
Comme je n’ai pas vu Braquo, j’ai décidé d’interviewer un capitaine de police qui avait tenté l’aventure. Pour lui permettre de garder l’anonymat et d’échapper aux caméras de vidéosurveillance, je ne dévoilerai pas son identité.
BD : Donc, vous avez Canal+.
Capitaine X : Oui. Mais je n’ai regardé que deux épisodes. Après j’ai dormi.
Pas grave, on fera avec. En préambule, j’aimerais en dire un peu plus sur vous. Vous travaillez dans les quartiers sensibles d’un département dont le numéro commence par 9 et finit par 3, est-ce exact ? Et vous avez commencé votre carrière comme gardien de la paix.
J’en ai un peu honte, mais oui je fus gardien de la paix.
Je dois vous poser une question avant toute autre, et ce afin de vérifier que nous n’allons pas parler d’une contrefaçon : Est-ce que l’histoire commence mal ?
En effet, ça commence très mal.
Mais il y a un générique juste avant. Des images floues en noir et blanc, des voitures de police, des calibre douze, des têtes patibulaires mais presque, au son d’un riff de guitare basse invitant à une marche funèbre.
Donc, c’est bien du Marchal. On nous avait prédit un Shield à la française, la série a-t-elle tenu ses promesse ?
Je précise au passage que j’ai beaucoup aimé The Shield, sauf la dernière saison bien trop morale à mon goût. En effet, les méchants meurent tous, et Vic Mackey finit en costard cravate dans un bureau de la Préfecture de Police escalier C.
C’est une sorte de Shield yes, mais version lourdingue, noir et rock’n roll. J’en ai renversé un bol d’olives sur la moquette.
Expliquez-nous.
C'est l'histoire d'une brigade "de choc" (but you can call it groupe VP in french) dirigée par un commandant qui s’appelle Caplan comme dans La Mort aux Trousses avec un C à la place du K, qui boit du JB et habite sur une péniche comme dans Les Ripoux.
Autour de lui, il y a des flics habillés en jeans et cuir, dont un vrai aspirateur à coke qui sniffe à toute heure du jour et de la nuit, et roule sur une grosse moto avec le flingue bien visible à la ceinture. Et il y a aussi un chauve qui ressemble évidemment à Vic Mackey et qui roule en 4x4 noir.
Le proc ressemble à Torquemada, un autre magistrat est le clone de Rachida Dati, et le commissaire ne sait pas faire les nœuds de cravate mais c’est plus hype comme ça, et il doit être muté à Montpellier comme dans Adieu Poulet.
Les flics ne font jamais de procédure parce que c’est carrément pas assez cinégénique.
La première scène, première bavure, un collègue un peu énervé plante un stylo dans la gorge d’un violeur présumé innocent, pendant qu’une équipe va braquer un avocat en pleine séance de bondage. Et après, c’est le drame dans un bureau de l’IGS.
Là, j’ai repris des chips, et j’ai dû dire à ma femme que ça ne se passait pas du tout comme ça dans la police.
Le commandant de l’IGS est une caricature. Un mélange d’homosexuel refoulé et de Matrix en simili skaï, avec une coiffure de chanteur des années 80 et une boucle d’oreille pour faire plus déjanté. Bœuf-carottes totale fiction, quoi.
Ah, et il y a un flic femelle ! Un lieutenant qui vit avec un photographe beaucoup plus vieux qu’elle, dans un loft du tonnerre bien sûr. Mignonne, sauvage, j’ai tout de suite pensé à vous bien sûr.
Ah ? Faut pas vous gêner dites donc !
J’ai toujours grave kiffé les femmes flics, et là j’imagine bien une scène… version Marchal.
Gros plan sous la douche sur une superbe fille. Les carreaux sont verts crade, on a mis un filtre bleu sur l'objectif pour rendre les couleurs encore plus fades. L'éclairage est au dessus avec une température de couleur bien froide pour marquer les cernes. La fille ne porte aucun fard, ni même rien d'autre. C'est une brune à la peau blanche et l'on devine qu'elle n'est pas allée voir l'esthéticienne depuis plus d'un mois.
C'est du vrai ciné, merde quoi ! Du vrai ciné, sans complaisance !
Gueguedian n'a qu'à bien se tenir avec sa bouillabaisse du Panier.
L'eau chaude crée de la vapeur qui enveloppe cette héroïne forcément fragile et bien foutue. Elle a les pointes des seins tendues et se racle la gorge bruyamment, crachant ses dernières clopes. Aujourd'hui elle a auditionné plusieurs crevures mais rien à faire. Pas moyen de savoir ou ils ont planqué leurs poppers. Ils n'ont pas arrêté de l'insulter lors des auditions. Sales couilles molles !
