1 % en 2012 - 3,2 % des ILS en 2016
La France est pourtant le pays le plus répressif, et aussi le plus gourmand d’Europe en stupéfiants, notamment cannabis, opiacés, cocaïne et MDMA.

Pour la dépénalisation de l’usage des drogues

La répression est sans effet sur l’usage de drogues, très peu compatible avec la prévention, l’action publique est en échec flagrant depuis la loi de prohibition de 1970, mais le gouvernement a décidé de persévérer dans une logique punitive.

Une mission d’information relative à l’application d’une procédure d’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants a donc été créée pour évaluer ce dispositif, et alimenter sa réflexion de multiples auditions, experts et parties prenantes dans le débat (police, gendarmerie, justice, etc.) parmi lesquels les représentants de ce qui est relatif aux dispositifs sanitaires et sociaux, toxicomanies et addictions, prévention et réduction des risques, et les usagers de drogues, sont sous-représentés.
Table ronde Fédération Addiction, CNDCH, et associations d'usagers et de réduction des risques

En préambule du rapport et après avoir indiqué que la loi de 1970 n’avait atteint ses objectifs ni en terme de santé publique, ni dans le registre de la répression, figure l’avertissement suivant :

« Cette mission n’a pas pour objet de réfléchir à la lutte contre la toxicomanie ou à la réforme de la loi du 31 décembre 1970... »

Ça peut sembler paradoxal et cynique, mais au moins c’est clair.
 

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Amende forfaitaire : contravention ou délit ?


Les deux rapporteurs de cette mission se distinguent sur le genre de forfaitisation à mettre en place.

• L’un (Robin Reda, LR) préconise une contravention de 4è ou 5è classe (aux modalités et incidences judiciaires pourtant très différentes) et, si normalement celle-ci éteint l’action pénale, la police pourra toutefois user de solutions alternatives, ou simplement établir une procédure de détention de stupéfiants plutôt que d’usage. Les deux infractions étant concrètement indissociables, bien que figurant pour l’une dans le code pénal, et l’autre dans le code de la santé publique.
Aucune quantité n’étant fixée par la loi, le délit de détention peut s’appliquer à tout usager.

• L’autre rapporteur (Éric Poulliat, LREM) plaide pour une amende forfaitaire délictuelle, celle qui a la faveur du gouvernement. Cette amende d’un nouveau genre, initialement créée en 2016 pour être appliquée à deux délits routiers, est restée en suspens, encore inopérante d’un point de vue technique, logistique et juridique.
Malgré cela, c’est l’option retenue en matière d’usage de drogues, infraction pour laquelle, en plus, des dispositions spécifiques annexes seraient nécessaires.
L’amende forfaitaire délictuelle sanctionne un délit via l’agent verbalisateur, elle s’inscrit dans le TAJ* et, de caractère optionnel, elle permet de conserver les possibilités de coercition et d’enquête propres à cette catégorie d'infractions.

La forfaitisation de l’infraction d’usage de drogues n’est qu’une réponse pénale de plus, qui s’ajoute à celles prévues par la loi, mais qui va permettre une répression accrue et systématisée.
(la DACG* prévoit déjà que ce dispositif entraînera une augmentation des interpellations)
 

L'option de l’amende forfaitaire délictuelle est retenue

(mise à jour 14 mars 2018)

Projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022

Au chapitre Dispositions clarifiant et étendant la procédure de l’amende forfaitaire, il est indiqué (pages 40-41) que c’est l’amende forfaitaire délictuelle qui sera donc appliquée, et que l’article L. 3421-1 du code de la santé publique sera modifié par le rajout de l’alinéa suivant :

« Pour le délit prévu au premier alinéa, y compris en cas de récidive, l’action publique peut être éteinte, dans les conditions prévues aux articles 495-17 et suivants du code de procédure pénale, par le versement d’une amende forfaitaire d’un montant de 300 €. Le montant de l’amende forfaitaire minorée est de 250 € et le montant de l’amende forfaitaire majorée de 600 €. »

Le rapport de la mission d'information avait préconisé une amende d'un montant moindre, compris entre 150 et 200 euros, notamment en raison de l'insolvabilité des usagers.


Sur le terrain, que fait la police ?


Le dispositif de l‘amende forfaitaire délègue donc la réponse pénale à l’infraction d’usage de drogues aux forces de l’ordre, plus que jamais en première ligne de la politique publique des drogues.
 

Pragmatique ?

Il conviendra d’équiper les patrouilles de smartphones et tablettes NEO pour un accès direct au TAJ (les antécédents judiciaires étant incompatibles avec l’amende forfaitaire) et de quoi éventuellement percevoir l’amende sur le lieu de l’infraction. Mais aussi de kits de détection, de balances de précision, d’un matériel avec scellés dédié aux saisies, afin de s’assurer et garantir la validité de la procédure - aussi indispensable en cas de contestation de l’amende, recours dont le traitement fait déjà partie des prévisions négatives de ce dispositif.

Les représentants des forces de l’ordre ont émis une réserve quant au fait que l’amende immédiate prive de la possibilité de relevé d’empreintes des usagers de drogue interpellés pour alimenter le FAED*. Qu’à cela ne tienne, il leur sera remis une convocation à se rendre au commissariat dans les 48 heures.
 

Simplification ?

• Les mineurs sont exclus de l’application de l’amende forfaitaire.
Leur cas sera examiné par une mission d’information ultérieure qui déterminera quel genre d’interdit pénal peut être approprié aux plus jeunes consommateurs de drogues.
(En 20 ans, le nombre de mineurs mis en cause pour ILS a été multiplié par 4 (x2 pour les majeurs). Dans le même laps de temps, les condamnations pour ILS des moins de 18 ans sont multipliées par six )

• Les usagers de drogues ayant des antécédents judiciaires sont exclus eux aussi. À ces cas, la procédure de droit commun (garde à vue, etc) s’applique.

• Pas d'amende forfaitaire non plus en cas de simultanéité d'infractions.
 

Logique et responsable ?

• Exclus aussi du dispositif, les usagers de drogue problématiques.

Il reviendra au procureur de définir ce qu’est un "usager problématique" !

« il appartiendra aux parquets (via une circulaire générale du garde des sceaux), maîtres de l’opportunité des poursuites, de préciser dans le cadre de leurs instructions le "profil" des personnes susceptibles de ne pas se voir infliger l’amende forfaitaire. »

Et il incombera aux policiers et gendarmes de les identifier selon les instructions du Parquet, et d’appliquer la procédure habituelle.
Ce qui relève de la situation sanitaire et sociale de l’usager de drogues, d’une conduite à risque qui pourrait faire l’objet d’une mesure spécifique, devra donc être évalué sur la voie publique dans le temps de l’interpellation... par des fonctionnaires qui n'ont absolument pas la compétence pour ce type de "diagnostic".

