“television et cinema”

10 Janvier 2012

Sabah n’est pas un documentaire, c’est une fiction.
Ou alors, un documenteur comme aime bien dire son réalisateur, Farid Lozès.

Sabah n’a jamais existé, mais elle aurait pu.
La ville où vit Sabah n’existe pas non plus, et pourtant, on a l’impression d’y être déjà passé. Elle ressemble à mille autres villes, mais elle n’est aucune d’entre elles. Ou alors toutes à la fois.

Et l’histoire est celle du tournage d’un documentaire en banlieue, incroyablement réaliste.
Une vraie leçon faite aux vrais documentaires… L’angle choisi n’est pas celui – attendu, souvent - de la délinquance, mais de la culture, à travers le portrait de Sabah, responsable d’une association de quartier.
On devine que son regard sur le monde et les gens est un peu celui de Farid Lozès… créatif, enthousiaste, généreux, et obstinément citoyen.

Le talent de Farid Lozès a été avec Sabah de contourner tous les clichés inhérents au sujet, avec un casting et des rôles d’une justesse étonnante. Sans outrance et sans complaisance non plus.
L’histoire de Sabah invite à réfléchir.
La solidarité, la responsabilité, l’engagement, le rôle des médias quand il s’agit pour faciliter les discours de placer des étiquettes indélébiles sur les uns et sur les autres, beaucoup de sujets d’autant plus essentiels que cette fiction deviendra une tragique réalité, un an après le tournage du film.

scénario et réalisation : Farid Lozès
production : AS DE PIC

Sabah est la fondatrice de l'association Malices qui dynamise un quartier autour de projets culturels. Une équipe de journalistes vient faire un reportage. Sabah accepte d'être filmée et interviewée dans le quotidien de l'association. A travers son portrait, on découvre une banlieue qui bouge et l'existence d'une jeunesse en demande de moyens culturels et artistiques.

Tourné en 2004, diffusé sur France 2 en 2006, 2007 et 2008, ainsi que sur TPS STars, TV5, Sabah est régulièrement diffusé en salle pour des débats à travers toute la France, y compris dans des établissements scolaires. Il sert aussi de support pédagogique pour animateurs et professeurs, et d'outil d'échange avec des policiers, pompiers, élus, et journalistes.

Sabah

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7 Avril 2010

tomb raider

   Ça sort aujourd’hui, c’est tout neuf, tout beau, tout propre sur soi, et ça vous est vendu comme un film qui enfin met des gardiens de la paix en vedette. C’est sûrement pour ça qu’ils sont en civil sur l’affiche.
   Ce film, j’ai pu le voir l’autre jour, en avant-première chez Gaumont avec d’autres fonctionnaires de police. Que des fonctionnaires de police. Une avant-première pour flicards. C’est peut-être pour ça qu’on n’a pas pu discuter avec l’équipe du film après la projection. Ils n’étaient plus là.
   Juste avant, on nous a présenté la productrice et le réalisateur. Il m’a dit qu’il avait donné mon FLiC à lire aux deux comédiens pour qu’ils en inspirent leurs personnages. Vous m’en voyez très flattée, je lui ai dit. Mais je le savais déjà, j’avais lu et vu des interviews où mon livre était cité (une révélation, oui, on y lit que les flics ont un petit cœur sensible qui bat sous le gilet pare-balles). Mais ce n’est pas tout. Ils se sont également préparés à endosser le rôle en faisant des séances de tir (à balles réelles, précise-t-il), en observant la gestuelle du gardien de la paix dans son milieu naturel, et en se baladant pendant deux mois avec une carte de police sur eux - ça le fait marrer d’insister sur ce détail. Pourquoi pas, après tout. J’en suis presque à souhaiter qu’ils s’en soient servi pour éprouver la brème-power...
J’étais donc plutôt curieuse de voir le film.
   La communication autour de la promotion de Gardiens de l’ordre semblait être basée sur cette particularité, la descente aux enfers de deux gardiens de la paix, avec insistance sur le grade, l’uniforme, et tout le tralala.
   Il s’agissait sans doute de faire la différence avec les polars à la française, de se distinguer des styles dominants de Melville et de Marchal, et leurs sombres héros de police judiciaire. Et pourquoi pas - sans finir par un suicide ou tragiquement, dans le whisky-prozac - louer les rustiques qualités des flics de base, ces mal-aimés, pour attirer un public séduit par la dimension réaliste de ces gens simples à qui tout peut arriver, bref un bon public formaté à la sympathie pour l’ordre plus que la paix, et les métiers prolo-insignifiants. Le tout assaisonné d’une étonnante insistance sur le titre de mon livre – FLiC, requalifié d’autobiographie d’une gardienne de la paix – en guise de notice d’emploi du flic avec intense imprégnation de réel, comme s’il s’agissait de clamer cette caution de crédibilité empruntée malgré moi, sans avertissement et sans sommation.
   Bref, qu’importe. Les acteurs sont beaux l’un et l’autre, on n’allait pas devoir entrer en empathie avec un Pinot, flic simple et bedonnant, et c’était plutôt de bon augure.

