10 Janvier 2017

chiffre

 

  Si Le Chiffre n’était pas une abstraction, il aurait une statue à son effigie dans chaque commissariat. Ou son portrait dans un cadre doré à l’or fin, à côté de celui du chef de l’État.  
  Le Chiffre est une entité omniprésente et autoritaire qui plane au dessus de chaque service de Police. Chaque patron le rappelle dans les incantations consacrées.
Le Chiffre ! Je veux du Chiffre ! Ramenez du Chiffre !... 
  Chaque flic doit garder à l’esprit qu’il existe avant tout pour Le Chiffre. On ne lui demande pas d’avoir la foi en Le Chiffre, mais simplement de le pratiquer au quotidien. Sans se poser de questions. Et avec ferveur si possible. 
  Le Chiffre est très important, car grâce à lui on fabrique de la politique et de l’opinion. Le Chiffre ne fabrique pas de la sécurité, sinon ça se saurait. 
  Le Chiffre est gourmand mais il n’a pas d’exigence particulière sur la qualité de ce qui le fait grossir. Il n’est pas gourmet, il est goinfre. Qu’importe la délinquance qui lui est amenée en offrande, il est même capable de se nourrir de vent… 
  Le Chiffre peut devenir une maladie. Certains flics pensent bien faire en vouant, envers et contre tout bon sens, leur carrière au Chiffre. Ils deviennent ce qu’on appelle des gratteurs ou des chasseurs, et finissent par faire n’importe quoi. Ils voient des méchants partout. Le Chiffre à outrance peut donc provoquer des hallucinations, voire des délires de persécution pour les cas en phase terminale d’addiction au Chiffre. L’IGS accueille parfois des malades du Chiffre qui à force d’aveuglement ont fini par se prendre les pieds dedans, et déraper bêtement sur la loi. 
  D’autres collègues, qui ont développé une immunité contre Le Chiffre, préfèrent travailler des jours, si nécessaire, à la capture d’un vrai gros bandit, un seul, mais qui ira directement en prison sans passer par la case départ. Ceux-ci offensent Le Chiffre qui ne fait pas la différence entre un vrai délinquant dangereux et un petit nuisible, et qui reste alors sur sa faim. 
  Les commissaires de police, gardiens statutaires du Chiffre devant l’Eternel, se réunissent lors de grands-messes et ils comparent la grosseur de leurs Chiffres. Celui qui a le plus gros est considéré comme un très bon policier manager de troupes, et on en tiendra compte dans son déroulement de carrière. 
  Mais être au service du Chiffre, ce n’est pas être au service du public. La sécurité n’est pas quantifiable. Elle n’est pas non plus un équilibre de Chiffres, et toutes les détresses n'ont pas d'unités de mesure. 
  Le Chiffre est mathématique, mais il n’est pas la solution du problème. 
  Mauvais calcul. Il est un faux ami comme en grammaire… 
  Les ennemis du Chiffre sont le libre-arbitre et la rigueur, la vraie rigueur, celle qui engage la conscience. Et la déontologie. 
  Le Chiffre est l’opium de la Police.

