6 Novembre 2018

PCP
 

Le collectif PCP, ce sont des policiers et des gendarmes, en activité ou non, qui forts de la pratique de leur métier et de leur expertise de terrain, et réunis par le même constat, témoignent de l’inefficacité de la prohibition et de la répression de l'usage de stupéfiants, et militent pour une réforme de la loi et des politiques publiques en matière de drogues.

Leur métier les investit de missions et pouvoirs essentiels - les libertés fondamentales, la sécurité publique, l’application de la loi - et ils ont à coeur de ne pas être des exécutants passifs quand ils servent un système incohérent.
 

Vous, collègues, qui en avez assez d'appliquer une loi qui ne sert à rien, qui n'a fait baisser ni la consommation de drogues, ni la criminalité et l'insécurité liées au trafic et au marché noir. Une répression que vous savez au service de la politique du chiffre et des taux d'élucidation, qui prend un temps fou de votre activité, alors que vous savez qu'il y a délinquant plus dangereux qu'un fumeur de shit. Vous qui n'êtes pas entrés dans la police ou la gendarmerie pour partir à la chasse à l'insignifiance et aux délits sans victime, qui préféreriez avoir les mains libres pour consacrer du temps à la vraie criminalité de vos secteurs. Vous qui êtes persuadés que la consommation de drogues, licites ou non, relève de la santé publique et non de la répression pénale, et qu'au fond ce n'est pas votre problème dès lors que la sécurité d'autrui n'est pas en jeu, rejoignez notre collectif, soutenez notre démarche, et lisez nos arguments.
 

Le site : Police Contre la Prohibition
la page facebook du PCP
et twitter @collectifPCP

lire les commentaires sur facebookPour la dépénalisation de l’usage des drogues

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Bénédicte Desforges, ex lieutenant de police

#drogues & législation, #actu police

6 Octobre 2018

Pour bien comprendre la politique de répression de l’usage de drogues, et l’obsession de la police pour la chasse aux usagers, il est nécessaire de décrypter la logique de rentabilité qui anime et pervertit l’activité policière.
L’usage de stupéfiant est un délit mineur, sans victime, sans plaignant, sans danger pour autrui, sans incidence sur la résolution des enquêtes de trafic, sa répression n’est pas dissuasive, mais elle constitue néanmoins une proportion déraisonnable de l’activité policière.

La politique du chiffre est le moteur de l’activité de la police. À la qualité du travail accompli, l’administration préfère et exige de la quantité. C’est un système pervers et toxique dont les perdants sont la sécurité et le service public.

La sécurité étant un levier électoral et un outil de communication politique de premier choix, peu importe le sacrifice du qualitatif, il faut lui associer un plan com' efficace : c’est le chiffre de la délinquance. Celui-ci doit être lisible et sembler explicite pour l’opinion, et exprimer un état des lieux - dont la réalité importe moins que ce qu’on veut lui faire dire - mais en même temps, ces statistiques doivent être d’une conception suffisamment complexe pour décourager d’y regarder de plus près. On y trouve une juxtaposition de faits constatés et faits élucidés, des atteintes aux personnes et aux biens, des infractions avec et sans violence, des infractions avec et sans victime, les plaignants, auteurs et victimes sont mélangés dans la même soupe de chiffres, etc, autant de données qui de toute façon seront très peu exploitées par la police, tant la politique du chiffre est tenace, et rafle la mise face à toute stratégie cohérente à long terme de sécurité publique et de lutte contre la délinquance.

La police doit donc être en mesure de faire état de sa productivité. Comme une usine. Or la sécurité, ce que la police est censée vendre, c’est précisément quand il n’y a rien à compter. La prévention, par exemple, n’est pas comptabilisable alors qu’elle est le meilleur atout contre l’insécurité et la criminalité. Elle est efficace mais pas "rentable". Du coup, on n’en tient peu compte, elle est négligée, les flics oublient que répression et prévention jouent un équilibre juste, et sont les deux composantes indispensables du service public qu’est la police.
Le mot même a disparu des discours politiques sécuritaires. La prévention est tombée en désuétude - comme le gardien de la Paix devenu une anxiogène "force de sécurité" - et à la présence policière s’est substituée une police d’intervention.

