19 Mai 2009

 

  « Je vois partout des vérités captives, quel ordre de la merci se lèvera pour les racheter ? Notre affaire est de chercher le positif en toutes choses, d'user du vrai moins pour frapper que pour guérir.
  Il y a si peu d'amour dans le monde, les cœurs sont si froids, si gelés, même chez ceux qui ont raison, les seuls qui pourraient aider les autres.

  Il faut avoir l'esprit dur et le cœur doux.
  Sans compter les esprits mous au cœur sec, le monde n'est presque fait que d'esprits durs au cœur sec et de cœurs doux à l'esprit mou »
.

 

Réponse de Jacques Maritain à Jean Cocteau
(oeuvres complètes de Jacques et Raïssa Maritain)

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7 Mai 2009


  Voilà. Maintenant que je vous ai aligné quelques histoires drôles, il est temps de passer aux choses sérieuses.
  Un coup d’œil à mon mouchard qui me balance toutes les requêtes Google qui vous font atterrir ici, m’indique clairement qu’on rentre dans la saison de la fourragère.
  On en avait déjà parlé ici-même il y a presque un an.
(Je constate par la même occasion que je n’avais mis qu’un R à fourragère, et j’en suis honteuse. Tu parles d’une performance pour un flic qui s’improvise écrivain. Je vais prendre une pelle et aller m’enterrer sous vos quolibets, tiens...)
  Et là encore, questionnement annuel récurrent, Google me rapporte donc le caractère hautement anxiogène du port de ce bazar à boucles et à ficelles plus techniquement appelé « fourragère », et qui n'est jamais livré avec une notice de montage.
  Sérieusement, votre désarroi, voire votre détresse, face à ce casse-tête fait peine à voir.
  Bref. La fourragère.
  Alors en effet, demain c’est le 8 mai et vous allez, mes chers collègues, vous taper un peu de bitume. On l’a tous fait, alors les gamins, arrêtez de rouspéter et n’y voyez aucune malice de la part de votre administration chérie. C’est la coutume. Il y a des saisons pour fourrager et d’autres pour triquer, c’est ainsi et c’est pas négociable. Vous n’avez qu’à demander aux anciens qui d’après moi vous répondront par un simple Pffff, et l’air de dire
« Mon petit, t’as encore rien vu. »
  À intervalles réguliers au bord des trottoirs, un flic avec une fourragère, c’est du plus bel effet, ça vous décore une ville comme c’est pas permis. Bah oui.
   Et puis vous remettrez ça le 14 juillet, le 11 novembre, à Halloween, aux sorties de promos et aux enterrements.
  Il est donc grand temps que vous arrêtiez de vous prendre le chou devant votre miroir, vous avez l’air de quiches à vous tripoter frénétiquement l’épaule.
  Mais j'ai plein d'affection pour vous, je suis passée par là, désemparée comme jamais, j'en aurais quitté la police, et je ne veux pas que vous vous couvriez de honte avec une fourragère mal mise.
  Sans désemparer, on ne va pas paraphraser, je vous remets donc l’extrait de l’année dernière à ce sujet.

Là, je peux faire quelque chose pour toi. Regarde comment la chose se porte :
 

attends quelques jours, tu feras moins la fière...

L'un est préfet, l'autre commissaire divisionnaire, ils ont du savoir-faire.
Et moi, j'étais jeune, j'avais des grosses joues et un joli chapeau. O_o 
remarque : major de promo de gardiens de la paix, c'est mon meilleur classement, qui m'a permis de choisir direct un poste en anti-criminalité, possibilité qui n'existe pas sur wikio,
et ça c'est ballot, parce qu'il y a des violences policières non répertoriées par Amnesty qui se perdent (rajout 2009 pour le coup)