texte tiré de FLiC, chroniques de la police ordinaire
2007 - éditions J'ai Lu

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2 Janvier 2017


  Ils ont pris le petit passage, la voie pour piétons qui longe l’arrière des bâtiments de la cité, celle qu’on prend à chaque fois que ça bouge un peu pour les coincer coté jardin, tous les flics la connaissent, juste assez large pour la voiture, mais là il m’a dit que c’était tout calme, c’est l’été, les gens ne partent pas là-bas, mais ils sont plus détendus, ça doit être le soleil, et pourtant dès qu’il fait chaud ça pue sur les trottoirs à cause des poubelles, mais à la longue on doit s’y habituer quand on y vit, alors les vieux descendent des chaises dehors, comme au bled, et ils papotent comme s’ils étaient en terrasse, ils sont marrants, ils ont de l’imagination, enfin c’est ce que je me dis, et puis il faut dire qu’ils ont souvent de la visite de la famille du bled justement, les enfants sont en vacances, ils peuvent en profiter un peu, faire connaissance, remarque ces mômes-là ne parlent pas l’arabe, c’est pas évident, mais aller là-bas c’est risqué, ma voisine m’a raconté qu’un matin, sa belle-mère avait trouvé la tête décapitée de son fils sur le balcon, elle ouvrait les volets et elle voit ça, la tête de son fils, à Alger en pleine ville, alors tu penses que les gens d’ici ils n’ont pas trop envie d’emmener leur gamins là-bas, ils préfèrent payer le charter à la famille, du coup ils disent qu’ils sont immigrés là-bas et ici, le cul entre deux chaises, en plus au bled, ils pensent qu’ici ils vivent comme des princes, tu parles, t’as vu le château, enfin voilà, ils patrouillent dans la cité qui est toute calme, le clébard à l’arrière qui roupille, eux les fenêtres ouvertes, ils n’y croient pas trop qu’ils vont faire une affaire, à cette heure-là il n’y a rien, et puis là, avec les vieux dehors à l’ombre, les mômes qui jouent au ballon, les mamans qui se promènent avec les poussettes, la cité ressemble à un village de vacances, enfin, en rêve, pas un arbre, pas une aire de jeux, le panier de basket a été volé, démonté et volé, mais qu’est-ce qu’on peut faire d’un truc pareil, de l’art moderne peut-être, il y aurait bien un abruti pour trouver qu’un panier de basket au plafond c’est artistique, surtout si ça vient d’ici, le grand frisson, peur sur la ville, de l’art urbain avec du matos volé, alors voilà, les mômes ils tournent en rond, ils font des conneries avec ce qu’ils trouvent, ils trainent, et les autres avec le chien, ils tournent aussi, et comme ils avaient fait une belle prise de poudre trois jours avant, ils se sont dit qu’ils en avaient peut-être oublié quelques grammes, ou que le juge avait relâché le type, toujours la même histoire, on travaille, on fait des belles procédures bien carrées, les stups prennent l’affaire, le défèrent, et le gars nous rigole au nez, libre deux jours après, on peut se demander à quoi on sert, mais ils s’en fichent, ils ne se rendent pas compte, ils ne peuvent pas, ils n’habitent pas là, ils ne travaillent pas là, ils n’ont jamais vu un tox en manque se pisser dessus, ils ne craignent rien pour leurs gamins, ils sont dans des quartiers tranquilles, l’autre soir dans mon immeuble, une gamine de quinze ans a fait une overdose en faisant du baby-sitting, quand les parents sont rentrés, ils ont trouvé la fille raide dans son vomi, et le bébé qui braillait tant qu’il pouvait, ça les juges ils ne connaissent pas, ils n’ont pas ça dans leur salon, et ils ne passent pas l’été dans une cité, alors un dealer de plus ou de moins dehors, ils s’en moquent, c’est pas chez eux, mais celui-là qu’ils avaient interpellé l’autre soir, avec toute sa dope, c’était un sérieux, pas d’ici en plus, mais c’est là qu’il vendait, et c’est pour ça qu’ils sont revenus voir, dans le petit passage derrière les immeubles, c’était tout paisible, ambiance d’été, odeurs de cuisine et musique par les fenêtres, tout le monde ouvre en grand les carreaux par cette chaleur, ils ont entendu des enfants rigoler, et puis un bruit énorme, sur le toit de la voiture, un craquement, de la carrosserie déchirée, et d’un coup le toit s’est affaissé à la limite de leurs têtes, en même temps le chien s’est mis a aboyer comme un fou, et ils ont vu entre eux, entre les deux sièges, une sorte de pieu en métal qui s’était planté, qui avait traversé le toit de la voiture, et s’était fiché exactement au milieu, entre eux, un montant d’échafaudage qui avait été transporté là-haut, par on ne sait pas qui, par on ne saura jamais qui, et ils ont eu de la chance que ça ne les touche pas, vraiment une bonne étoile ce jour-là, mais évidemment quand il y a eu l’enquête, le truc venait de nulle part, et puis comme il n’y a pas eu de blessé ni de mort, dans le fond, le juge s’en foutait un peu.

extrait de Police Mon Amour

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Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire

2 Janvier 2017

(publié le 30 avril 2012)

greve-du-zele
banksy©

mode d’emploi pour les fonctionnaires de police qui s’interrogent
explication pour les passants qui passent

En fait, c’est assez simple : laisser le flic de coté et devenir pleinement fonctionnaire.
Il s’agit de grève du zèle, pas d’une grève.
Doucement le matin, pas trop vite le soir.
Pour ça, il suffit juste de suivre à la lettre des règlements, notes de service et consignes que l’on a tendance à négliger.