Alors au lieu de fabriquer de la sécurité, la police fabrique des infractions et des délinquants.
C’est ce qu’on appelle les infractions révélées par l'action des services (IRAS).

Par opposition aux infractions constatées (homicides, cambriolages, etc, et plaintes enregistrées) qui feront l’objet d’enquêtes avec un taux d’élucidation incertain, les IRAS représentent la part proactive de l’activité policière.

Ces infractions, parmi lesquelles on trouve entre autres les infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS), celles au séjour des étrangers, les faux papiers, port d’armes prohibées, sont pour la plupart relevées lors de contrôles d’identité. Elles ont l’avantage comptable de présenter un taux d’élucidation de 100% : aussitôt constaté, le délit est élucidé. Et il n’y a ni enquête ni victime. Faisant partie du chiffre global de la délinquance, les IRAS boostent celui-ci en relevant la moyenne de l’élucidation : une plainte contre X pour viol + une boulette de shit = un taux d’élucidation de 50%, ce qui est une excellente "performance"…
Sur l’État 4001 tableau compilant l’ensemble des crimes et délits (sauf routiers) ce taux peut même dépasser 100% pour les ILS…
De la pure dopamine mathématique pour la politique du chiffre.

Sur une période d’un an, de septembre 2014 à août 2015 (je n’ai pas trouvé plus récent avec les précisions voulues) pour la police et la gendarmerie, on compte 207 300 infractions à la législation sur les stupéfiants :
 - 175 745 pour usage de stupéfiants
 - 19 389, usage-revente
 - 7159, trafic-revente sans usage
 - 5007, autres ILS (provocation à l’usage, etc.)
Tandis que seulement 3.4% des ILS concerne le trafic, l’usage de stups représente 85% des ILS, soit 56% des IRAS.
Autrement dit, les forces de l’ordre, quand elles en ont l’initiative, consacrent plus de la moitié de leur activité à la répression de l’usage de drogues, dont 90% de cannabis.

En même temps que les effectifs de police stagnent, les interpellations pour ILS sont en constante augmentation, c’est dire l’appétit pour cette répression.
Du mois d’août 2017 à juillet 2018 : 224 031 ILS dont 183 795 pour usage de drogues, soit 83% des ILS (nombre d’IRAS non communiqué)

Le temps est révolu où les flics de terrain mettaient leur autonomie et leur libre arbitre au service d’une activité utile et valorisante. Ils pouvaient consacrer des heures, des jours, à observer, fouiner, recueillir des renseignements, pour mettre au point une interpellation, avec une procédure qui tient la route, et avoir à la clé la satisfaction d’avoir rendu un vrai service à la société en envoyant devant la justice de vrais délinquants. Ignorer de petites infractions était un choix délibéré, presque une question d’amour-propre, au mépris de consignes de "chiffre" qui n’étaient pas encore le mode standardisé de fonctionnement policier.

Aujourd’hui, il n’est pas question pour un flic de rentrer les mains vides, il est sous pression et paramétré pour faire du chiffre. Et il l’est d’autant plus que son activité intéresse toute la chaine hiérarchique au dessus de lui, qui encaisse chaque mois des indemnités de responsabilité et de performance (IRP) (l’équivalent gendarme est l’IFR).

