16 Juillet 2019

naloxone


Personne n’ignore la crise "opiacée" qui ravage l’Amérique du Nord au point de faire baisser l’espérance de vie d’un grand pays à coups d’overdoses. On a là un exemple effrayant d’une situation hors de contrôle, et en France, déjà quelques signaux qu’une telle crise sanitaire est dans le domaine du possible.

La prescription de médicaments opioïdes est bienvenue, vu leur utilité antalgique incontestable et leur moindre toxicité. Mais en même temps que leur consommation augmente, et qu’ils s’inscrivent dans l’effort de prise en charge de la douleur, le constat est fait d’un déficit d’information quant à la possibilité de dépendance, d’accoutumance, et au risque de survenue d’overdoses par dépression respiratoire.
Cet impératif de prudence est pourtant le prix à payer pour tous les usagers de ces molécules, que les produits soient illicites ou sur prescription.

Aujourd’hui, plus de 10 millions de Français consomment des opioïdes, cause d’au moins 4 à 5 décès par overdose par semaine. Certains sur qui le piège de la dépendance s’est refermé, en font un mésusage dangereux ou, faute de prescription, se tournent vers des médicaments au marché noir, ou des substances illicites, ou se dirigent vers des traitements de substitution aux opiacés (non sans risque, la méthadone tue plus que l’héroïne).

Parmi ces produits, le fentanyl et ses dérivés, opioïdes de synthèse 100 à 10000 fois plus puissants que la morphine, sont d’ores et déjà des produits de coupe de l’héroïne. Très addictif, actif à des doses infimes (la dose létale est de 2 mg) et bon marché, le fentanyl a de l’avenir…
Les laboratoires de police scientifique ont d’ailleurs édité il y a quelques mois, à l’attention de leurs techniciens, des consignes de sécurité de manipulation des fentanyloïdes.

Aujourd’hui donc, les médicaments opioïdes tuent plus et plus souvent que les drogues.

Il n’existe qu’un antidote à l’overdose, antagoniste des récepteurs opioïdes : la naloxone. Ayant reçu son AMM en janvier 2018, sous forme d’un spray nasal très simple d’usage (Nalscue), elle n’a pas bénéficié d’une campagne d’information qui aurait été justifiée. Indisponible en pharmacie et cantonnée aux structures de prise en charge des addictions, son accès est resté confidentiel.
Au mois de juin 2019, une autre forme de naloxone a été mise sur le marché, le Prenoxad, un kit d’injection contenant 5 doses, qui lui est accessible en pharmacie… pour ceux qui le savent.

Des débats et réunions ont eu lieu entre administrations, structures et professionnels concernés, des tribunes et communiqués ont été publiés qui tiraient le signal d’alarme : son accès doit être facilité, la naloxone est indispensable, et le sera de plus en plus.

Nous, forces de l’ordre de terrain, nous étonnons que la question de la dotation de naloxone aux premiers secours ne soit pas considérée comme une priorité.

Tout le monde s’accordant sur un état des lieux de l’usage des opioïdes et un décompte des overdoses peu optimistes, comment est-ce possible que policiers, gendarmes et pompiers, premiers conviés à chaque drame du quotidien, et très souvent les premiers sur place, n’aient pas été envisagés comme un vecteur simple et évident d’accès à la naloxone ?
 
Il est aujourd’hui évident que l’accès à la naloxone n’est pas optimal, que son utilité est insuffisamment connue, mais que c’est le seul produit approprié à l’urgence vitale d’une overdose.
Confier de la naloxone aux services de secours est une réponse incontournable à ce constat.