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Bénédicte Desforges

#au jour le jour, #actu police

7 Mai 2009

  Ce n’était même pas un parquet en bois. Elle aurait sûrement préféré. C’était un lino imitation bois, usé, avec des coins décollés, des taches de soleil pâle, et des brûlures de cigarettes. Elle avait repoussé les quelques meubles vers les cotés de la pièce de façon à former un carré vide, et elle s’était installée au milieu. Elle avait passé une tunique blanche et ceint et serré sa taille de plusieurs tours d’une fine et large écharpe de satin blanc. Elle avait tiré ses cheveux en arrière et les avait tressés. Elle était maquillée de rouge aux lèvres et aux joues.
  Je pense qu’elle avait d’abord dû s’agenouiller, pieds nus, et s’asseoir sur ses talons, tournant le dos à la fenêtre. Elle avait entravé ses jambes l’une contre l’autre avec une cordelette.
  C’est comme ça qu’il fallait faire.
  Question de pudeur.
  Et puis elle avait posé le couteau face à elle, parallèle à l’axe de ses genoux, la lame tournée vers la gauche. Elle avait dû le regarder, quelques instants peut-être, ou un temps long comme un bout de vie.
  C’est comme ça qu’il fallait faire.
  Sans une larme et sans un doute.
  Elle avait écarté les pans de sa tunique, et posé la pointe de la lame sur son ventre, à gauche de son nombril, en tenant le manche à deux mains. Elle a enfoncé la lame jusqu’au plus profond de ses entrailles, et elle l’a tirée à travers son ventre, au dessus de la ceinture qui tentait de retenir ses intestins qui se répandaient sur le lino imitation bois.
  C’est comme ça qu’il fallait faire.
  Il n’y a pas d’autre manière de le faire.
  Elle a vomi sur sa tunique, et elle est tombée sur le coté, les genoux serrés et les deux mains encore agrippées au manche du poignard.
  Elle avait la position d’un fœtus assassiné.

  Pourquoi a-t-elle fait ça, Khadidja ?
  Ce n’est pas comme ça qu’il fallait faire.
  Pourquoi n’a-t-elle pas fait comme ses copines de désespoir, avalé une boite de barbituriques, de l’alcool ou n’importe quelle merde à destruction, et téléphoné aussitôt à ceux que ça emmerdera le plus. Les maudire. Les accuser. Les insulter. Leur dire que tout est de leur faute, qu’elle va crever sur l’autel de leur indifférence. Et ces cons-là, elle sait ce qu’ils auraient fait ? Ils auraient appelé les pompiers, ou bien nous, et on serait arrivés, on aurait défoncé la porte, on lui aurait collé des gifles en lui hurlant dans les oreilles.
« Parle-moi ! Parle-moi ! Ouvre les yeux ! Qu’est-ce que t’as avalé ? Où est la boite ? »
Elle nous aurait d’abord détestés, et puis elle aurait pleuré sur une épaule bleu marine inconnue, et oublié qu’elle ne nous connaissait pas.
  Pourquoi ne s’est-elle pas connement tranché les veines du poignet dans le mauvais sens, celui qui ne saigne pas trop, transversal, celui qui laisse des petits traits blancs qu’on exhibe avec complaisance en se rappelant du jour où on n’a pas tout à fait voulu mourir. Ça lui aurait donné un genre, un air de ténèbres, un air de ceux qui n’ont peur de rien, même pas d’avoir mal, même si c’est que des conneries.
  Ne pouvait-elle pas se suicider comme tout le monde ? Trafiquer son dernier rôle pour laisser une chance aux hasards de ceux qui n’en ont rien à foutre ? S’accorder un temps de plus pour s’y habituer à ceux-là ?
  Pourquoi n’a-t-elle pas fait l’hystérique ? Pourquoi elle n’a pas fait semblant de mourir comme plein de filles de ton âge ? Pourquoi tout ça... pour qui, tout ça...
  Quelle trahison, quelle infamie a-t-elle punie de cette façon-là. Dans sa djellaba blanche, avec son couteau de boucher. Mais qu’est-ce qu’elle a donc fait, cette petite conne, c’est pas permis de faire ça comme ça. Elle avait le nom de la première femme, celle qui n’était même pas vierge, qui est restée la seule et l’unique jusqu’à sa mort. Elle croit qu’on ne l’a pas vue, la Kaaba encadrée sur le mur ? C’était quoi son déshonneur, petite fille du bled, pour se crever de cette façon, sans personne pour le coup de grâce. Même sa mise en scène n’était pas conforme.
  Elle n’a même pas laissé trois lignes sur un bout de papier, Khadidja, elle a tout écrit avec ses tripes, avec une encre rouge incompréhensible, qui puait le fer. C’était écrit trop gros, et on ne connaît pas cette langue. Elle n’a rien crié, personne n’a rien entendu, elle a juste dégueulé sa douleur. Et glissant sur le manche du couteau, en s'assassinant, elle a déchiré ses deux mains.
  Elle avait les yeux ouverts, Khadidja, après le sacrifice, de grands yeux de chatte orientale qui ne donnaient aucune explication. Qu’est ce qu’elle est allée chercher en Extrême-Orient, cette princesse, avec sa bouche rouge de théâtre, c’était quoi sa légende, pour qu’elle s’éventre comme ça sur son pauvre parquet ? C’est quoi le sens de tout ça, cette mort qui lave et qui répare, ce supplice solitaire… Pourquoi a-t-elle choisi de mourir en japonais ?

  Elle a pensé aux cerisiers ?

  Pourquoi elle a fait ça comme ça ?

texte extrait de Police Mon Amour

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Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire