12 Septembre 2008

  C’est une nuit comme les autres.
  Et c’est un planton comme celui d’avant la relève, comme celui de la veille et de l’avant-veille à la même heure, devant la porte d’un commissariat parisien pareil à tous les autres.
  À cette heure-là, il y a moins de passage, on s’ennuie un peu, mais il faut être là, et tenir compagnie à la porte.
  Il soupire et baille, le gardien de la paix. Il se taperait bien un petit café pour tenir les deux heures qui lui restent à piétiner le trottoir, à peser d’un pied sur l’autre, en regardant la rue vide. La police-secours est garée devant lui, elle est rentrée il y a un quart d’heure, et les collègues de la nuit terminent une procédure en attendant le prochain appel du 17.
  Il s’assoit sur le siège quelques instants en écoutant la radio crachoter les ratés et dérapages de la nuit. Mais lui, il s’en fout, il ne bougera pas de là. Ils peuvent bien se battre, s’enivrer jusqu’à se vautrer dans les caniveaux et s’y exploser le cuir chevelu, encastrer leur voiture dans un arbre du boulevard, ce soir il n’en verra rien, il est planton. Il s’étire, pose sa casquette sur le siège à coté de lui, et se décide à aller chercher un gobelet de café. La banquette du car lui donne trop envie de s’allonger et dormir. Et il se sent capable de dormir n'importe où.
Il regarde sa montre, c’est bien ce qu’il pensait, c’est l’heure du coup de barre.
  Il pousse la porte de l’épaule, et marmonne en direction du chef de poste :
  « J’vais me prendre un petit café. J’tiens plus debout.
  - Traine pas, on ne sait jamais. » lui répond l’autre sans lever les yeux.
  Il verse le café froid dans un verre, et le place dans le micro-ondes. Alors qu’il remarque qu’il n’y a plus de sucre, il entend des rires dehors. Des fous-rires tonitruants.
  « Hé bien... tout le monde ne s’emmerde pas le samedi au boulot comme moi, tiens... » grimace-t-il en avalant une première gorgée de café réchauffé, trop acre et trop fort.
  Et puis, il entend un démarreur renâcler, une fois, et puis deux, et un bruit de moteur. Et un énorme crissement de pneus. « Oh non... Non... Pas ça... Non non non... » murmure-t-il en se précipitant vers la porte qu’il ouvre d’un coup de pied.
  Il a juste le temps de voir la police-secours s’éloigner, avec le gyrophare allumé, et disparaître au coin de la rue en lançant un petit coup de deux-tons. Un "pin pon" et puis plus rien.
  Et lui, il se met à courir au milieu de la rue. Il court comme un fou, et sa pensée va comme sa cavalcade, bousculée et en vrac. Bêtement, il pense à sa casquette qui est restée sur le siège. Et puis au rapport qu’il va devoir rédiger. Objet : Vol de police-secours et disparition de casquette. Abandon de poste. Une convocation à l’IGS sans casquette lui traverse l’esprit, il va expliquer qu’une police-secours s’est évadée du commissariat, lasse de ne jamais voir son moteur refroidir, et a embarqué une casquette en souvenir de son temps d’asservissement. Il va être révoqué, il va connaître le chômage, sa femme va le quitter, ses enfants le mépriseront, il sera la risée de tous, et sombrera dans la déprime et les neuroleptiques. Arrivé à l’angle de la rue, il rebrousse chemin, il va aller voir le chef de poste, et lui annoncer qu’il a égaré la police-secours, qu’elle était posée là, comme d’habitude, et qu’elle n’y est plus. Non, non, je n’ai pas bougé, je ne comprends pas ce qui a pu se passer. J’ai pourtant regardé partout, je ne l’ai pas trouvée. Oui, oui, je l’ai bien vue partir mais il n’y avait personne dedans. Rien que ma casquette. Merde, ça ne va pas être simple. Il en tremble, il ne se sent pas très bien. Le café était vraiment infect, il aurait mieux fait de rester dehors, à son poste. Il court, il trébuche, dans une vingtaine de mètres, il va à nouveau franchir la porte du poste, et il va affronter le chef. « Chef, il faut que je vous dise quelque chose… » Non, ça ne va pas comme ça. Et puis non, il va d’abord aller voir le collègue de la radio, parer au plus urgent « Heu… il faudrait faire passer un appel général, là. On a volé la police-secours. Non, il n’y a personne dedans. Enfin, il y a ma casquette, et c’est tout. »
  Il a envie de pleurer, c’est vraiment trop stupide ce qui lui arrive.
  Et c’est là que le miracle se produit. Face à lui, elle est là. Elle arrive, elle revient. Elle lui fait des petits clins d’œil avec ses phares, son gyrophare tourne et éclaire avec une grâce qu’il n’avait jamais remarquée, les murs du commissariat. Elle se gare devant lui, il ne rêve pas, il entend le grincement familier du frein à main.
  Quatre types qu'il a déjà vus descendent de la police-secours en pleurant de rire.
  L’un d’eux a sa casquette sur la tête.
  De travers.
  Et lui, il a le cœur qui bat, mais il trouve que la vie est belle.
  « Mais ne fais pas cette tête collègue ! On a juste fait le tour du pâté de maisons ! Tu vois, on était au resto juste là, on fêtait le départ en retraite de Philippe, et ce con, il a voulu faire un dernier tour de police-secours. Ça ne se refuse pas, hein, collègue ?
Oh, mais tu es tout pâle, dis ! Tu veux un petit café ? »

récit extrait de Police Mon Amour

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Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire

7 Septembre 2008

7 Septembre 2008

Vous avez aimé ma vie de flic ?
Vous allez adorer ma vie d'auteur !

ça va balancer.
à suivre...

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B. Desforges

#vies de livres