Il faut savoir que souvent, quand un appel arrive sur les numéros de secours 17 ou 18 - recours qui, pour ses délais d’intervention très courts, relève presque du réflexe dans ce type de situation d’urgence - les mots "drogue", "médicament" dont on a abusé, ou "overdose" ne sont pas prononcés. Par culpabilisation et surtout, par peur de la répression.
Alors les messages paniqués restent vagues, évoquent un malaise, une personne inconsciente, décédée même, la respiration étant devenue imperceptible. Et on perd du temps. Car en cas d’overdose, quand les précisions données ne font aucun doute, c’est un Samu qui est directement envoyé.
Alors dans la plupart des cas, ce sont les policiers, gendarmes, ou les équipages de premiers secours des pompiers qui, sur place, dans un domicile ou sur la voie publique, font appel au Samu. Ajoutant de fait, faute de naloxone, un délai qui peut être fatal à la victime d’overdose. Dans une grande ville, le Samu pourra ne pas trop tarder à arriver, mais ailleurs ?…

Forces de l’ordre et pompiers ont une formation en secourisme, ils savent reconnaître ou peuvent apprendre les signes de l’overdose et pratiquer les premiers gestes de secours appropriés. Mais ce n’est pas suffisant, la naloxone offre des chances de survie bien supérieures.
Cette molécule est sans effets secondaires, sans risque de surdosage, et inerte en cas d’erreur de diagnostic, il n’y a pas de risque à l’administrer.

États-Unis, Canada, Norvège… nombreux sont les pays qui ont remis des kits de naloxone aux premiers secours. Cette disposition répond à une logique d’urgence et de service public.
Dans l’État de New-York, policiers et pompiers ont administré de la naloxone à des victimes d’overdose avec un taux de succès de plus de 80% (chiffres 2014-2016).
 
Il est temps, et la situation l’exige, que les forces de l’ordre, dont la vocation est aussi l’assistance et le secours aux victimes, aient une approche de la question des drogues et opioïdes, et des consommateurs, autre que la répression, et soient impliquées dans la prévention et la réduction des risques.

Nous lançons un appel d’urgence aux administrations concernées, et osons dire que c’est une question de vie ou de mort.

  • Des kits de naloxone doivent être distribués aux services de premiers secours, dont la police et la gendarmerie. Une formation appropriée doit être incluse dans la formation initiale et faire l’objet de stages à cet effet pour les effectifs des services actifs concernés.
     
  • La naloxone doit être sous forme de sprays : en France, seuls les infirmiers et médecins sont habilités au geste de l’injection. Le Prenoxad n’est pas adapté. Cette forme est moins chère, certes. Mais nous ne nous hasarderons pas à mettre en débat le prix d’une vie.
     
  • Les effectifs devront être déchargés de responsabilité pénale et civile en cas d’échec de leur tentative de réanimation avec la naloxone.
     
  • Dans le même temps, une loi telle que le Good Samaritan Law (USA et Canada) doit être votée, qui assure à celui qui prévient les secours et aux éventuels témoins de l’overdose d’éviter toute poursuite judiciaire.
     
  • Et nous plaidons pour la dépénalisation de l’usage de toutes les drogues, et une politique publique réaliste, sans laquelle aucun travail de prévention, d’information et d’assistance ne pourra se faire avec efficacité et humanité.  

 

Le collectif Police Contre la Prohibition
et le syndicat Sud-Intérieur Solidaires

Paris, le 15 juillet 2019

 

Destinataires : Ministère de l’Intérieur, ministère de la Santé, Direction Générale de la Police Nationale, Présidence de la Mildeca, Direction Générale de la Santé, Bureau de la prévention des addictions de la DGS, Direction de l’ANSM.

Voir les commentaires

10 Mai 2019

 

Policiers et gendarmes du collectif Police Contre la Prohibition et du syndicat Sud-Intérieur, usagers de drogues des associations ASUD, CIRC, Norml-France, Principes Actifs, Psychoactif et Techno-Plus, et la Ligue des droits de l’Homme signent ensemble un appel à réformer la législation, partageant les mêmes constats et mêmes revendications à propos de la répression de l’usage de stupéfiants et de ses conséquences.


