2 Novembre 2012

   « Marc la Mola est de ces flics qui imaginaient qu’il était possible de consacrer une vie à être utile à la société. Simplement, avec sincérité, parce qu’un métier qui fait de l’humain sa matière première, fusse-t-il le plus hostile, le plus malfaisant ou le plus mal en point, est un métier extraordinaire. Parce que l’ordre, l’autorité ou la loi n’appartiennent à aucune idéologie particulière, mais sont les conditions d’un équilibre tellement vital, mais si fragile, qu’on peut faire sienne la vocation de le préserver. Et être gardien de la paix jusqu’au fond du cœur.
   Il a donné ce qu’il avait de meilleur à ce métier, il l’a exercé avec passion et a fait de la police son destin le plus exigeant. Ce métier n’a de sens que si on l’exerce les yeux et l’âme grands ouverts sur la vie et les gens, parce qu’à s’appliquer à être insensible, on en deviendrait dangereux. Alors pour être un bon flic, un flic humain et juste, il s’est laissé traverser par toutes les douleurs, toutes les détresses, pour mieux les comprendre, et être un flic encore meilleur. Une croisade bien solitaire que celle d’offrir le gage de son humanité à un système qui en a si peu. Marc s’est laissé meurtrir et ravager par son métier avant de se rendre compte que la police, cette amante absurde, était défigurée par ses incohérences, et gangrenée de l’intérieur. Et que personne ne lui tendrait la main, parce qu’un système défaillant préfère se mentir et ignorer le mal qu’il fait.
   La symbiose était telle que la police a démoli Marc en même temps que l’institution se délitait et se métamorphosait en temple statistique et glacial, le laissant désemparé et impuissant face à l’agonie d’un métier qu’il adorait, à qui il avait tout donné sans retour.
   Marc voulait être un flic au service du public et de sa sécurité, et il y a cru si fort qu’il n’a pas vu le danger venir de l’intérieur.

   La police n’est pas un métier comme les autres. Ce n’est pas parce que le flic approche de près ce que l’homme sait faire ou subir de plus ignoble, ou qu’il respire et s’intoxique tous les jours de l’haleine d’une société malade, pas non plus parce que chacun de ses gestes, chaque décision, est une responsabilité considérable. Pas parce qu’on ne l’aime pas plus qu’on ne le respecte. Même pas parce qu’un flic rapporte jusqu’à chez lui, jour après jour, dans sa chair ou son esprit, des traces de la folie et des faiblesses du genre humain.
   Non, tout ça il le sait dès l’école de police. On n’a jamais besoin d’un flic quand tout va bien, et la société ne le convie qu’à ses dérapages et à ses drames. Il en verra de toutes les couleurs et il s’y attend.

   Ce dont le policier prend difficilement la mesure avant d’en être victime, est que son métier est malmené par l’institution elle-même, et que la sécurité publique est loin d’en être le seul enjeu.
   D’ambitions électorales des uns en opportunisme politique des autres, d’idéologies en propagande, de ministres en criminologues, la police est un terrain de manœuvres de communication avant d’être celui de l’ordre public et de la lutte contre la délinquance.
   L’agent de police, le gardien de la paix, ces républicains pratiquants qui baladaient sous la même casquette la subtile alchimie de la prévention et de la répression, sont devenus des forces de l’ordre.
   Le citoyen au milieu des autres citoyens, dans sa ville, collant au plus près de l’étymologie du mot "police", le flic de terrain, s’est mué en outil d’intervention.
   La sécurité, par essence impossible à quantifier, le devient à la faveur d’une redéfinition acrobatique du métier de flic à qui on ordonne désormais d’assurer un rendement, comptabilisant ainsi une sécurité par défaut.
   Le service public s’est métamorphosé en unités de production de chiffres, il est demandé aux professionnels expérimentés et responsables que nous étions de devenir les esclaves idiots de la sainte statistique.

   Le système est maintenant bien rodé. Les patrons qui, du temps de la police gardienne de la paix, commandaient du personnel, assurent désormais la charge de ressources humaines, et sont rémunérés en fonction du bon usage mathématique qu’ils en font. L’ambition des commissaires de police est la prime de performance bien davantage que la satisfaction d’un commandement juste et efficace.
   Les policiers sacrifient l’esprit d’équipe et la solidarité, à la course au résultat et l’obtention de l’hypothétique et dérisoire prime au mérite, et par lassitude ou par facilité, font de ce métier compliqué, délicat, éminemment humain, une pratique professionnelle désincarnée faite d’automatismes.