La politique du chiffre est donc systémique : chaque officier, commissaire et directeur est comptable des résultats de ses subordonnés, lesquels œuvreront à la performance de la brigade ou du service, et serviront déroulement de carrière, réputation, et rémunération de leur hiérarchie.
Du coté des officiers, la part fixe de l’IRP atteint 600 euros mensuels pour le grade de commandant. Chez les commissaires de police, cette part de l’indemnité s’échelonne selon le grade de 1080 à 2421 euros par mois.
À cette part fixe de l’IRP s’ajoute une part variable selon les résultats chiffrés qui peut s’élever jusqu’à 40% de la part fixe. Cette part correspondant à la performance est toutefois contingentée : elle ne sera attribuée qu’à un pourcentage prédéfini du corps des officiers et celui des commissaires, ce qui peut avoir comme effet de booster la course aux résultats entre chefs…
Pour certains postes dits difficiles ou très difficiles, la part variable de l’IRP est automatiquement incluse dans la prime mensuelle. À noter que certains de ces postes laissent rêveur… bref.

Quant au gardien de la Paix, si les bonnes grâces de son chef ou le hasard lui sourit, il touchera une fois dans l’année une sorte de bakchich appelé prime au mérite. Cette gratification dont la répartition n’est pas toujours objective génère un état d’esprit délétère dans les services mais galvanise la course au chiffre.

Tout ça pour dire que l’enjeu de la politique du chiffre est solide et motivant. Plus personne ne devrait s’étonner quand un chef de service dit à ses troupes, sans complexe ni paraphrase, qu’il préfère qu’on lui colle dix fumeurs de pétards en garde à vue qu’un braqueur.
Les IRAS sont donc le reflet de l’initiative et des priorités des policiers sur le terrain, mais surtout, cette activité, mesurée par le taux d’élucidation, est très sensible aux consignes.

Les objectifs chiffrés de la clique Sarkozy n’étaient pas un secret. Ce concept absurde consistait à définir la délinquance avant qu’elle ait eu lieu. Les consignes pouvaient alors ressembler à un inventaire de Prévert… Pour la fin de la semaine vous me servirez 13 ports d’arme blanche, 38 ILS, 1 proxénète, 24 feux rouges et 1 fermeture administrative de bistro.
Et puis il y a eu Valls au ministère de l’Intérieur qui de façon surprenante dans son discours cadre sur la sécurité a parfaitement défini la politique du chiffre. Imposture, opacité, porte ouverte à la manipulation des statistiques, outil calibré pour l’instrumentalisation politique et médiatique - exigeant que sans délai, ces pratiques cessent au nom du service public.

Par la suite, les objectifs statistiques se sont faits plus discrets, et les bilans de la criminalité moins détaillés, mais rien n’a changé. Le corps des commissaires est le gardien du chiffre et l’interface opaque entre la police et le ministère de l’Intérieur. Rien ne semble remettre en cause ces primes, et la façon de les engraisser. Ni cette énorme dépense de l’État, cet argent public dédié à la communication sur la sécurité plutôt qu’à celle-ci.
Les réserves quant à la fabrication et la manipulation des chiffres ont toutefois fait l’objet d’une mission d’information relative à la mesure statistique des délinquances et de leurs  conséquences et d’un rapport de la commission des lois en 2013 et ont été réitérées par le Sénat dans son rapport de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2017.

Alors même si dans les hautes sphères de la police, il est de bon ton de nier la politique du chiffre - elle serait même une légende urbaine – au-delà d’une lecture attentive des chiffres,  l’existence même de l’IRP, et notamment de la lettre P, est l’affirmation d’un management basé sur le rendement.
La priorité n’est pas tant de générer de la sécurité et lutter contre la délinquance que d’entretenir une confusion entre activité et efficacité policière, et alimenter les statistiques de délits insignifiants qui font grimper le taux d’élucidation global.
Et d’ailleurs, qu’importe l’éthique et l’intégrité, si le taux d’élucidation ne suffit pas dans l’équation, il y a encore des solutions : ordonner une augmentation des IRAS, déqualifier certaines infractions, en reporter le mois suivant, dissuader la prise de plaintes… Une tradition de falsification indécente qui a même intéressé l’IGPN plus d’une fois.
Les statistiques ne sont pas un outil réaliste d’évaluation de la délinquance sur lequel s’appuyer pour orienter l’action policière, mais une fin en soi.