La question des drogues se place avec force arguments sur le plan de la santé et celui, essentiel, de la réduction des risques, laissant entre les lignes du débat, la réalité de la répression, son mécanisme et ses non-dits.
Or, c’est une question centrale. La politique des drogues est policière avant même d’être judiciaire.
Comment l’oublier alors que figure aujourd’hui dans la loi, l’amende forfaitaire délictuelle ? Ce dispositif met à mal les droits des usagers-justiciables, il fait des forces de l’ordre une autorité de constatation, de poursuite et de jugement, au mépris de la séparation des pouvoirs, et bien que figurant dans le Code de la santé publique, et s’appliquant à une conduite individuelle et à risques, il brise le lien avec… la santé publique.

Exactement calibrée pour constituer un appel d’air à la politique du chiffre, l’amende forfaitaire renforce l’arsenal répressif, et compliquera l'action des forces de l'ordre par une exigence accrue de "résultats", au prix d'un surplus de tensions et d’hostilité réciproque, dans les quartiers qu'on leur demande - selon les mots du gouvernement - de "reconquérir", alors qu’un apaisement police-population est urgent.

Tandis que d’autres pays font évoluer leur législation, et qu’au nom de la santé et du droit, nombre d’experts appellent à lever les mesures répressives, la France, pays le plus répressif d’Europe, s’obstine dans une logique prohibitionniste .
La consommation de cannabis et de cocaïne bat des records . La preuve est faite depuis longtemps que la sanction ne dissuade pas, et qu’à tous égards, la politique répressive menée depuis 1970 est un échec.

Cette répression est pourtant intense. Les forces de l’ordre consacrent plus de la moitié de leur activité d’initiative à interpeller et mettre des usagers de drogues en garde à vue, pour un délit mineur, sans victime, ni enquête puisqu’il est élucidé au moment où il est constaté.

Le délit d’usage de stupéfiants n’est qu’un prétexte. L’utilisation de statistiques ethniques par d’autres pays indique un tout autre aspect de cette traque à l’usager.
L’argument sanitaire est un alibi, et celui de la sécurité publique, un leurre.

C’est une forme de contrôle social qui s’opère, et il est plus juste de parler de répression des usagers et de criminalisation de groupes sociaux et d’individus, que de stricte répression d’un délit.
Contrairement aux autres infractions, l’action policière s’applique aux usagers de drogues pour ce qu’ils sont, et non pour ce qu’ils font ou ont au fond des poches.

Ce principe n’est pas nouveau. Aux USA les hippies ont payé le prix pénal de leur consommation de cannabis et de psychédéliques parce qu’ils contestaient la guerre au Viet-Nam, la guerre à l’héroïne visait la communauté pauvre afro-américaine. Aujourd’hui, le prétexte de la répression des Noirs est le crack, bien plus sévèrement puni que la blanche cocaïne, alors que le principe actif est le même. Pendant ce temps, la classe moyenne blanche s’intéresse de trop près aux opioïdes et en meurt. Les overdoses se comptent par centaines de milliers. C’est pour ces usagers de drogues, qu’aujourd’hui l’Amérique place la santé devant la sanction. Cherchez l’erreur ?
En France, la loi de décembre 1970 a été votée sous pression du gouvernement, par des députés peu convaincus du bien-fondé de la répression de l’usage de drogues, en réponse et injonction morale aux contestataires de mai 68 qui n’avaient cessé de vouloir refaire le monde.

Cette répression aux allures d’automatisme pavlovien, s’inscrit donc dans une culture policière qui consiste en des pratiques discriminantes, injustes, parfois brutales. C’est la jeunesse visible dans l’espace public, les quartiers populaires, la précarité, l’origine immigrée, le faciès et l’apparence, qui sont ciblés via des contrôles d’identité.