   Il y a quelques mois, un policier a été tué en service dans des conditions épouvantables de bêtise et de cruauté. Un grand nombre de collègues sont venus de loin pour lui rendre un dernier hommage et assister à la cérémonie des obsèques. Ils ont garé leurs voitures comme ils ont pu aux alentours. Ils ont été verbalisés. Politique du chiffre.
   Les syndicats laissent dériver l’institution. Politisés à outrance, ils occupent leurs mandats à des arbitrages dérisoires, et cristallisent leur activité en des combats insignifiants pour des mesurettes corporatistes, sans courage et sans incidence sur l’ampleur de la dégringolade de ce service public schizophrène.

   L’image de la police se dégrade, autant aux yeux des flics eux-mêmes, que pour les usagers d’une police à la dérive.
   Les flics craquent. 
   Le récit de Marc La Mola est celui de beaucoup de flics révoltés et découragés jusqu’à l’ultime limite. C’est le cri d’alarme de tous ceux, gardiens d’une paix qui ne se négocie pas avec des chiffres, qui refusent de participer au sacrifice d’un métier. »

Préface de Bénédicte Desforges
auteur de Flic et Police Mon Amour

Le Sale Boulot est aujourd'hui en librairie.
C'est un livre très dur, un terrible récit au bout de la nuit, qui ne peut pas laisser indifférent et démontre qu'il y a urgence à réhabiliter la dimension humaine de la police. Tant pour les flics que pour le service public.

J'en profite pour remercier Marc La Mola de m'avoir donné sa confiance et le privilège de préfacer son livre. Et je souhaite très fort, pour lui et pour tous les flics, des jours meilleurs pour ce sale boulot qui est le leur.

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Bénédicte Desforges

#ailleurs...

30 Octobre 2012

Message laissé par un commandant de police avant une tentative de suicide avec son arme de service.
Il est actuellement encore à l'hopital, hors de danger d'après ce que je sais.
Je choisis néanmoins de publier ici son message, que beaucoup ont déjà pu lire, car il est symptomatique, entre autres hypocrisies, de celle qui consiste à vouloir à tout prix distinguer les raisons professionnelles et personnelles d'un tel geste.
Et j'en profite pour lui souhaiter de se rétablir vite et de retrouver paix et sérénité dans sa vie (personnelle et professionnelle...)


Je suis le Commandant de Police Fonctionnel X.

Quand vous lirez ce mail je serai déjà mort... ou en route vers ma destination finale... je pense que sa symbolique vous parlera !

Il sera donc trop tard, inutile de vous culpabiliser. Inutile de foncer chez moi, et de retourner le quartier, je n'y serai pas.

Si vous voulez honorer ma mémoire assurez-vous que le contenu de ce mail soit le plus possible diffusé.

Je ne veux pas qu'on puisse dire que ma mort a des causes personnelles, elles sont uniquement professionnelles.

Jusqu'en 2010 tout allait bien. Un dossier parfait. Des policiers placés sous mes ordres que j’appréciais et qui m'appréciaient et une mission qui me plaisait.

En 2010, tout a basculé.

Une vieille histoire que je croyais réglée. Une manifestation où des magistrats ou des avocats avaient dérapé. Malgré trois ans d'instructions en ma faveur (y compris un témoignages de journalistes de TF1), malgré le soutien de mon DDSP, du Préfet, du Procureur, et de l'IGPN, un magistrat qui venait de récupérer le dossier m'a mis en examen, me faisant comprendre que j'allais payer pour avoir osé me mettre en travers de magistrats et d'avocats qui manifestaient illégalement.

C'est là que la nature humaine est surprenante.

Je suis passé trois fois près de la mort en service (1998, 2001, et 2005) et j'ai tenu le choc. La dernière fois à (---) en 2005 en éteignant un feu dans un camion de transport de matières dangereuses dans une nuit d'émeutes.
Des milliers d'habitants étaient menacés et ne l'ont jamais su.

Et, là me retrouver attaqué par des gens que je suis sensé défendre... je n'ai pas supporté. Même moi je n'arrive pas encore à comprendre pourquoi.

Malgré le non lieu, j'ai suivi deux ans de psy.

Fin 2011, j'ai accepté une mutation sur un poste prestigieux. Responsable du service étude et prospective du Centre Civilo-Militaire de Formation et d'Entrainement Nucléaire Radiologique Biologique Chimique et Explosif.

J'ai mené en parallèle une scolarité du Mastère NRBC de l'Université de (---) qui m'a pris tout mon temps libre. J'ai eu mon diplôme il y a deux semaines.

J'ai voulu donner une bonne image de la police dans cette institution interministérielle... mais voilà, l'emballage ne correspondait pas au contenu.

Il s'agissait en fait d'une structure de préfiguration précaire, dans laquelle les deux responsables travaillaient surtout pour leur carrière.

Un an après toujours pas de décret de création.

Mon épouse se faisait une joie de me rejoindre à (---) Elle a initié une demande de rapprochement d'époux.