Les IRAS, et le délit d’usage de stupéfiants en particulier, sont donc essentiels à ce système qui s’enrayerait si l’usage de drogues était dépénalisé (que ce soit de fait par une pratique policière qui négligerait ce délit, ou par la loi).
Si a contrario la politique du chiffre cessait, il y aurait  moins d’obstruction à débattre de la dépénalisation de l’usage de drogues parce que sa répression, dont on sait qu’elle est vaine à tout point de vue, qu’elle est couteuse et encombre inutilement toute la chaine pénale, ne serait plus d’aucune utilité à cette bureaucratie du chiffre.

Il faut donc aller chercher des usagers de drogues, et tout commence par un contrôle d’identité, une palpation, et une fouille des poches qui ne doit rien au hasard. Toujours les mêmes poches, mêmes personnes, mêmes quartiers, à croire qu’il s’agit d’un prétexte : réprimer l’usager davantage que le délit d’usage, et qui il est plutôt que ce qu’il a fait.
Tandis que les statistiques indiquent que toutes les classes et tranches d’âge sont concernées par les drogues, la population ciblée par la répression est jeune, issue de l’immigration et la plus vulnérable d’un point de vue économique et social.

Là où l’apaisement entre police et population est urgent, la politique du chiffre attise défiance et haine réciproques et le fragile lien social se délite. Sur le terrain c’est un bras de fer à coups de violences, provocations, harcèlement et contrôles répétés. Tout ça pour si peu, pour des mots et des discours - des coups de karcher à la reconquête républicaine de territoiresmêmes logiques et mêmes échecs.
La mise en place de l’amende forfaitaire délictuelle de 200€ et la systématisation de la répression aggravera un peu plus la situation, le délit d’usage de stupéfiants verbalisé sur place par cette procédure simplifiée est un appel d’air à la course au chiffre. S’y ajouteront sans doute des outrages et rebellions du fait de l’amende elle-même.

La culture policière est marquée par une tradition de postulats indéboulonnables, tels que le laxisme de la justice, le gauchisme des juges, le coût des étrangers, l’oisiveté des jeunes, et par la désignation d’un certain nombre de boucs émissaires. Le penchant raciste qui, même s’il s’estompe à la faveur d’un recrutement diversifié, est toujours présent et susceptible d’orienter et justifier des choix d’activité. Je ne suis pas raciste mais…  ce sont toujours les mêmes qui… l’analyse sociologique s’arrête là et se veut irréfutable.
Conservatisme et morale sont aussi des marqueurs forts de cette culture, ponctuée de leitmotivs. On est le dernier rempart... dans un monde binaire de bien et de mal, peuplé d’honnêtes citoyens et des autres. La drogue c’est mal. Alors qu’on sait aujourd’hui que la répression c’est pire, la police intensifie la traque aux usagers. Il en restera toujours une sorte de mesure de rétorsion appliquée à une population qu’on aime détester. Force doit rester à la loi dit-elle encore, même si cette loi n’a jamais fait ses preuves, et que la pratique assidue de cette répression n’est pas à mettre au crédit de l’efficacité ni du sens du discernement policier. Mais sans doute faut-il s’en persuader pour ne pas complètement s’effondrer, pour l’illusion d’un métier qui fait sens, quand on sait qu’on est le rouage essentiel d’un système terriblement discutable, et d’une sorte de chaine alimentaire élucidée à 100% qui, entre autres trajectoires douteuses, va de la poche de l’usager de drogue à celle du commissaire de police.


sources :


à lire :


collectif Police Contre la Prohibition   

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Bénédicte Desforges, ex lieutenant de police

#drogues & législation, #politique du chiffre

26 Juin 2018

Support Dont Punish

26 juin, journée d’action mondiale pour de meilleures politiques en matière de drogues

 • publié dans l'hebdo et sur le site de 

Lettre ouverte aux députés et sénateurs à propos de la répression de l’usage de drogues, et de l’amende forfaitaire délictuelle, dans le cadre de l'examen en procédure accélérée du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice.