   Ça commence fort. Tapage nocturne, ouvrez, c’est la police ! en restant bien devant la porte pour se prendre la balle là où ça fait 10 points cash (révoquez-moi ce moniteur de tir) et boum ! un flic meurt sous le coup de feu d’un jeune homme de bonne famille, sous amphétamine phosphorescente non répertoriée au catalogue. Le gardien de la paix Cécile de France riposte mais ne le tue pas, ce qui permet au gugusse de prétendre qu’il n’a pas tiré le premier. Pas de chance, l’IGS au grand complet fait une grève du zèle ou s’est tirée en pique-nique, et le commissaire peut donc, tout seul et sans enquête, conclure qu’il y a bavure parce que le type en question est fils de député, et ça ne se passera pas comme ça.
   Les deux gardiens de la paix, au lieu de s’émouvoir de la mort de leur collègue que personne n’a pensé à ramasser sur le palier et dont tout le monde se fout, ou de faire appel au Canard Enchainé pour dévoiler le scandale, décident de se métamorphoser en James Bond et Tomb Raider pour choper eux-mêmes le gros narcotrafiquant (les stups sont à la plage) et sauver non pas la pension de reversion et la mémoire de leur collègue qui est toujours sur le paillasson, mais leur boulot. On ne va pas se laisser révoquer comme ça, nonméooo !... boudiou, que c’est mesquin. Ils n’auront revêtu l’uniforme de gardien de la paix que les vingt premières minutes du film, le pari était trop dur à tenir jusqu’au générique de fin.
   On ne peut décemment pas infiltrer la pègre de la nuit et de la came avec un uniforme de gardien de la paix, faut pas que déconner.
   Ni en habitant un HLM pour flics, non, il est préférable d’aller péter les scellés d’un appartement cossu, ça va mieux avec une robe Prada, et ni vu ni connu je t’embrouille, nous voilà dans un trip typiquement marchalien, à savoir des flics ténébreux dans un habitat incompatible avec leur paye, qui vont résoudre seuls contre tous, un truc énorme avec leurs petites mains.
   Alors stop les incantations au réalisme et au charme du flic de base.
   Surtout qu’on s’en tape un peu du réalisme, voyez-vous, c’est bien une fiction qu’on regarde, pas un documentaire.
   Ce n'est pas que ça manquait de police-secours ou de timbre-amendes, de routine anxiogène ou de malfrats sans envergure, il ne fallait juste pas qu’il y ait cette image du personnage ordinaire qui, comme une larve maladroite sort de son moche cocon bleu marine, pour devenir un merveilleux papillon de nuit en robe noire et escarpins ou en costard sur mesure. Inexploitable, l’uniforme, pas moyen d’en faire une sape de héros, il n’est ici qu’un titre et un prétexte de marketing supposément original.
   Je t’en foutrais du flic de base, du gardien de la paix ou de l’ordre, quand il flingue tout et n’importe quoi à longueur de film, laissant des cadavres de dealers derrière lui pour finir comme dans un jeu vidéo, avec un big boss à effacer, dernier survivant du massacre d’un scénario anémique.
   Il me fait rire le gardien de la paix qui prend cent fois la pose pour tirer, tête légèrement penchée et maquillage en vrac, robe sexy cela va de soi, mais tout le monde n’est pas Nikita pour rendre une tuerie sublime, et un coup de feu émouvant.
   Le pari est raté encore une fois.
   Deux flics banalement borderline trainent le long d’une histoire prévisible leurs caricatures de gentils justiciers aux yeux tristes, face à des méchants qui ont des vraies têtes de méchants, et tout le monde tire sur tout le monde à la moindre contrariété.
   Affaire suivante.

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28 Novembre 2009

  Comme je n’ai pas vu Braquo, j’ai décidé d’interviewer un capitaine de police qui avait tenté l’aventure. Pour lui permettre de garder l’anonymat et d’échapper aux caméras de vidéosurveillance, je ne dévoilerai pas son identité.