La politique du chiffre - dont l’objet est de communiquer un bon indice d’activité des services, lui-même adossé à un système d’indemnités de performance qui implique toute la hiérarchie de la police et de la gendarmerie - ne peut pas se passer de la répression de l’usage de stupéfiants et du taux d’élucidation de 100% que présente ce délit. Et cette répression ne peut exister qu’à la faveur d’un ciblage particulier et de contrôles d’identité, seule activité policière qui échappe à une comptabilité méticuleuse.
 
Répression de l’usage de drogues, politique du chiffre et contrôles d’identité forment un système toxique qui ne sert ni la sécurité et la santé publiques, ni le service public.

Il n’est raisonnablement plus possible de mettre les forces de l’ordre sous pression, de leur répéter que "dix fumeurs de shit en GAV valent mieux qu’un trafiquant", et d’exiger d’eux une répression en laquelle plus personne ne croit, et des contrôles d’identité dont le seul but est de découvrir du stup, au seul motif de faire du chiffre.
La répression coûte 1.13 milliards d’euros/an au contribuable, soit 77% de l’argent public alloué à la politique des drogues, il est temps de rendre des comptes.

Il n’est humainement plus acceptable que, pour faire du chiffre, des usagers de drogues soient soumis à la sanction pénale au risque d’exclusion sociale. Ils ne sont coupables que d’un plaisir, un choix personnel, ou dans le pire des cas un problème d’addiction, de santé.
Le Portugal a dépénalisé l’usage de stupéfiants depuis 2001, et aménagé une législation hors du champ pénal, dont le succès est total. La consommation de drogues est parmi les plus basses, et taux d’overdoses le plus bas d’Europe.

Nous lançons un appel pour que la France mette fin à la prohibition, sorte d’un immobilisme aveugle, et qu’enfin les vrais enjeux des politiques publiques des drogues soient considérés.

  • Que l’article L.3421-1 du code de la santé publique qui prévoit la répression de l’usage de stupéfiants soit abrogé, et remplacé par des dispositions privilégiant le droit, la santé et la réduction des risques.
     
  • Que la mesure statistique de l’activité policière et de la criminalité n’ait plus à subir le biais de la politique du chiffre au détriment de la sécurité publique. Et qu’il soit alors envisagé que les indemnités attribuées aux cadres, puissent rémunérer d’autres missions incombant à la hiérarchie (bien-être au travail, prévention des suicides…)
     
  • Que les contrôles d’identité soient encadrés, par un récépissé, ou un chiffrage au même titre que n’importe quelle mission des forces de l’ordre.

 

Tribune publiée dans Libération
le 10 mai 2019

 

Voir les commentaires

18 Mars 2019


Suite à sa diffusion dans l’émission Droit De Suite sur LCP, débat et discussion autour des questions que ce très bon documentaire soulève : Policiers : le grand blues ?
Un film à voir absolument !

Avec François Chilowicz, auteur de Dans la tête d’un flic, Mathieu Zagrodzki, chercheur en sciences politiques, spécialisé dans la sécurité quotidienne et la police, Jean-Michel Fauvergue, député LREM de Seine-et-Marne, ancien commissaire de police et patron du RAID, et moi.
 

Deux de mes interventions :

À propos de la politique du chiffre : « Elle a toujours plus ou moins existé (..) Ce n'est pas une légende urbaine (...) Elle pose problème aux policiers parce qu'elle leur fait faire un travail qui n'a pas de sens Elle fabrique des infractions mais pas nécessairement de la sécurité. »

 

« La police est un métier à risques (…) La présence policière s'est effacée au profit d'une police d'intervention. Ça ne peut pas fonctionner comme ça. Quand les gens vous connaissent, ils ne vous caillassent pas (…) Une présence qui fait aussi office de prévention... mais si on veut reparler de politique du chiffre, la prévention n’est pas quantifiable, n’est pas comptabilisable… »

 

Voir les commentaires

Bénédicte Desforges, ex lieutenant, auteur

#politique du chiffre, #revue de presse