Éléments de réponse pour gérer efficacement son zèle :
À chaque prise de service, faire soigneusement le tour du véhicule, et procéder à un certain nombre de vérifications. Prendre son temps, c’est important pour la sécurité des effectifs.
Contrôler tout ce qui pourrait occasionner une panne, et qui du coup nuirait à la continuité du service public (niveaux, etc) En cas de doute sur un point particulier, demander à collègue d’y jeter un œil à son tour.
Vérifier évidemment, tout ce qui serait susceptible d’être verbalisé s’il ne s’agissait pas d’un véhicule de police (clignotants, feux, pneus lisses, etc), et qui représente donc un danger pour soi-même et autrui.
Si la constatation est faite que quelque chose n’est pas conforme, rédiger aussitôt un rapport détaillé. Les services techniques auront besoin d’un maximum de précisions pour entreprendre les réparations adéquates.
Prendre son temps, on ne rigole pas avec la sécurité,
Ne pas hésiter à immobiliser le véhicule, et s’en faire attribuer un autre.
S’il reste un véhicule de remplacement disponible, réitérer les vérifications de la même façon sur celui-ci en application des notes de service et consignes en vigueur.

Quand tout est fait, prendre éventuellement la route pour patrouiller tranquille pépère, et respecter le code de la route comme un jour d’examen du permis de conduire.

Et bien sûr, respecter à la lettre et à la virgule tous les règlements d'emploi et consignes concernant les effectifs et la composition des équipages.

Ne pas prendre d’initiative particulière.
Pas de contrôles routiers, ni de contraventions.
Au pire, faire cesser l’infraction sans verbaliser, saluer aimablement le contrevenant, et passer son chemin.

N’intervenir que sur appel, et conformément au règlement, ne faire usage du gyrophare et du deux-tons qu’en cas d’attaque thermonucléaire, s’arrêter au feu orange, ne mettre une roue ni sur une ligne blanche, ni dans un couloir bus. Aucune urgence ne saurait justifier la mise en danger des fonctionnaires de police et des citoyens. 50 km/h en ville.

Pas de contrôles d’identité non plus.

Pour les fonctionnaires des services dédiés à l’anti-criminalité, ne partir en aucun cas à la chasse au délinquant, attendre qu’il vous tombe dans les bras.
N’intervenir que sur appel, ou si un flagrant délit a lieu dans le périmètre visuel de l’équipage.

Voilà. Ce n'est pas plus compliqué que ça.

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Bénédicte Desforges

#actu police

1 Janvier 2017


Coup de gueule de Marc la Mola.
Je partage son avis critique et lucide, que je n’aurais pas mieux exprimé.

   On pourrait croire que tous les maux de la corporation se sont envolés, qu’ils ont trouvé spontanément une solution tant les témoignages de policiers satisfaits inondent la toile.

Le Papa Noël vient de leur apporter, dans sa hotte, un cadeau inespéré tant il était surréaliste de l’envisager il y a encore quelques mois. Mais les échéances électorales ont aussi leurs impératifs et donner satisfaction à la corporation policière et par-delà à tout un pan de la société, pas le plus sage et le mieux informé d’ailleurs, était devenu une évidence. Cela allait être un os à ronger pour ces manifestants transformés dernièrement en pitbulls ou en roquets arrogants oubliant même qu’ils étaient au service d’une société malade et qu’il ne s’agissait pas de défendre leurs intérêts mais ceux d’une population pour laquelle les soucis de sécurité culminaient au deuxième rang du palmarès de leurs inquiétudes.

Mais apparemment après avoir, durant plus de quinze années, appliqué une politique dévastatrice les policiers parvenaient à regarder uniquement leur nombril et même à s’y focaliser …
Les policiers pourront donc utiliser leurs armes comme peuvent le faire leurs homologues gendarmes. Quelle victoire en effet … ! Il y a vraiment de quoi être satisfait, heureux même de porter une arme à la ceinture, ou plutôt à la cuisse maintenant, comme si le fait d’avoir descendu l’étui donnait plus de légitimité, leur octroyait plus de compétences et de professionnalisme. Ridicule !

Jusqu’alors l’usage des armes, pour les flics, était « limité » à la légitime défense de soi même ou d’autrui et … C’était déjà pas mal me semble-t-il ! ...
 

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