BD : Donc, vous avez Canal+.

Capitaine X : Oui. Mais je n’ai regardé que deux épisodes. Après j’ai dormi.

Pas grave, on fera avec. En préambule, j’aimerais en dire un peu plus sur vous. Vous travaillez dans les quartiers sensibles d’un département dont le numéro commence par 9 et finit par 3, est-ce exact ? Et vous avez commencé votre carrière comme gardien de la paix.

J’en ai un peu honte, mais oui je fus gardien de la paix.

Je dois vous poser une question avant toute autre, et ce afin de vérifier que nous n’allons pas parler d’une contrefaçon : Est-ce que l’histoire commence mal ?

En effet, ça commence très mal.
Mais il y a un générique juste avant. Des images floues en noir et blanc, des voitures de police, des calibre douze, des têtes patibulaires mais presque, au son d’un riff de guitare basse invitant à une marche funèbre.

Donc, c’est bien du Marchal. On nous avait prédit un Shield à la française, la série a-t-elle tenu ses promesse ?
Je précise au passage que j’ai beaucoup aimé The Shield, sauf la dernière saison bien trop morale à mon goût. En effet, les méchants meurent tous, et Vic Mackey finit en costard cravate dans un bureau de la Préfecture de Police escalier C.


C’est une sorte de Shield yes, mais version lourdingue, noir et rock’n roll. J’en ai renversé un bol d’olives sur la moquette.

Expliquez-nous.

C'est l'histoire d'une brigade "de choc" (but you can call it groupe VP in french) dirigée par un commandant qui s’appelle Caplan comme dans La Mort aux Trousses avec un C à la place du K, qui boit du JB et habite sur une péniche comme dans Les Ripoux.
Autour de lui, il y a des flics habillés en jeans et cuir, dont un vrai aspirateur à coke qui sniffe à toute heure du jour et de la nuit, et roule sur une grosse moto avec le flingue bien visible à la ceinture. Et il y a aussi un chauve qui ressemble évidemment à Vic Mackey et qui roule en 4x4 noir.
Le proc ressemble à Torquemada, un autre magistrat est le clone de Rachida Dati, et le commissaire ne sait pas faire les nœuds de cravate mais c’est plus hype comme ça, et il doit être muté à Montpellier comme dans Adieu Poulet.
Les flics ne font jamais de procédure parce que c’est carrément pas assez cinégénique.
La première scène, première bavure, un collègue un peu énervé plante un stylo dans la gorge d’un violeur présumé innocent, pendant qu’une équipe va braquer un avocat en pleine séance de bondage. Et après, c’est le drame dans un bureau de l’IGS.
Là, j’ai repris des chips, et j’ai dû dire à ma femme que ça ne se passait pas du tout comme ça dans la police.
Le commandant de l’IGS est une caricature. Un mélange d’homosexuel refoulé et de Matrix en simili skaï, avec une coiffure de chanteur des années 80 et une boucle d’oreille pour faire plus déjanté. Bœuf-carottes totale fiction, quoi.
Ah, et il y a un flic femelle ! Un lieutenant qui vit avec un photographe beaucoup plus vieux qu’elle, dans un loft du tonnerre bien sûr. Mignonne, sauvage, j’ai tout de suite pensé à vous bien sûr.

Ah ? Faut pas vous gêner dites donc !

J’ai toujours grave kiffé les femmes flics, et là j’imagine bien une scène… version Marchal.
Gros plan sous la douche sur une superbe fille. Les carreaux sont verts crade, on a mis un filtre bleu sur l'objectif pour rendre les couleurs encore plus fades. L'éclairage est au dessus avec une température de couleur bien froide pour marquer les cernes. La fille ne porte aucun fard, ni même rien d'autre. C'est une brune à la peau blanche et l'on devine qu'elle n'est pas allée voir l'esthéticienne depuis plus d'un mois.
C'est du vrai ciné, merde quoi ! Du vrai ciné, sans complaisance !
Gueguedian n'a qu'à bien se tenir avec sa bouillabaisse du Panier.
L'eau chaude crée de la vapeur qui enveloppe cette héroïne forcément fragile et bien foutue. Elle a les pointes des seins tendues et se racle la gorge bruyamment, crachant ses dernières clopes. Aujourd'hui elle a auditionné plusieurs crevures mais rien à faire. Pas moyen de savoir ou ils ont planqué leurs poppers. Ils n'ont pas arrêté de l'insulter lors des auditions. Sales couilles molles !
Il y a un tabouret en formica rouge à coté de la douche, et une bouteille de sky est posée dessus. C'est pas une pub pour Evin quoi ! Merde !
Y'en a marre des séries fadasses. On veut du réel, du quotidien bien glauque. Et du sky sous la douche pour rendre la scène bien crédible.
Navarro peut s'accrocher, Marchal peut faire bien pire...