Mais voilà, en juin, quand nous avons du prendre la décision de faire descendre les enfants, nous avons préféré renoncer. Si la structure où j'étais affecté devait disparaître, je serai automatiquement réaffecté près de mon épouse à (---), après avoir vendu ma maison, racheté une autre dans le sud, et avec mes enfants seuls dedans.

Un risque inacceptable que nous n'avons pas pris.

Je me suis résolu à rester deux ans de plus célibataire géographique. Dur, mais tant pis.

Les choses ont alors empiré. La ligne Air France low cost entre (---) et (---) a été supprimée.
Mes frais (hébergement et transport) ont explosé pour atteindre 1 000 euros par mois.

En interne, le directeur de centre (---) m'a signifié que je ne bénéficierai plus de la tolérance pour arriver le lundi en fin de matinée. Certainement en représailles de mes multiples et insistantes demandes de voir mon service enfin créé.

Je vais donc avoir des frais énorme, pour avoir des week-ends raccourcis.

J'ai à nouveau craqué.

Je suis chez moi en CM pour des motifs psychologiques depuis deux jours.

Étant affecté sur une affectation qui n'existe pas, j'ai demandé l'annulation de ma mutation.

La DGPN sait que je suis psychologiquement affaibli. Elle m'a gentiment proposé de revenir à (---) en me rétrogradant de Commandant Fonctionnel à Commandant.

Cette injustice là ne passera pas.

Je me suis investi à 100 %, ça m'a couté cher (et pas qu'au figuré). La DGPN veut garder le poste de fonctionnel pour un autre.

Des manœuvres lamentables qui terminent de me dégouter du fonctionnement de l’État alors que je suis au bord du précipice.

J'ai un minimum d'honneur.

Je me suis engagé à 18 ans dans l'armée, et j'ai toujours servi le pays.

Je ne peux pas accepter une dégradation que je considère comme injustement infamante. Je ne vais pas imposer à mes proches une lente dégradation psychologique et finir comme
une larve sous psychotropes.

Je partirai debout, en rendant service à mes compagnons de route, ces policiers dévoués et courageux qui ont plus peur des juges et de leur administration que des truands contre qui ils risquent pourtant leur vie. J'en viens à me dire qu'une partie de la population ne les mérite pas.

Je tiens à ce que ma mort rende une dernière fois service à ceux que j'ai eu le privilège et le bonheur de commander.

J'aimerai finir par un palmarès, celui des petits et grands salopards.

Sur le podium :

Le gagnant est sans contestation possible le juge X qui exerce maintenant à (---) Un juge idéologue qui a bien faillit réussir à se faire un flic à lui tout seul... il y sera finalement arrivé avec retard et avec d'autres.

Ensuite (mais très loin derrière) X, qui a misé sur ma fragilité actuelle pour essayer de grappiller un poste de fonctionnel sans doute pour un commandant bien placé près du bon Dieu.

Enfin le X responsable de l'équipe (---) qui m'a fait basculer une seconde fois en faisant pression là ou cela faisait mal... certainement d'ailleurs sur les conseil de son adjoint le X Pour mes deux directeurs, c'est plus par incompétence, que par méchanceté.

Pardon à mes proches.

Veillez sur eux.

Pardon à ceux qui m'ont soutenu, vous ne méritez pas ce que je vais faire.

Merci pour votre attention.

P.S. : Ne reprochez rien au SSPO.
La psy locale (---)a pris contact et a pris de son temps, mais quand on est déjà passé par là, on sait exactement ce qu'il faut dire pour rassurer un pro. Le SSPO a démontré son utilité mais n'est pas formaté pour déceler des gens aussi déterminés que moi.

P.S. : J'aimerai aussi éviter la boucherie d'une autopsie. Un prélèvement sanguin démontrera que je n'ai pris aucun produit et que donc aucun tiers n'est responsable.

Commandant Fonctionnel X

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B. Desforges

#actu police, #suicides

26 Octobre 2012

beur-fm

Le Forum-Débat de Beur FM animé par Abdelkrim Branine
(émission du jeudi 25 octobre de 18h30 à 20 heures)

Participants :
- Eduardo Rihan Cypel, député PS de Seine et Marne, vice-président du groupe PS chargé de la sécurité à l'Assemblée nationale,
- Christophe Crépin, responsable de la communication pour le syndicat Unsa Police,
- Sihame Assebague, porte-parole du Collectif Contre le Contrôle au Faciès,
- Bénédicte Desforges, ex flic, auteur de Flic et de Police Mon Amour.


Merci à l'équipe de Beur FM pour son accueil, et aux intervenants dans ce débat avec qui les échanges, pendant l'émission et hors antenne, ont été très intéressants et constructifs.

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