Il y a un tabouret en formica rouge à coté de la douche, et une bouteille de sky est posée dessus. C'est pas une pub pour Evin quoi ! Merde !
Y'en a marre des séries fadasses. On veut du réel, du quotidien bien glauque. Et du sky sous la douche pour rendre la scène bien crédible.
Navarro peut s'accrocher, Marchal peut faire bien pire...
Ça vous ennuierait de sortir de la douche et revenir à nos moutons ? J’ai du mal en placer une, là...
Je m’en voudrais de déflorer l’anémie du scénario.
Détendez-vous, respirez par le nez, expirez par la bouche.
Notre héroïne fait un long monologue. Elle picole à en perdre haleine... PUTAIN ! Quelle vie de flic... La fille a dû sortir la boite à baffe aujourd'hui, et un avocat véreux (pléonasme), lui a craché à la gueule que son client trouvait le pavé de biche sauce grand veneur trop cuit ; il a renvoyé le plat au chef de poste. Putain de métier....
Le dealer se nomme Momo. Évidemment.
Marchal a peur du 93, il n'ose même pas le nommer alors il le transfère sur le 92.
Il termine avec un hommage à Damien, un collègue de la BAC 93 qui est mort au boulot. Mais qu'est ce que cet hommage vient faire là ? Putain de scénario… Voila. Marchal est égal à lui même, tout est égal, partout égal...
Le quota de collègues issus des diversités a-t-il été respecté ?
Affirmatif. Le "copain noir" est sagement rangé dans le porte-flingue de Bruce Willis, pas le genre qu'on enfile après dix minutes de lutte et qui laisse le gun tomber dès que l'on enlève la pression. Sinon, aucun collègue des îles ou du bled. Dommage.
Mais pourquoi avoir pondu un truc pareil ?
C'est The Shield à la française, ma pov’ dame.
Vic Mackey commettait ses pires péchés dans une église. Dans Braquo, on n’a pas évité l’entrepôt crade. C’est artificiel. C'est pingre. On aurait pu le faire dans une ancienne synagogue ou une vieille mosquée désaffectée, non ? Marchal, t'es pas joueur.
Les héros sont forcément fatigués, forcément alcooliques, forcément fumeurs, et se font casser la gueule avec le même plaisir qu'ils cassent la gueule des dealers. Les coups, quand ils vous arrivent… oh oui ! Oh ça fait mal ! Allez Johnny, la même s'il te plait...
Là, j’ai fini le paquet de chips, bu tout le whisky et pissé dans le ficus. Ensuite, j’ai renversé la table, et j’ai foncé chez mon voisin pour lui coller des grosses baffes et violer son épouse.
Pensez-vous que l’on soit dans une fiction réaliste qui puisse servir l’image de la police ?
(Capitaine X essuie une larme) La police est décrite comme pourrie, à l'image de la société. Le héros se plaint que le métier a changé, genre "on ne peut plus rien faire, alors on en a rien à faire". Tous les coups sont permis. Petit raisonnement…
Le Proc on l'emmerde, le patron on l'emmerde, les flics se mettent des rails de coke dans le nez. Ils roulent dans des 4x4 noirs comme Vic et pleurent au volant dès qu'ils comprennent qu'ils ont fait de "grosses bêtises".
Ils ont des spasmes dans la mâchoire en gros plan. C'est du grand ciné ça, coco. Et ils ne pleurent pas aux enterrements mais chialent comme des hyènes en garde à vue dès qu'on leur pose une question trop pointue.
Le flic borderline à la française manque décidément d’envergure. Pathologiquement égocentré, et jamais complètement méchant. Quelle misère… Sinon, Marchal a-t-il allumé la lumière ?
Négatif.
Regarderez-vous la saison 2 ?
Joker. Mais putain que cette série me fout les boules ! En filmant sans véritable intrigue, on fait un gros navet. Tapageur certes, mais rien de plausible.
Le commissaire Moulin, c’est du grand documentaire à côté !
Je regrette déjà l'histoire de Tchoupi que je viens de raconter à ma fille. Au moins on y apprend qu'il ne faut pas faire du vélo sans les mains.
De Julie Lescault à Marchal, on a oublié le principal. Il doit bien y avoir quelque chose au milieu.
Une dernière question avant de vous laisser repartir vous faire caillasser. Dans les épisodes que vous avez vus, représente-t-on d’une façon ou d’une autre la cheville ouvrière de la police, plus communément appelée gardiens de la paix ?
Les quoi ?
Merci d’avoir accepté cet entretien.
Interview réalisée sans trucage