 

   Mesdames et messieurs les parlementaires, députés et sénateurs,


Vous avez en ce moment sous les yeux le projet de loi de réforme pour la Justice, et vous allez en débattre. Je souhaite attirer votre attention sur trois petites lignes figurant au titre IV à propos de la simplification de la procédure pénale, et qui modifient l’article L.3421-1 du code la santé publique en sanctionnant de façon optionnelle l’usage de stupéfiants d’une amende forfaitaire délictuelle.

Je m’adresse à vous en tant qu’ex flic. Ni syndicaliste ou idéologue, ni patron, ni d’un service d’élite ou une brigade prestigieuse, juste flic en uniforme ayant œuvré sur le terrain à la sécurité des citoyens. Alors, des Pablo Escobar français je n’en ai jamais croisés, mais des petits dealers et des usagers de drogues, je n’aurais pas pu les compter. Du fumeur de cannabis placide et insouciant, à l’héroïnomane mort d’overdose entre deux poubelles, j’en ai rencontré beaucoup. Et c’est parce que le flic se situe tout en amont de la chaine pénale, constate l’infraction, et peut mesurer les enjeux et l’impact de la répression, que je vais vous livrer mon avis. En mon nom, et au nom de nombreux collègues qui le partagent mais que le devoir de réserve contraint au silence.

La France est le pays le plus répressif d’Europe, mais c’est aussi un des plus gros consommateurs de stupéfiants.

La guerre à la drogue et ses usagers menée depuis 1970 - guerre qu’il est convenu de confondre hypocritement avec la lutte contre la toxicomanie - n’a pas eu les effets voulus par la prohibition : l’usage des drogues est insensible à l’arsenal législatif, et la prohibition ne profite qu’aux trafiquants.

La répression des consommateurs n’est pas dissuasive, elle est sans effet sur l’usage de drogues, mais également tout à fait insignifiante sur la résolution des enquêtes de trafic, les données de tous les observateurs, de l’OCRTIS et de l’OFDT sont sans appel.

La répression est peu compatible avec la prévention, l’information, l’accès aux soins et la réduction des risques, qui devraient pourtant être des priorités absolues. L’usager de drogue que la loi considère comme un malade-délinquant est entravé et fragilisé par cette définition et par les tabous, les interdits et la stigmatisation qui entourent sa pratique.

La prohibition et la répression génèrent des effets délétères à tous points de vue.

Ce projet d’amende forfaitaire court-circuite et élude encore une fois le débat qui n’a jamais eu lieu sur une politique des drogues et de santé publique réaliste. Pire, malgré une action publique en échec depuis la loi de 1970, le gouvernement a décidé de persévérer dans une logique punitive en instaurant ce dispositif d’amende, une réponse pénale supplémentaire pour une répression renforcée et systématisée.

L’amende forfaitaire, envisagée comme une alternative aux poursuites, dont on comprend qu’elle est surtout une mesure technique en phase avec la gestion des ressources en effectifs et en temps de police et justice, et répondant à un objectif statistique de rendement, est totalement incompatible avec l’usage de stupéfiants.

On parle de simplification mais une conduite individuelle à risque ne peut décemment pas être simplifiée, indifférenciée et privée de sa dimension sanitaire.
On parle de rendement, mais c’est à celui du trafic qu’il aurait été préférable de s’intéresser.

Pour cette verbalisation d’un nouveau genre, qui n’a encore pas fait ses preuves, la police sera équipée de smartphones, tablettes connectées, de quoi éventuellement percevoir l’amende sur le lieu de l’infraction, kits de détection, balances de précision, matériel avec scellés destiné aux saisies. Tout ça sur la voie publique… Imaginez.

