14 Septembre 2016
Né de la contestation sociale du printemps dernier, un élan en faveur d'un rapprochement population/police cherche aujourd'hui à se structurer pour porter une autre parole que celle d'une haine inéluctable entre les deux camps. Issue de ce mouvement encore informel, une manifestante, Sandra Pizzo, a écrit un appel à "un dialogue ferme mais apaisé" entre les deux parties, rassemblant à parts égales des civils et des policiers, tous conscients qu'il faut, pour se sortir du cycle de la violence, prendre le risque du dialogue avec "ceux d'en face".
photo © Raphaël Bodin - Paris juin 2016
Depuis le début du mouvement de protestation contre la loi travail et son monde, le bilan à l’issue de chaque manifestation se réduit trop souvent à un décompte des violences de part et d’autre ; constat implacable d’une irrésistible escalade des tensions, très (trop) pratique pour éviter tout débat de fond sur les raisons de la contestation. Les vidéos à charge tournent sur les réseaux sociaux, matraques contre pavés, caillasse contre grenades, prouvant à chaque fois indéniablement que la violence émane bien « des autres ». Crispé sur ses positions, chaque camp comptabilise ses blessés.
Le rôle de la police dans une société de droit est d’assurer la protection des personnes, des biens et des institutions républicaines. Il est aussi d’encadrer les manifestations de façon à permettre l’expression de revendications tout en garantissant la sécurité de tous au passage des cortèges. Le maintien de l’ordre dans les manifestations relève donc bien d’une mission de service public, et non d’une gestion de cironstance au service d’une stratégie politicienne.
Nous sommes nombreux, dans les rangs des manifestants comme dans ceux des policiers, à nous soucier de cet abandon programmé des services publics, à nous inquiéter de ce renoncement à l’intérêt général que nous voyons à l’œuvre depuis de nombreuses années maintenant. La police aussi, évidemment, a tout à voir avec le service public et l’intérêt général. Mais aujourd’hui, elle est utilisée comme un rempart dans le but unique de protéger une équipe gouvernementale sourde à la contestation sociale, et en retour sert de défouloir à la colère populaire.
Allons-nous, pour le profit de quelques-uns, laisser s’élargir ce fossé entre la population et sa police ?
Déterminés à dépasser une interprétation binaire des événements, nous, membres de la « société civile » et policiers dans toute notre diversité, appelons à la tenue d’un dialogue ferme mais apaisé entre les deux parties. Sortons du confort du débat « entre nous » et prenons le risque de la confrontation avec « ceux d’en face ». Conscients de nos doutes, de nos préjugés, de nos crispations, et munis de notre bonne volonté, asseyons-nous autour de la même table pour exprimer nos critiques, nos revendications, nos solutions, nos propositions d’actions.
Nous refusons tout angélisme : il ne s’agit ici ni d’excuser ni d’effacer les violences subies dans un camp comme dans l’autre. Nous mesurons parfaitement le chemin que chaque partie a à parcourir vers l’autre : dans cette recherche de dialogue, rien n’est naturel ni facile pour personne. Il s’agit simplement de dépasser l’injonction de « réalisme » – un mot derrière lequel se cache bien souvent celui de « résignation » – et de tenter l’utopie de la concertation.
Après tout, pourquoi pas ?
LES PREMIERS SIGNATAIRES DE CET APPEL :
- Léa Bouillet (citoyenne engagée, Haute-Garonne)
- Sébastien Boullay (policier, Val-de-Marne)
- Alain Bres (ancien brigadier-chef, Paris)
- Bénédicte Desforges (auteur, ex-lieutenant de police, Paris)
- Frédéric Guyot (policier, Ille-et-Vilaine)
- Jean-Pierre Havrin (contrôleur général honoraire, promoteur de la police de proximité, Haute-Garonne)
- Christophe Jaune (policier municipal, Hérault)
- Dominique Jeanne (brigadier-chef de police municipale, Hauts-de-Seine)
- Alexandre Langlois (secrétaire général, CGT-Police)
- Stéphane Liévin (policier, Loiret)
- Caroline Mansuy (citoyenne, Hauts-de-Seine)
- Bruno Mercier (brigadier de police municipale, Hauts-de-Seine)
- Duarte Monteiro (citoyen du monde, Gers)
- Christian Mouhanna (sociologue, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, Paris)
- Laurent Mucchielli (sociologue, chercheur au CNRS, enseignant à l’Université d’Aix-Marseille, spécialiste des questions de sécurité intérieure, Bouches-du-Rhône)
- Sandra Pizzo (citoyenne, Ariège)
- Sébastien Poirier (citoyen engagé, Haute-Savoie)
- Catherine Prot (nuitdeboutiste, Ariège)
- Xavier Renou (porte-parole du collectif des Désobéissants, Paris)
- Axel Ronde (policier, DOPC, Paris)
- Jean-François Sauvaget (collectif Roosevelt, Aude)
- Séverine Tessier (auteur de Lutter contre la corruption : à la conquête d’un nouveau pouvoir citoyen, Alpes-Maritimes)
- Gaëlle Van der Maslow (citoyenne engagée, Désobéissante, Hérault)
- Cédric Van Reckem (policier municipal, Nord)
- Yann Viano (policier municipal, Alpes-Maritimes)
- Sophie Wahnich (historienne de la période révolutionnaire française, Paris)