Autant dire qu’il s’agit là d’une porte grande ouverte à la confusion, l’approximation, l’erreur de discernement, voire à l’arbitraire.

• Le rapport de la mission parlementaire préconisait la non application de l’amende en cas de récidive. Il notait à cet égard que « les règles classiques en matière de récidive sont manifestement inadaptées à l’infraction d’usage de stupéfiants qui, dans l’immense majorité des cas, vise un comportement par nature addictif et répétitif. » et préconisait donc un régime particulier en matière de récidive.

La mission d'information établit un lien sensé entre les notions de récidive d'usage de drogues et de santé. Mais il n’en sera pas tenu compte : les usagers de drogue en récidive seront passibles d'amende (mise à jour 14/03/2018).
Et peu importe si la récidive cache une conduite à risque réitérée à l’excès, ou une toxicomanie. Peu importe aussi que l’amende exclut de fait l'hypothèse de mesures sanitaires.


Conséquences et incohérences


À la lecture de ce rapport préalable au projet de loi, on se rend compte qu’au fur et à mesure que les modalités de ce nouveau dispositif sont décrites et discutées, autant de contraintes, de complications et de contradictions s’y ajoutent quand il s’agit de réprimer le simple usage de drogues.
Et à entendre les divers débats et tables rondes de cette mission d’information, même les deux parlementaires émettent des réserves, et semblent parfois douter de la validité de cette mesure…

Ce dispositif d’amende forfaitaire délictuelle n’a encore jamais fait ses preuves ni même été appliqué.
Le gain de temps pour la police et la justice, argument initial pour sa mise en place, est non seulement difficile à évaluer, mais vu les exceptions à cette nouvelle règle, et vu le nombre de recours qui s’annonce massif, il sera probablement dérisoire.

Cette forfaitisation devait donc, selon le rapport parlementaire, être expérimentée sur un temps limité à une échelle locale. Le projet de loi rectifie le tir : « Ces dispositions seront applicables sans adaptation sur l’ensemble du territoire national. » (mise à jour 30/04/2018)

L’amende forfaitaire est la solution retenue car elle permettrait d’harmoniser la réponse pénale jugée illisible et disparate d’un parquet à l’autre.
Or, l’individualisation de cette réponse est pourtant indispensable s’agissant d’une conduite individuelle à risque pouvant avoir une incidence sur la santé. C’est en tout cas ainsi - aussi incohérente et inefficace soit-elle - que la loi considère l’usage de drogue, infraction figurant dans le code de la santé publique.

Ce dispositif exclut donc de fait d’assortir une mesure sanitaire à la répression pénale.

Il est toutefois prévu la mention d'une adresse de structure prenant en charge les toxicomanies et addictions au verso de l’avis de contravention.
Ouf. L’esprit de la loi de 1970 est donc sauvé...
 

Il s’agit d’une sanction discriminante à plusieurs titres.

• Cette procédure simplifiée s’appliquera sans surprise à une population bien spécifique : celle des quartiers populaires, jeune, la moins solvable, et surtout la plus vulnérable d’un point de vue sanitaire et social.
Les chiffres indiquent pourtant que les classes moyennes consomment davantage que les plus précaires. Et aussi que toutes les tranches d’âge sont concernées par l’usage de drogues.

Alors est-ce véritablement l’usage de drogues qui pose problème ?

La répression s’applique-t-elle à une conduite individuelle à risques, ou plus confusément, à un comportement ou à des individus ?

Le ministre de l’Intérieur donne une réponse sans ambiguïté à cette question.


Tout ça pour ça…


Après que le rapport de la mission d’information parlementaire lui ait été remis, le ministre n’évoquait plus que le cannabis (Europe1 le 25 janvier 2018) Dans ce document, et de façon récurrente, les deux députés insistent pourtant sur le principe, important selon eux, de ne pas faire de distinction entre les stupéfiants, ce qui avait mis tout le monde d’accord.

« (les rapporteurs) considèrent, en outre, que cette procédure d’amende forfaitaire doit concerner tous les stupéfiants sans distinction juridique ou de politique pénale selon le type de substance en cause. En effet, l’évolution de la composition des différents stupéfiants, l’apparition de « nouveaux produits de synthèse » (NPS) et le développement de la poly-consommation font que la distinction entre « drogues douces » et « drogues dures » n’est plus pertinente aujourd’hui. Par ailleurs, cette distinction pourrait accroître le sentiment de « banalisation » du cannabis dans l’opinion alors que sa consommation atteint un niveau préoccupant en France, notamment parmi les jeunes, et que sa composition en THC a beaucoup évolué ces dernières années. »

Personne ne parle plus de stupéfiants ni ne s’interroge de la subtilisation de ce mot dans le discours. C’est le cannabis, on le comprend bien, qui fera recette. Le cannabis et ses consommateurs, nombreux, visibles, et qu'on sait où trouver...
La communication gouvernementale est néanmoins défaillante sur ce point à force de ne pas employer les mêmes mots que la loi, et du même coup, fait perdurer le mythe de la drogue dure et de la drogue douce, au mépris de la réalité des usages de drogues.

Mais surtout, on apprend (BFM le 9 février 2018) que la procédure d'amende pour usage de "cannabis" fera partie d’un ensemble de forfaitisations de petits délits, manière de taper tout de suite au porte-monnaie pour travailler à la reconquête républicaine de certains quartiers, charge à la nouvelle police de sécurité du quotidien d’encaisser le jackpot contraventionnel, de préférence sur place et sans délai.

L’usage de drogues se trouve purement et simplement classé dans la catégorie des incivilités et ne serait in fine qu’un problème d’ordre public.

En 1970 la loi s’était fixé, en théorie, de sanctionner pénalement les seuls usagers se soustrayant aux soins. Avec le temps, le prétexte sanitaire de la répression est apparu de moins en moins évident, avec l'amende forfaitaire il est purement et simplement dissocié de l’usage de drogues.

Quant à la "police de sécurité du quotidien", on va se dépêcher d’oublier qu’elle aurait pu être le vecteur d’un apaisement et d’un rapprochement avec la population, notamment celle avec qui elle partage crainte et inimitié. Oubliée aussi, la prévention, celle qui fait partie des missions de police un peu trop négligées, qui ne connaît pas la politique du chiffre mais donne du sens au principe de service public.

Le ministre de l’Intérieur, parangon de la révolution numérique pour une police du XXIème siècle, fera de ces îlotiers équipés pour une optimisation du rendement, les artisans d’une police sans âme, et d’impopulaires collecteurs de taxes pour un État proxénète irresponsable.


Moralité de l’histoire : un rendez-vous manqué avec la raison


Avec cette grosse usine à gaz de forfaitisation, une fois de plus, la question impérative sur la politique des drogues et de santé publique est contournée.
La prohibition et la répression restent le principe, sourd à tous les signaux d’alarme qui s’allument les uns après les autres.