Sans surprise, ces amendes concerneront surtout les quartiers dits sensibles, et une population majoritairement issue de l’immigration, jeune, précaire, la moins solvable, et la plus vulnérable d’un point de vue sanitaire et social.
La police de sécurité du quotidien avait été annoncée comme un vecteur d’apaisement des relations police-population. Il n’en sera rien, bien au contraire, avec une police chargée de taper au porte-monnaie (dixit le ministre de l’Intérieur) à qui il est demandé d’oublier que la prévention fait partie de ses missions, et qu’elle est un service public.

Là où la loi pense simplifier, on trouvera une complication de l’environnement de travail de la police, un appel d’air à la politique du chiffre, davantage de tensions et de nombreuses contestations, d’une part. D’autre part, une discrimination de fait, qui ne fera pas mentir l’idée selon laquelle la guerre à la drogue est aussi un prétexte, et vise expressément certaines catégories de la population. Notamment celles qui déplorent déjà les excès de contrôles d’identité pas forcément justifiés, et la stigmatisation dont elles sont l’objet.

Procédure classique et amende délictuelle sont deux options possibles, mais les policiers excluront du dispositif d’amende un certains nombre de profils, dont les mineurs. Leur sort n’a pas été discuté malgré un usage de stupéfiants en augmentation et une politique préventive inexistante.

Ils pourront verbaliser les récidivistes, par exception à la disposition concernée du code de procédure pénale. Qu’importe si la récidive a lieu le jour même, qu’importe si elle cache une toxicomanie.

Et il leur incombera aussi d’identifier les usagers de drogues "problématiques".
Selon l’aveu même de magistrats entendus par la mission d’information, ils se disaient incapables d’évaluer la situation sanitaire de l’usager, et donc l’adéquation de la mesure à décider. Et là, ce qui relève de cette même situation - d’une conduite à risque qui pourrait justifier d’une mesure spécifique - devra donc être évalué sur la voie publique dans le temps et le contexte de l’interpellation... par des fonctionnaires qui n'ont absolument pas la compétence pour le faire. C’est complètement irresponsable.

A l’image de cette sélection discrétionnaire confiée à la police, source potentielle d’erreurs graves ou d’abus, l’amende forfaitaire délictuelle présente bien trop d’effets pervers.

On ne peut pas tordre la procédure dans tous les sens pour tenter de faire valoir un impact illusoire de la répression sur l’usage de stupéfiants. La répression ne marche pas, elle n’a jamais marché, et raisonnablement il faudra bien que vous, législateurs, envisagiez autre chose.

Il y a quelques mois, l’ONU et l’OMS appelaient à "réviser et abroger les lois punitives qui se sont avérées avoir des incidences négatives sur la santé et qui vont à l’encontre des données probantes établies en santé publique".
La France restera-t-elle sourde à cet appel parmi tant d’autres ? Sans audace ni bon sens, et dans un immobilisme injustifiable ?

Personne ne peut plus se contenter d’une approche morale et sécuritaire après presque 50 ans de prohibition en échec. Les seuls effets tangibles de cette prohibition sont l’insécurité et la criminalité endémique liées au trafic. Ce qui en soi est un solide argument pour une régulation contrôlée du marché.

Mais le plus urgent est de considérer l’usage de stupéfiants comme une conduite individuelle à risque, dont toutes les nuances existent entre la consommation éclairée et maîtrisée, et la toxicomanie, mais qui dans tous les cas ne cause pas de tort à autrui. Et qui ne justifie pas tant d’une sanction pénale, mais plutôt, comme au Portugal, que les consommateurs soient dirigés vers une commission en charge d’évaluer leur situation sanitaire et sociale.
Ainsi la police pourrait orienter son action vers d’authentiques délinquants, et s’abstraire de la politique du chiffre largement portée par le délit d’usage de stupéfiants, répression si facile, si dérisoire et inutile, et surtout tellement contreproductive.

La raison et le sens des réalités voudraient donc que l’usage de toutes les drogues soit purement et simplement dépénalisé.

Mesdames et messieurs les députés et sénateurs, je vous demande de ne pas approuver la modification de l’article L.3421-1 du code la santé publique, et de penser, un jour, le plus vite possible, à l’abroger.