Ça vous ennuierait de sortir de la douche et revenir à nos moutons ? J’ai du mal en placer une, là...

Je m’en voudrais de déflorer l’anémie du scénario.

Détendez-vous, respirez par le nez, expirez par la bouche.

Notre héroïne fait un long monologue. Elle picole à en perdre haleine... PUTAIN ! Quelle vie de flic... La fille a dû sortir la boite à baffe aujourd'hui, et un avocat véreux (pléonasme), lui a craché à la gueule que son client trouvait le pavé de biche sauce grand veneur trop cuit ; il a renvoyé le plat au chef de poste. Putain de métier....
Le dealer se nomme Momo. Évidemment.
Marchal a peur du 93, il n'ose même pas le nommer alors il le transfère sur le 92.
Il termine avec un hommage à Damien, un collègue de la BAC 93 qui est mort au boulot. Mais qu'est ce que cet hommage vient faire là ? Putain de scénario… Voila. Marchal est égal à lui même, tout est égal, partout égal...

Le quota de collègues issus des diversités a-t-il été respecté ?

Affirmatif. Le "copain noir" est sagement rangé dans le porte-flingue de Bruce Willis, pas le genre qu'on enfile après dix minutes de lutte et qui laisse le gun tomber dès que l'on enlève la pression. Sinon, aucun collègue des îles ou du bled. Dommage.

Mais pourquoi avoir pondu un truc pareil ?

C'est The Shield à la française, ma pov’ dame.
Vic Mackey commettait ses pires péchés dans une église. Dans Braquo, on n’a pas évité l’entrepôt crade. C’est artificiel. C'est pingre. On aurait pu le faire dans une ancienne synagogue ou une vieille mosquée désaffectée, non ? Marchal, t'es pas joueur.
Les héros sont forcément fatigués, forcément alcooliques, forcément fumeurs, et se font casser la gueule avec le même plaisir qu'ils cassent la gueule des dealers. Les coups, quand ils vous arrivent… oh oui ! Oh ça fait mal ! Allez Johnny, la même s'il te plait...
Là, j’ai fini le paquet de chips, bu tout le whisky et pissé dans le ficus. Ensuite, j’ai renversé la table, et j’ai foncé chez mon voisin pour lui coller des grosses baffes et violer son épouse.

Pensez-vous que l’on soit dans une fiction réaliste qui puisse servir l’image de la police ?

(Capitaine X essuie une larme) La police est décrite comme pourrie, à l'image de la société. Le héros se plaint que le métier a changé, genre "on ne peut plus rien faire, alors on en a rien à faire". Tous les coups sont permis. Petit raisonnement…
Le Proc on l'emmerde, le patron on l'emmerde, les flics se mettent des rails de coke dans le nez. Ils roulent dans des 4x4 noirs comme Vic et pleurent au volant dès qu'ils comprennent qu'ils ont fait de "grosses bêtises".
Ils ont des spasmes dans la mâchoire en gros plan. C'est du grand ciné ça, coco. Et ils ne pleurent pas aux enterrements mais chialent comme des hyènes en garde à vue dès qu'on leur pose une question trop pointue.

Le flic borderline à la française manque décidément d’envergure. Pathologiquement égocentré, et jamais complètement méchant. Quelle misère… Sinon, Marchal a-t-il allumé la lumière ?

Négatif.

Regarderez-vous la saison 2 ?

Joker. Mais putain que cette série me fout les boules ! En filmant sans véritable intrigue, on fait un gros navet. Tapageur certes, mais rien de plausible.
Le commissaire Moulin, c’est du grand documentaire à côté !
Je regrette déjà l'histoire de Tchoupi que je viens de raconter à ma fille. Au moins on y apprend qu'il ne faut pas faire du vélo sans les mains.
De Julie Lescault à Marchal, on a oublié le principal. Il doit bien y avoir quelque chose au milieu.

Une dernière question avant de vous laisser repartir vous faire caillasser. Dans les épisodes que vous avez vus, représente-t-on d’une façon ou d’une autre la cheville ouvrière de la police, plus communément appelée gardiens de la paix ?

Les quoi ?

Merci d’avoir accepté cet entretien.

Interview réalisée sans trucage

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