Le constat de l’inutilité de la répression de l’usage de drogues est unanime.
Les pays qui y ont renoncé en tout ou partie, n’ont pu qu’observer des résultats positifs, tant en matière de santé publique, de réduction des risques, et de sécurité.

En juin 2017, l’OMS et l’ONU dans un communiqué conjoint appellent à "Réviser et abroger les lois punitives qui se sont avérées avoir des incidences négatives sur la santé et qui vont à l’encontre des données probantes établies en santé publique (s’agissant de) consommation de drogues ou leur possession en vue d’un usage personnel".

La prohibition génère une insécurité incontrôlable liée au trafic, notamment celui du cannabis qui représente un important marché, à la mesure du nombre de consommateurs.
Le trafic n’a que faire de l'interpellation et la répression des usagers ou de la forfaitisation, les prix sont stables, signe qu’il se porte bien, et à force de réactivité et d’adaptation, il a souvent une longueur d’avance sur l’action policière.
La régulation du marché du cannabis est une question qui ne pourra d’ailleurs pas être évitée ad vitam æternam.
 

Il y a urgence à changer de politique


L’information et la prévention sont inaudibles, et quasiment clandestines, l’usager-délinquant privilégiant la discrétion à la réduction des risques.

L’interdit participe largement au problème de santé publique. De nouveaux produits apparaissent régulièrement, la cocaïne est de plus en plus pure, la festive MDMA s'invite dans les Samu, le taux de THC du cannabis de rue est élevé, le Fentanyl - qui a fait baisser l’espérance de vie aux USA, depuis deux ans, à coups d’overdoses est désormais un produit de coupe de l’héroïne en France. Etc.

Informer sans tabou, prévenir et soigner sont les seules options d’intérêt général. La dissuasion ne passe pas par la répression. Les mineurs n'ont que faire des interdits, bien au contraire. Et l’usage de drogues ne peut raisonnablement pas être résumé à un trouble à l’ordre public, et n’avoir qu’une approche sécuritaire après bientôt 50 ans de prohibition en échec.

Si le travail de la police et la justice doit être concentré sur le trafic - un autre prétexte sibyllin de la forfaitisation - qu’à l’instar du Portugal, les usagers interpellés avec une quantité de drogue limitée à une consommation personnelle, soient dirigés, via une procédure administrative, vers une commission qui se chargera d’évaluer leur situation sanitaire et sociale, et décider de la suite à donner.

Et que l’usage de drogues soit purement et simplement dépénalisé
Sans demi-mesure répressive.


sources :

 

ILS : Infraction à la Législation sur les Stupéfiants
TAJ : Traitement des Antécédents Judiciaires
DACG : Direction des Affaires Criminelles et des Grâces
FAED : Fichier Automatisé des Empreintes Digitales

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Bénédicte Desforges, ex lieutenant de police

#drogues & législation, #politique du chiffre

29 Décembre 2017

Acte 1


• Le décor : l’hôpital Saint-Jacques de Rézé (44) qui comprend entre autres services, ceux de psychiatrie et d’addictologie.

• Le scénario :
- Septembre : un trafic a lieu au sein de l’hôpital, d’après le personnel soignant il s’agit essentiellement de cannabis mais aussi de Subutex (traitement de substitution aux opiacés)... prescrit en addictologie soit dit en passant.

- Novembre : une agression à l’arme blanche est commise par un patient sur un autre malade, rien ne la relie toutefois au trafic dénoncé. L’auteur et la victime quittent le service de psychiatrie, l’un pour la garde à vue, l’autre la réanimation.

- La direction de l’hôpital souhaiterait l'aide de la police pour régler cette affaire de trafic. La police n’est pas favorable à intervenir dans l’enceinte de l’hôpital (les interventions dans certains établissements sont soumises à des règles très strictes). Le directeur départemental de la sécurité publique indique que les patrouilles sont renforcées dans le secteur mais que la police ne peut pas se substituer à la sécurité interne de l’hôpital.
"Cela fait des années que cela dure et tout le monde se renvoie la balle" s’énerve le délégué CFDT du CHU de Nantes.

- Finalement, sur réquisition de la direction du CHU et du procureur de la République la police mène une "opération de sécurisation et de recherche de stupéfiants" le 21 décembre.

- Bilan : 7 grammes de shit et un tweet pour le moins surréaliste.

Dans un premier temps, je me suis dit qu’il fallait interner les flics dans les lieux mêmes de leur intervention et mettre le rédacteur du tweet dans une chemise qui s’attache dans le dos avec les manches.
Parce que claironner qu’on a débarqué à 24 flicards et deux chiens stups, qu’on a trouvé une boulette de 7g de shit dans la piaule d’un malade, et que tout ça résulte d'une belle collaboration avec le CHU, il faut quand même le faire.

Ceci dit, tout est possible, mais bon, on aime croire que non.
Et il y a le petit clébard qui m’a mis la puce à l’oreille. Ce petit chien-là :

Un vrai foutage de gueule ce petit chien stups. Le truc de trop. Comme le reste ?
Hypothèse... N’y a-t-il pas une lecture subliminale à faire de ce tweet, un autre sens à lire entre les lignes ? jusqu’à cette "belle collaboration" ?

Après avoir longtemps insisté pour avoir le concours de la police, le CHU a obtenu gain de cause (réquisition de la direction du CHU et du proc) et l’opération a eu lieu. Et elle n’est donc pas de l’initiative de la police. Ça n’a rien donné (sans vouloir froisser les prohibitionnistes, on va dire que 7g de shit c’est rien). Peut-être que les uns et surtout les autres s’attendaient à une saisie significative. Saisie qui aurait permis au CHU de justifier ses sollicitations d'intervention, et peut-être s'assurer d'un dispositif pour la suite. Parce qu’à présent, ça va être un peu plus compliqué de faire tenir la thèse d’un grand marché de la drogue qui ne peut pas être réglé par les effectifs de la sécurité de l’hôpital, et mobiliser la police suite à ce fiasco.

Mon hypothèse est donc que cette communication désastreuse repose sur un tweet volontairement outrancier et cynique, et que les flics ont été les premiers à se dire Tout ça pour ça, une saisie de 7 grammes de shit, la consommation personnelle d’un seul et unique patient, c'est tout de même minable... Et qu’ils se font un petit plaisir, certes ambigu, de tacler le CHU de Nantes qui souhaitait cette "belle collaboration", qui est passé en force avec le procureur de la République, et à qui s'adresse le tweet.
Va savoir…

Je ne sais même pas si on peut mettre cette affaire dans la liste des échecs de la guerre à la drogue, parce que pour ça encore faut-il qu’il y ait de la drogue...

Mais c’est toutefois une démonstration supplémentaire indiquant qu’il y a urgence à revoir la loi de 1970 qui réprime l’usage de drogues, et accessoirement considérer les vertus thérapeutiques du cannabis, déjà en pharmacie dans plusieurs pays.
Quelques explications là : La dépénalisation pour les nuls
 

Acte 2


• Le décor : Les réseaux sociaux.

• Le scenario :
- Le tweet est lu et pas approuvé du tout. Ça se passe dans un hôpital, il y a des chiens dans les chambres des malades, effectivement c’est brutal. La disproportion entre moyens mis en œuvre et résultat choque, et il y a de quoi.
Tout le monde s’énerve, et il se passe de façon très prévisible ce qui constitue l’essentiel des échanges sur les réseaux sociaux : insultes et invectives.

- Mathieu Kassovitz n’est pas le seul, loin de là, mais il se distingue parce qu’il est Mathieu Kassovitz.

Mathieu Kassovitz n’aime pas les flics et les flics n’aiment pas Mathieu Kassovitz.
Je ne connais pas l'origine de ce désamour, et je dois reconnaître que ça m'indiffère complètement.

- Et voilà que la tragédie prend de l’ampleur.
Sur les réseaux sociaux, on passe vite à autre chose, l’essentiel est de pouvoir gueuler en utilisant le minimum de matière grise disponible.
On ne parle plus que de ça, et plus du tout des tenants et aboutissants de cette opération anti-drogue. Et encore moins des incohérences de la législation.

Non non, le sujet est Mathieu Kassovitz, ses tweets, et les plaintes qui ont été déposées contre lui. Et vas-y que ça disserte sur la définition de l’outrage, l’insulte, l’injure, l’écrit répréhensible, etc. Tout le monde y va de sa petite contribution.
L’idiot regarde le doigt quand on lui montre la lune ?

Les réseaux sociaux sont un immense cloaque, un magma numérique puant, un brouhaha dégueulasse. Quand il en émerge une initiative, un mouvement collectif, quand ça fédère autre chose que la haine, que ça n’appelle pas au lynchage numérique pour un oui pour un non, ça tient du miracle.

Je n’aime pas la plupart des pages et groupes de flics. Ces espaces clones qui empilent les faits divers crasseux et ne parlent jamais de ce qui est utile ou positif, qui accueillent sans scrupules toutes les déclinaisons de la détestation, à croire que c’est fait pour. Ça se plaint d’avoir un devoir de réserve, et ça n’en a aucune quand il s’agit de s’exprimer sur un réseau social. Au mépris de l’image d’une profession qui n’a de cesse de se plaindre d’un manque de considération à son égard, c'est paradoxal. On dira que c’est l’expression de l’opinion, que c’est une "liberté", soit. Gaffe quand même, les mots ont un sens.
Jusqu’ici tout va bien. Mais l'important n'est pas la chute, c'est l'atterrissage.

Voilà plus de 48 heures que Mathieu Kassovitz s’en prend plein la gueule, en flux continu sur le réseau social flic dans son ensemble, au point que son "Bande de batards" peut être relégué au rang du piaillement inaudible et insignifiant.
Après l’inévitable bobo-gaucho-collabo-toxico, tout y passe. Les insultes, raclure, fils de pute, sac à merde sans couilles, enculé, mérite une balle dans la tête, suceur de racailles, aussi pourri que X le bougnoule, les menaces, on sait où t’habites, ne pas se presser pour intervenir chez lui au cas où, sur son physique, gueule de camé, tête de fion, son métier, cinéaste raté, ses origines juives, etc. Par centaines...
Le tout étant tout ce qu’il y a de plus public et accessible.

C’est tout de même surprenant de reprocher les écarts langagiers d’autrui quand on fait ou laisse faire dix fois pire, cent fois plus ordurier, non ?

Ce qui est plus ennuyeux, c’est que ces espaces en free-style constituent pour quiconque, curieux ou intéressé, un accès direct aux échanges avec des fonctionnaires de police, et qu’on a vite fait de penser qu’ils y sont représentatifs. Que la police peut se résumer à ces grotesques cohortes d’anonymes pseudos éructants et agressifs, déguisés en templier ou en Dirty Harry, et qui se satisfont du renfort dans le même état d’esprit, de groupies en pâmoison devant les uniformes, de "fans" des forces de l’ordre et des armes, de nostalgiques des guerres coloniales et des croisades, et autres débiles bruyants.

Tout ça pour dire qu’à ce jeu-là, Mathieu Kassovitz a une concurrence très sérieuse. Et que si son propos n'est pas fin et d'autant plus blessant que cette bande de bons à rien - qui a certes commis un tweet incompréhensible - n'a rien décidé de cette opération, les réactions idiotement corporatistes qu'il a suscitées gagnent haut la main la bataille de l'abjection.

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Bénédicte Desforges

#drogues & législation, #actu police

19 Décembre 2017

Pour la dépénalisation de l’usage des drogues
fumeuse d'opium, début XXème


Un monde sans drogues, ça n’existe pas.
De tous temps, et toutes civilisations, il y a eu des drogues et des usagers de drogues, c’est un fait. Qu’elles aient un usage curatif, rituel ou récréatif, de la Sauge des Devins à l’amphétamine, euphorisantes, psychédéliques, sédatives, stimulantes, des palliatifs ou de simples plaisirs, elles sont fleurs, feuilles, racines, ou synthèses chimiques. Les drogues ont leur histoire et leur culture, ancienne et contemporaine, qu’elles soient illicites ou légales.

Le constat aujourd’hui, et dans tous les pays aux législations intransigeantes - pénalisation du trafic, de la vente, de la détention et de l’usage - est que sans exception, toutes les politiques purement répressives sont en échec. Et que la prohibition ne profite in fine qu’aux trafiquants.
La France est le pays le plus répressif d’Europe, mais c’est pourtant le plus gros consommateur d’opiacés et de cannabis, l’usage de certains produits étant même en augmentation (cocaïne, MDMA, cannabis…). Pas plus qu’ailleurs, la guerre à la drogue n’a eu les effets voulus par la prohibition. Et le constat indiscutable est que l’usage des drogues est insensible à l’arsenal législatif.

Dans le cadre de politiques publiques, le choix fait par le législateur du recours à la sanction pénale de conduites individuelles a pour objectif de dissuader, modifier les comportements et faire évoluer les mentalités. Si ce principe a été efficace, par exemple, en ce qui concerne la sécurité routière, il a été et demeure inopérant en matière d’usage de drogues.
 

Un bref historique des principales lois relatives aux drogues en France


• 19 juillet 1845 • Premier texte de loi relatif à la vente, l'achat et l'emploi des substances vénéneuses dont une liste est établie. Suite à de nombreux faits d’empoisonnement et à l’émotion de l’opinion publique, son objectif est de punir le détournement de l’usage pharmaceutique de ces produits à des fins criminelles.