Bénédicte Desforges, ex lieutenant de police et auteur

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23 Mai 2018

 

Mai 1968 - mai 2018, les époques se ressemblent presque.
Dans cet intervalle de cinquante ans, violence et maintien de l’ordre ont toujours été associés, il suffit d’un petit tour dans les archives vidéo de l’INA pour s’en persuader.
Manifestations, débordements, dégâts, police, force légitime, violence illégitime, casseurs à qui chaque époque donne un nom différent, médias et opinion, dans un scénario qui se répète.

En mai 68, les manifestations ont été aussi violentes que la mobilisation était massive, déterminée et intense.
Ce printemps-là, en proie à une crise sociale, culturelle et politique, qui en même temps touchait d’autres pays,, la France a connu la grève générale la plus importante de son Histoire, c’est dire à quel point ce mouvement de protestation a été rassembleur et populaire. À deux doigts d’une vraie révolution.

C’est précisément en mai 68 que le Préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, a décidé que le maintien de l’ordre ne devait pas anéantir des vies.
Il succédait à ce poste à Maurice Papon qui, à chaque manifestation ou rassemblement, avait donné l’ordre d’une répression implacable, carte blanche et tirs à balles réelles, dans le cadre d’un maintien de l’ordre inconséquent et meurtrier.

Maurice Grimaud sait bien que le maintien de l’ordre est un exercice extrêmement compliqué, que ce soit sur le terrain ou dans sa gestion. Et ça l’est toujours aujourd’hui. Mais il ne veut ni bain de sang, ni morts. Quitte à préférer des dégâts ponctuels à une intervention risquée en termes de vies humaines. C’est un reproche qui a d’ailleurs perduré, formulé par des policiers eux-mêmes, ou par des commentateurs qui y voient une forme de laxisme, ou de collusion de la police ou ses donneurs d’ordres avec les manifestants, voire avec les casseurs.

C’est donc le préfet Grimaud qui a initié la pratique d’un maintien de l’ordre d'un genre nouveau, adapté au contexte urbain, moins guerrier que citoyen, et responsable. Responsable de ses réussites mais aussi de ses travers, ses écarts et ses conséquences. C’est l’objet de la lettre du préfet envoyée individuellement à chacun des 25000 policiers parisiens en mai 1968.

Cette lettre est intéressante à plus d’un titre.
Grimaud rompt le tabou des excès dans l’emploi de la force.
Il n’accuse pas, il reconnaît la grande difficulté de ce qui est demandé à la police et les risques encourus, il a entendu les insultes et vu l'agressivité qui cible les flics, à l’époque mal équipés et très peu protégés.
Il sait que ces violences sont le fait d’une minorité de policiers, mais au-delà de ce qu’il reprouve humainement, il sait aussi que ce sont sur ces violences que va se concentrer l’attention de la presse et de l’opinion. Tout comme il sait que la police doit avoir une bonne image pour travailler sereinement
Il aime ces flics, humains donc faillibles, avec leur vulnérabilité et leurs limites, cette police, service public peu aimé à qui il affirme son admiration. Alors il les met en garde, il touche leur conscience, et avec intelligence, il parle de faute sans évoquer la sanction.

Et pour ça, il s’adresse de la même façon à tout le monde dans la Maison police, Une Maison avec un M majuscule et des vrais gens dedans.
Dans la police du préfet Grimaud, il y a des responsabilités que l’on partage entre tous les grades. La lettre s’adresse à tous, et n’épargne ni les officiers ni les patrons. Chacun reçoit les mêmes mots, et à parts égales en partage le poids et l’implication. C’était alors une autre idée de la hiérarchie... Pour Grimaud, personne n’a à se défausser sur personne.

Être en charge de la force publique et dépositaire de la violence légitime de l’État, faire usage de sa force physique pour maintenir l’ordre public, ce n’est pas rien, c’est une très lourde responsabilité. Un exercice très délicat qui met en jeu les libertés fondamentales, la déontologie et la conscience.

C’est ce que Maurice Grimaud exprime avec gravité et simplicité, s’adressant directement à ses troupes.

 

Lettre du Préfet de police de Paris Maurice Grimaud, envoyée le 29 mai 1968 à chacun des policiers placés sous ses ordres :
 

 
  « Je m'adresse aujourd'hui à toute la Maison : aux gardiens comme aux gradés, aux officiers comme aux patrons, et je veux leur parler d'un sujet que nous n'avons pas le droit de passer sous silence, c'est celui des excès dans l'emploi de la force.

   Si nous ne nous expliquons pas très clairement et très franchement sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille dans la rue, mais nous perdrons quelque chose de beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi : c'est notre réputation.

   Je sais pour en avoir parlé avec beaucoup d'entre vous que, dans votre immense majorité, vous condamnez certaines méthodes. Je sais aussi, et vous le savez comme moi, que des faits se sont produits que personne ne peut accepter.

   Bien entendu, il est déplorable que, trop souvent, la presse fasse le procès de la police en citant ces faits séparés de leur contexte et ne dise pas, dans le même temps, tout ce que la même police a subi d'outrages et de coups en gardant son calme et en faisant simplement son devoir.

   Je suis allé toutes les fois que je l'ai pu au chevet de nos blessés, et c'est en témoin que je pourrais dire la sauvagerie de certaines agressions qui vont du pavé lancé de plein fouet sur une troupe immobile, jusqu'au jet de produits chimiques destinés à aveugler ou à brûler gravement.

   Tout cela est tristement vrai et chacun de nous en a eu connaissance.

   C'est pour cela que je comprends que lorsque des hommes ainsi assaillis pendant de longs moments reçoivent l'ordre de dégager la rue, leur action soit souvent violente. Mais là où nous devons bien être tous d'accord, c'est que, passé le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs qu'il s'agit de repousser, les hommes d'ordre que vous êtes doivent aussitôt reprendre toute leur maîtrise.

   Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu'ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés.

   Je sais que ce je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais que j'ai raison et qu'au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez.

   Si je parle ainsi, c'est parce que je suis solidaire de vous. Je l'ai déjà dit et je le répéterai : tout ce que fait la police parisienne me concerne et je ne me séparerai pas d'elle dans les responsabilités.

  C'est pour cela qu'il faut que nous soyons également tous solidaires dans l'application des directives que je rappelle aujourd'hui et dont dépend, j'en suis convaincu, l'avenir de la Préfecture de Police.

   Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu'une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n'a pas de limites.

   Dites-vous bien aussi que lorsque vous donnez la preuve de votre sang-froid et de votre courage, ceux qui sont en face de vous sont obligés de vous admirer même s'ils ne le disent pas.

   Nous nous souviendrons, pour terminer, qu'être policier n'est pas un métier comme les autres; quand on l'a choisi, on en a accepté les dures exigences, mais aussi la grandeur.

   Je sais les épreuves que connaissent beaucoup d'entre vous. Je sais votre amertume devant les réflexions désobligeantes ou les brimades qui s'adressent à vous ou à votre famille, mais la seule façon de redresser cet état d'esprit déplorable d'une partie de la population, c'est de vous montrer constamment sous votre vrai visage et de faire une guerre impitoyable à tous ceux, heureusement très peu nombreux, qui par leurs actes inconsidérés accréditeraient précisément cette image déplaisante que l'on cherche à donner de nous.

   Je vous redis toute ma confiance et toute mon admiration pour vous avoir vus à l'œuvre pendant vingt-cinq journées exceptionnelles, et je sais que les hommes de cœur que vous êtes me soutiendront totalement dans ce que j'entreprends et qui n'a d'autre but que de défendre la police dans son honneur et devant la Nation. »

Maurice Grimaud  


  L'original de la lettre du préfet Grimaud  ►  pdf2
 

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(article augmenté : j'ai déjà publié cette lettre en février 2011)

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Bénédicte Desforges

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