•12 juillet 1916 • Loi réprimant l'importation, le commerce, la détention et l'usage des substances vénéneuses, notamment l’opium, la morphine et la cocaïne. On disait de la cocaïne qu’elle était un "poison boche déversé sur le pays pour démoraliser la jeunesse". Quant à l’opium, il était rapporté d’Orient par des officiers de la Marine, certains d’entre eux ayant été mis en cause dans des faits divers.
Réagissant à cette situation et à l’apparition de fumeries d’opium en France, la loi condamne aussi la falsification d’ordonnances et l’usage en société. La peine encourue est identique à la sanction pénale appliquée au trafic. L’usage personnel et privé n’est pas puni par la loi.

Il faut se souvenir que durant cette période, en pleine guerre, survivants d'une hécatombe, certains soldats démobilisés, mutilés, gueules cassées, étaient devenus morphinomanes, opiomanes, ou héroïnomanes, les opiacés étant de puissants antalgiques.

La répression de l'usage en société sera néanmoins considéré comme liberticide, l’État n'ayant pas à intervenir dans les choix de consommation personnels. Réticence partagée par le Garde des sceaux : « les principes généraux de notre législation pénale paraissent s'opposer à la répression de ce fait personnel. »

" Lettre à Monsieur le législateur de la loi sur les stupéfiants "
de Antonin Artaud

• Le 14 septembre 1916, un décret ajoute au délit de détention une condition de dose d’exonération, quantité de produit en deçà de laquelle sa possession n’est pas répréhensible.
Un règlement vient préciser la loi de juillet, classant les substances vénéneuses en trois tableaux, A, B et C. L’opium, la morphine, la cocaïne, leurs dérivés, et le haschisch font partie du tableau B : les stupéfiants. En 1988, ce classement évoluera en 4 catégories : substances dangereuses, stupéfiants, psychotropes, médicaments sur ordonnance.

On doit retenir de cette catégorisation que ce concept pose le principe selon lequel ce n’est pas l’état de santé d’un usager de produit psychoactif, ni la consommation qu’il en a, ni la quantité saisie, ni une éventuelle addiction ou pathologie, ni son comportement, ni même le danger social potentiel qu’il peut représenter, qui mobilise l'action judiciaire, mais la stricte classification du produit.

... mais aussi que la notion de stupéfiants a souvent été discutée par des parlementaires à chaque fois qu’il s’est agit de légiférer. Certains trouvant le terme trop flou, d’autres voulant inclure sous cette dénomination alcool et tabac, par souci de cohérence scientifique puisque ces substances correspondent aux critères retenus de potentiel addictif et de propriétés sédatives ou euphorisantes.

• Le décret-loi du 29 juillet 1939 (Code de la famille) alourdit les peines de la loi antérieure au nom de la protection de la race, de la défense des bonnes mœurs, et de la lutte contre les subversions, dont il définit et réprime un certain nombre.

• 24 décembre 1953 • Une loi introduit le principe de la possibilité d’obligation de soins pour les toxicomanes. Faute de règlement d'application, elle ne sera pas mise en vigueur. En pleine French Connection, c’est le trafic qui continue de mobiliser police et justice.

Une circulaire de janvier 1961 exprime la philosophie de la Justice à cet égard : il est demandé aux magistrats  de s'attacher à requérir une répression impitoyable du trafic illicite des stupéfiants, et que les toxicomanes soient traités avec humanité et discernement.

• 1962 • L’usage thérapeutique de l’héroïne est interdit en France.

Pour la dépénalisation de l’usage des drogues

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La législation internationale privilégie les mesures préventives à la répression


L’ONU a produit trois grands traités visant le contrôle et la limitation de la production et du commerce de stupéfiants dont elle dresse et complète la liste, base de l’harmonisation des législations nationales.

• La Convention unique sur les stupéfiants de 1961

• La Convention sur les substances psychotropes de 1971
Ce texte identifie plus précisément les besoins d’ordre médical et la nécessité d’une politique de prévention et de soins.

article 20 : Mesures contre l’abus des substances psychotropes
1 - Les parties prendront toutes les mesures susceptibles de prévenir l'abus des substances psychotropes et assurer le prompt dépistage ainsi que le traitement, l’éducation, la post-cure, la réadaptation et la réintégration sociale des personnes intéressées ; elles coordonneront leurs efforts à cette fin.

2 - Les parties favoriseront, autant que possible, la formation d'un personnel pour assurer le traitement, la post-cure, la réadaptation et la réintégration sociale des personnes qui abusent de substances psychotropes.

3 - Les parties aideront les personnes qui en ont besoin dans l’exercice de leur profession à acquérir la connaissance des problèmes posés par l'abus des substances psychotropes et par sa prévention, et elles développeront aussi cette connaissance parmi le grand public s'il y a lieu de craindre que l'abus de ces substances ne se répande très largement.

Il n’est pas du ressort de l’ONU de dicter la politique pénale des pays signataires, mais l’article 22 de la convention préconise les mesures ci-dessus en lieu et place de la répression.

• La Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988
Faisant en préambule le constat d’échec de la guerre contre la drogue, ce texte est plus particulièrement axé sur la coopération internationale et la transmission d’informations en matière de trafic et blanchiment d’argent.

Par la suite, l’ONU n’aura de cesse de réitérer ce même constat et s’interroger sur l’inefficacité des politiques anti-drogue menées jusqu’à présent.
Une lutte efficace contre l'abus et le trafic de drogues passe par la prévention et les traitements - ONU juin 2017

• L’UNODC (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime) voit le jour en 1997
L’usage des drogues n’y est abordé que par le biais de la prévention, la pédagogie, les soins et la réduction des risques.

Le secrétaire général de l’ONU lors de la Journée internationale contre l’abus de drogues et le trafic illégal en juin 2015 : « Nous devons considérer des alternatives à la criminalisation et à l’incarcération des personnes qui utilisent des drogues et centrer les efforts de la justice sur les personnes impliquées dans le trafic. Nous devons accroître nos efforts portant sur la santé publique, la prévention, le traitement et le soin aussi bien que sur les stratégies économiques, sociales et culturelles. »


Loi du 31 décembre 1970 : l’avènement de la prohibition


Cette loi est toujours en vigueur aujourd’hui.
Elle marque une différence avec les textes antérieurs, axés sur la fabrication, le trafic et la vente, et n’ayant qualifié que la détention de stupéfiants.
Là, l’usage de drogues est clairement énoncé et sanctionné. La répression concerne l’usage public comme privé, qu’il soit récréatif ou qu’il relève d’une addiction, les peines prévues s’appliquant sans distinction de produits.
La règle devient donc la prohibition, et l’usager un délinquant.

Le contexte du vote de ce texte, et la façon dont il a été adopté sont intéressants.
Mai 68 est passé, le son de Woodstock a traversé l’Atlantique, et la France a eu peur de sa propre jeunesse. Les fondements de la morale d’alors ont été secoués, c’était trop d’un coup. On parle de "dissolution des mœurs", de "fléaux", et sont mis dans le même sac à fantasmes la pornographie, la prostitution, l’homosexualité et la drogue.
La presse s’empare du sujet et multiplie les articles alarmistes à propos des drogues, contribuant à faire d’un phénomène sans incidence sur l'ordre public, un fait de société dévastateur sans commune mesure avec la réalité.
Marcel Carrère, commissaire divisionnaire chef de l’OCRTIS (Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants) à ce moment-là, connu pour son impressionnant tableau de chasse et son rôle dans la lutte contre la French Connection, et considéré par le FBI comme le meilleur spécialiste du monde, dit en août 1968 : « Nous avons aujourd’hui 1200 drogués fichés, dix fois moins qu’avant la guerre, quand les vieux coloniaux opiomanes vivaient encore. On raconte beaucoup d’histoires, mais les rafles périodiques que nous faisons l’hiver dans les cabarets et l’été sur les plages sont pratiquement sans résultats. Et quand on a fouillé la Sorbonne où parait-il se faisaient des orgies de stupéfiants, on n’a rien trouvé du tout. (...) Que voulez-vous, chez nous il y a le vin, une certaine gaîté gauloise. »
Ce grand flic est certainement la voix de la raison, mais c’est sans compter une overdose particulièrement médiatisée en 69, les gros titres unanimes - on parle de risque de "dégénérescence du patrimoine génétique", et de "maladies mentales" - et l’opinion publique effrayée qui réclame lois et répression.

Tout comme pour les lois de 1916 et de 1939, dans l’urgence de la pression de l’opinion et d’un contexte social, le Parlement se met au travail.

Nombre d’experts sont entendus, juristes, médecins, tous s’accordent à dire que la drogue représente un risque, mais tous sont réticents à l’idée de répression pénale et de la criminalisation de l’usager, plaidant pour la prévention et l’éducation. Le commissaire Carrère fait état des chiffres issus du travail policier, sa parole est mise en doute : les chiffres ne correspondent pas du tout à ce qui nourrit l’imaginaire et panique l’opinion.

Les parlementaires ne sont pas favorables non plus à la pénalisation de l’usage de drogues, qu’ils estiment attentatoire aux libertés individuelles, contraire à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (art.4 : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.) et non-conforme à la convention de l’ONU que la France a signée.

Mais le gouvernement fait pression et ne va pas laisser le choix à l’Assemblée. À l’exception du ministre de la Santé, Robert Boulin, qui via un travail interministériel avait conçu un projet de loi axé sur le traitement de la toxicomanie : « Aucun toxicomane ne doit être puni pour le seul fait d’avoir consommé des stupéfiants. »

La loi est votée, et le Sénat alourdit les peines prévues.
Des dispositions sanitaires y figurent, elles peuvent être initiées par le toxicomane, mais l’obligation de soins est laissée à l’appréciation du magistrat.
Aucun dispositif concernant des mesures préventives n’est prévu dans le texte.

Par la suite, d’autres lois ont précisé les contours des infractions d’incitation et de trafic (exemple : l’usager-revendeur), aggravé les peines encourues, et défini un arsenal procédural visant une meilleure efficacité. Le délit d’usage est resté tel quel.

L’usager de drogues est donc depuis cette date et selon les textes, un malade qu’il convient de punir. En le privant de liberté ou en le faisant payer, indépendamment de tout trouble à l’ordre public.
Un malade qui au pire, si sa consommation est problématique, n’aura porté atteinte qu’à sa propre intégrité physique.
 

Petit aparté : les drogues légales


Il est difficile de parler de drogues sans évoquer les cas du tabac et de l’alcool, d’authentiques "drogues dures" si on considère leur popularité et leurs toxicités respectives (cardiovasculaire, neurologique, hépatique, etc) objectivement supérieures à la plupart des drogues illicites.
De vraies substances psychoactives et addictives : tous les neurotransmetteurs entrent dans le jeu de la dépendance, et la dopamine est à la fête. Pas besoin d’épiloguer sur la dangerosité sociale de l’alcool (accidents de la route, violence, etc), un fléau… mais une drogue culturellement bien intégrée.
Ce sont aussi les drogues les plus mortelles - tabac 79000 morts, alcool 49000, héroïne 53 morts, cocaïne 30 morts (chiffres OFDT/ANSM 2011, les décès indirects (accidents, etc) ne sont pas comptabilisés) - et le coût social est colossal.
On peut aussi citer les médicaments psychotropes dont la France, championne d'Europe en benzodiazépines, est une usagère frénétique...

Ceci étant dit, on risque moins à sortir de chez Leclerc hébété à coups de neuroleptiques avec un caddie rempli de bouteilles de vodka sous le nez d’un flic, qu’à faire tomber à ses pieds un buvard de LSD… dont la toxicité est nulle.
 

État des lieux


« L’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende »
(article L.3421-1 du code de la santé publique).

Pour la dépénalisation de l’usage des drogues

La guerre à la drogue et la lutte contre la toxicomanie sont dans une confusion totale. Interdire l’usage n’empêche, ni ne dissuade de se droguer. Ça empêche seulement de respecter la loi, ce qui entraine souvent des effets pervers et néfastes pour le toxicomane. Par crainte des conséquences, de la police et de la justice, ce hors-la-loi évite le système de santé, et donc des possibilités de sevrage et de traitement de substitution, sa consommation reste clandestine et problématique, et il risque la marginalisation, voire la délinquance.

La loi du 31 décembre 1970 n’aura été d’aucun effet sur l’usage de drogues qui est allé en s’accentuant. C’est dire si la répression est vaine…

Le texte est même ambigu dans son interprétation, car il convient à la police et la justice de distinguer les délits d’achat et de détention (qui figurent dans le code pénal, section "Trafic de stupéfiants") et celui d’usage (réprimé par le code de la santé publique), qui sont pourtant indissociables.

Néanmoins, depuis 1970, le travail policier est concentré sur l’interpellation d’usagers : 90% des infractions à la législation sur les stupéfiants ces dernières années, ce qui représentait 165 000 procédures en 2013. Et parmi ces usagers, 90% de consommateurs de cannabis. (OFDT)
Le taux d’interpellations pour trafic a quant à lui stagné par rapport à l’usage, ce qui indique aussi que la quantité d’usagers interpellés est sans incidence sur les enquêtes et la résolution des délits de trafic.

Il faut dire que l’usage de drogues est une infraction simple et très pratique : pas de victime, pas de plainte, pas d’enquête, c’est un flagrant délit qui dès qu’il est constaté est élucidé. Autant dire que c’est une infraction idéale au service de la politique du chiffre.

La réponse pénale est de plus en plus systématique : en 2014 les juridictions ont traité 102 517 affaires d’usage de drogues, soit 2/3 des du volume annuel d’interpellations, et le taux de condamnation est en hausse constante (il a triplé en 10 ans). Aujourd’hui 60% des peines prononcées pour ILS concernent l’usage, soit 30 000 condamnations.

En outre, cette réponse pénale s’est dotée de peines de substitution supplémentaires, et le recours aux mesures sanitaires et injonctions thérapeutiques est de moins en moins mis en œuvre.
De facto, le prétexte de santé publique figurant dans la loi de 1970 est de moins en moins tangible.
 

Le cannabis, les drogues "dures" et les drogues "douces"


L’essentiel de l’activité police-justice en matière de stupéfiants repose sur le cannabis, substance légalisée ou dépénalisée ou en voie de l’être dans beaucoup de pays.
Le projet français actuel est la contraventionnalisation de la détention et l’usage de cannabis. Ce qu’il ne faut pas comprendre comme un assouplissement de la répression - dans les faits, les consommateurs de cannabis sont déjà condamnés à des amendes dans les tribunaux, ou via une transaction pénale - mais comme un aménagement destiné à la simplifier, voire à l’amplifier, et une réponse pénale de plus dans le texte. Un écran de fumée...
La politique du chiffre devrait s’en satisfaire, les rapports police-population un peu moins...

Mais pour le coup, la perception d’une amende immédiate évacue complètement la dimension sanitaire de la consommation de cannabis.
En fait, c'est presque une mesure fiscale, comme la perception d'une sorte de taxe sur le produit, mais par procuration vu que le marché n'est pas régulé par l’État.

Alors une "simple" contravention parce que le cannabis est une drogue "douce" ?
Non. Il n’y a pas de drogues "dures" et de drogues "douces", cette distinction est une idée reçue et un non-sens hors du principe de réalité. Il y a des drogues susceptibles de déclencher une dépendance, d’autres non. Il y a des drogues stimulantes, sédatives, euphorisantes, dissociatives, hallucinogènes, dont la toxicité ou le potentiel addictif est sans rapport avec la nature ou l’intensité des effets produits. Il y a des usages durs de drogues dites "douces", des toxicomanies hors de contrôle qui mettent la situation et la santé de l’usager en péril, et il y a des usages maîtrisés et raisonnés de drogues dites "dures". Il y a des usages récréatifs et occasionnels, et des usages problématiques. Quelle que soit la drogue.

Parce que la drogue n’est pas le problème : c’est la relation que l’usager noue avec elle qui peut le devenir. Et comme disait Paracelse, l’inventeur de la toxicologie, « tout est poison, rien n'est poison, c'est la dose qui fait le poison. »

C’est pourquoi l’usage de drogues doit relever de la santé publique, de la prévention et de l’information, et que les politiques de réduction des risques sont bien plus efficaces que prohibition et répression.

La dépénalisation de l’usage doit s’appliquer à toutes les drogues.
 

Le pari réussi du Portugal : l’usage de drogues est dépénalisé depuis 2001


C’est une situation très préoccupante qui a provoqué le changement de législation au Portugal. Dans les années 90, on estime qu’un Portugais sur cent était dépendant de l’héroïne. Les problèmes liés à la consommation de drogues dans le pays - overdoses et infections VIH, délinquance connexe - étaient des pires en Europe.
La prohibition en place depuis 1970 - « Drogue, Folie, Mort » était le slogan - n’avait rien endigué malgré dès les années 80, l’instauration de la peine symbolique pour les usagers, et l'amorce d'une politique de réduction des risques.

Alors le Portugal a dépénalisé toutes les drogues.
Il était le premier pays à le faire. Et depuis 2001, aucun gouvernement n’a souhaité revenir sur ce changement de politique radical, efficace et audacieux, mais surtout, animé d'humanité et de pragmatisme.

La loi du 29 novembre 2000 relative aux stupéfiants a dépénalisé l’usage, la détention et l’acquisition des substances réglementées, sans distinction, si elles correspondent à une consommation personnelle.

Le texte fixe donc une quantité par substance, laquelle définit la limite entre l’usage et le trafic.
Un usager de drogues peut détenir 10 jours de sa consommation personnelle :
Héroïne, amphétamine, MDMA : 1g / cocaïne 2g / LSD 500μg / PCP 0.1g / feuilles de cannabis 25g / résine de cannabis 5g / opium 10g / etc.

L’usage constitue désormais une infraction administrative qui n’est pas nécessairement sanctionnée, l’objectif de la loi étant d’identifier les toxicomanes en difficulté pour leur apporter l’accompagnement nécessaire, traitement de substitution et/ou suivi médico-social.
Les usagers de drogues ne sont plus des délinquants, mais des citoyens susceptibles d’être en détresse avec leur consommation. (l’OMS reconnaît et définit la dépendance et son diagnostic, et le syndrome de sevrage)

La personne interpellée en possession de drogue se voit donc remettre une convocation par la police à se présenter devant une commission pour la prévention de la toxicomanie composée d’un juriste et de deux professionnels du domaine médical ou social.
S’il s’agit d’un usage récréatif sans incidence sur la santé, l’action administrative est suspendue pour une durée de 2 ans.

Le bilan 17 ans après la dépénalisation est positif.

• Les prescriptions de traitements de substitution ont augmenté, le nombre d’overdoses, de maladies infectieuses, de cas de sida a chuté,
• Le taux de décès liés à la drogue est cinq fois plus faible que la moyenne européenne,
• La police et la justice ont été soulagées de nombreuses procédures et ont intensifié leur action sur le trafic, toujours aussi sévèrement puni,
• Les saisies de drogues ont augmenté,
• l’argent public consacré à la répression de l’usage de drogues n’est plus utilisé à fonds perdus dans les budgets de la police, la justice et la prison, mais réinjecté dans la lutte contre le trafic et une politique de santé publique appropriée,
• L’usage de drogues a  globalement diminué, et de façon significative chez les jeunes.

En 2000 pourtant, le Portugal avait suscité critiques, incompréhension, rappels à la morale et à la responsabilité, et on lui avait prédit le pire. La situation sanitaire serait plus catastrophique que jamais, la consommation de drogues exploserait, et à la faveur de la levée de la prohibition, toute l'Europe viendrait se défoncer entre Porto et Lisbonne.

Démenti sur toute la ligne.
 

C’est la moraline qui altère le bon sens


En pratique ou par défaut, on observe que les lois prohibitionnistes sont sans effet sur la consommation de drogues, et que le trafic s’en accommode parfaitement.

Face à ce constat d’échec, mais restant mobilisés sur le front des problèmes engendrés par la toxicomanie, considérant que le grand écart entre santé publique et répression était inutile et intenable, beaucoup de pays ont modifié leur législation - de façons diverses, plus ou moins radicales, traitant la question du cannabis à part, ou non.
Le Portugal nous est très proche à bien des égards. Par son histoire et sa culture, par l’esprit de ses lois, il ressemble à la France, et le tournant qu’il a opéré en matière d’usage de drogues devrait inspirer le législateur... et l’opinion publique.

Objectivement, rien ne plaide en faveur de la prohibition. Et objectivement encore, l’interdit pénal est bien moins efficace que l’information, la pédagogie et la prévention. Notamment chez les jeunes que l’interdit stimule bien plus qu’il ne dissuade.
La prohibition est également une entrave aux mesures de réduction des risques, qui n’apparaissent pas comme une priorité - tant l’usager de drogues-délinquant est stigmatisé - et qui ne bénéficient pas d’une diffusion large et décomplexée pourtant indispensable.

La prohibition, c’est aussi le coût d’une répression qui n’a jamais fait ses preuves, l’argent public dilapidé en temps de terrain et de procédures, des tribunaux saturés par ces mêmes affaires, et parfois des incarcérations. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives estime à « un million d’heures annuelles le traitement des seules procédures d'usage de stupéfiants par la police et la justice »... des dizaines de millions d'euros de dépense publique.
Pour quels résultats depuis 1970 ?
Pour faire perdurer le mythe selon lequel la répression est la solution absolue ? Pour ne pas bousculer le citoyen-contribuable, à qui on dicte ses peurs et nomme ses boucs émissaires, pour qu'il ne soit pas trop regardant sur le coût budgétaire de cette vaine répression ? Pour donner du sens à une morale aveugle, bornée, sans queue ni tête ?

Peu importe les raisons pour laquelle elle dure, s'enracine envers et contre tout, et que la société s’en satisfait, tous les indicateurs le prouvent, tous les modèles autres que la prohibition aussi : la répression de l’usage de drogues est absurde. Absurde, inéquitable et contre-productive.

Il est temps que la loi française qui réprime cette pratique fasse preuve de maturité, de responsabilité, de réalisme, au lieu d’obéir à des idéologies et principes moraux juste bons à fabriquer une illusion de sécurité pour les uns, et une précarité sanitaire et sociale pour les autres.

C. da Agra, professeur de criminologie à l’université de Porto dit de la loi portugaise qu’elle est à la fois juste et efficace car « les principes remplacent les slogans, les préjugés le sont par la connaissance, le dogme s’efface devant le pragmatisme. »

Quand j’étais flic, j’ai fait relever des manches avant de faire vider des poches. Dans ces poches, j’ai trouvé des seringues, des doses de came, des cailloux de crack, des barrettes de shit, des petits sachets d’herbe, des pilules qui s’effritaient, et parfois rien. J’ai découvert des corps affalés dans des caves, entre des poubelles dans des locaux puants, dans des entrées d’immeuble, seringue dans le bras, des corps souvent jeunes, et d’autres qui avaient l’air vieux mais qui ne l’étaient pas tant que ça. Il y en a que j’ai réussi à "réveiller", je savais bien m’y prendre, et ces jours-là mon métier avait un sens particulier. Mais je n’ai pas souvenir avoir fait une seule affaire de simple usage de drogues. À quoi bon ? Marquer mon territoire ? Faire du chiffre ? Est-ce que la place d’un toxicomane ou d’un fumeur d’herbe est dans une garde à vue ? En quoi ça sert les intérêts de la personne ou de la société ?

 

lire aussi :

 

quelques sources et références :

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Bénédicte Desforges, ex lieutenant de police

#drogues & législation

12 Novembre 2017

  Les Anciens, comme on les appelle, palabrent sous les arbres géants de leurs souvenirs et racontent. Il y a pour chacun des jours ou des saisons pour se rappeler, mais chaque jour ils pourraient cueillir un souvenir sombre ou lumineux, amer ou sucré, et le partager avec nous. On a tous eu des Anciens avec nous, et tous les Anciens ont eu les leurs. C’est ainsi que se transmettent les histoires et la mémoire de nos collègues.
  Les Anciens sont comme des vieux Indiens. Ils se souviennent pour nous, et pour qu’on puisse raconter à notre tour. Ils aiment bien qu’on se réunisse autour d’un totem, et le totem c’est souvent la cafetière. Ou dans un tipi, et le tipi ça peut être une police-secours, mais on ne fait pas de feu de joie dedans. Il y a des fois où des ennemis mettent le feu à nos tipis, mais c’est une autre histoire. Une histoire de territoire ou de chefs, une histoire animâle.
  Alors nous, jeunes papooses et guerriers initiés, on entoure les Anciens et on les écoute. Un mot, un nom ou une rue réveille leur mémoire. Et la rue se repeuple, et le nom redevient une âme de la tribu. Et ça vient tout seul, et on ne peut pas les arrêter. Et parfois, ils racontent encore et encore la même histoire pour qu’elle devienne une légende. On sait que ça leur fait plaisir et que ça leur fait du bien, on les écoute comme à la première fois avec des yeux ronds, et on leur pose les mêmes questions. Parfois aussi, ils ne répondent pas la même chose, parce que le temps s’amuse avec les réalités. Et les Anciens s’amusent avec le temps parce qu’on n'était pas là pour savoir. Et puis d’ailleurs le temps a passé. Tout a changé. Les Anciens expliquent toujours que c’était mieux avant. Et quand ils racontent avant, c’est comme si on regardait un film en noir et blanc, même si la légende date de l’année dernière. Mais les Anciens sont déjà au passé simple.
  Quand on part sur une piste avec un Ancien, il a le regard de ceux que plus rien n’étonne, et il nous montre des choses qu’on n’avait pas remarquées. « Tiens, tu vois les trous dans le mur ? Ce sont des balles. Deux collègues sont tombés là. » Et l’Ancien est triste parce qu’il a perdu des amis avec qui il buvait le café tous les matins, et que ce jour-là comme les autres jours, ils s’étaient dit « A tout à l’heure. » et que l’heure n’est pas venue. Alors l’Ancien parle d’autres collègues morts parce qu’ils habitent tous au même endroit de sa mémoire, et il se souvient qu’il n’est pas passé loin non plus. Et il raconte. Et après il parle de choses qu’on n’aurait pas pu voir. « Oula ! T’aurais vu la bagarre qu’il y a eu dans ce bar ! Les chaises volaient dans la rue ! Un type avait un couteau dans le ventre et ne s’en rendait même pas compte ! » Et à chaque fois qu’on repasse devant le bar, on repense à la bagarre de l’Ancien, on regarde le ventre des passants et on imagine des chaises voler. Et on raconte l’histoire.
  Les Anciens se rappellent aussi de ceux qui ont été bannis de la tribu, et de ceux qui sont partis parce que l’herbe est plus verte ailleurs. Là-bas, les tipis ne brûlent pas et on a le temps de raconter des histoires. Et un jour qui vient vite, les Anciens s’en vont, et on se dit « Bientôt il n’y aura plus d’Anciens.»

extrait de Police Mon Amour

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Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire