20 Septembre 2009


Il y a près de chez vous, un PDG qui a parlé de mettre un point d’arrêt à cette mode du suicide qui choque tout le monde.
C’est vrai, quoi, il n’a pas tort. Elle est moche cette mode, elle fait la mine grise et le teint palot à qui l’adopte. Et en plus ça choque tout le monde, dit-il.
Déjà que tout-le-monde s’était ému de cette vilaine mode de la burqa cet été, voilà que la collection d’automne apporte la tendance suicide.
C’est vraiment de mauvais goût.
Et puis tout-le-monde, il ne faut pas le choquer, il ne faut pas l’ennuyer avec tous ces malheurs qui n’arrivent qu’aux autres, il ne faut pas non plus lui donner l’idée d’être attentif à qui l’entoure, et éventuellement des envies de solidarité.
Des fois que tout-le-monde aurait l’idée de se serrer les coudes, imaginez le tableau…
Non, tout-le-monde, il ne faut pas l’inciter aux sports d’équipe, il faut lui foutre la paix, et le laisser rêver à un monde meilleur, sans crise et sans crise de nerfs.

Mais voilà, par ici on a un faible pour la mode, surtout quand elle est indémodable, et il m’est venu l’idée de vous redonner à lire l’article qui suit, que j’avais rédigé en janvier 2008, quand la mode du suicide chez les fonctionnaires de police avait eu comme un spasme et une odeur de poudre.

Le chiffre qui circule - je le précise, de façon tout à fait officieuse, et non vérifié - fait état d'une moyenne de 1 suicide par semaine dans la police nationale.

 

article du 24 janvier 2008 :

Je ne souhaitais pas parler des suicides dans la police. Mais ne pas parler c’est tout juste moins pire que la langue de bois, et les discours convenus, relus et approuvés…
Le suicide dans la police, c’est un sujet sensible, et délicat à traiter car on peut - il y a des experts pour ça - faire dire ce qu’on veut aux chiffres (quels chiffres, d'ailleurs ?)
On peut évoquer le phénomène de "l'effet d'annonce", être plus indécent et parler de "contagion", évoquer le métier dans ce qu'il a de difficile, mais on peut aussi se taire, ce qui semble souvent être l'option retenue.

Tout et son contraire peut être démontré pour peu qu'on ait déjà décidé de la conclusion ou du message à passer.

Pour relativiser, on pourrait dire :
- Les hommes se suicident plus que les femmes, et il y a plus d’hommes que de femmes dans la police.
- Le moyen du suicide est à portée de main du policier, ce qui réduit considérablement le temps de réflexion, si tant est qu’on est en état de réfléchir la seconde d’avant. Donc, il y a plus de suicides réussis que de tentatives chez les flics.
- Les fonctionnaires de police se suicident souvent pour des raisons qui relèvent de la vie privée.
- Il y a d’autres milieux professionnels qui comptabilisent beaucoup de suicides.
etc… etc…

Mais, voilà aussi ce qu’il faut dire :
Le flic est sous une pression permanente et multiple.
- La hiérarchie pas toujours attentive et compréhensive au regard des tâches qu’elle n’accomplit pas mais qu’elle ordonne, elle-même sous pression de sa propre hiérarchie.
- Les couleurs politiques et toutes les demi-mesures plus ou moins productives qu’on demande aux policiers d’appliquer successivement au long de leur carrière.
On peut ressentir un immense sentiment d’inutilité, susceptible de contaminer toutes les sphères de sa propre vie.
- La perception que le citoyen a du policier, avec le renfort servile des médias, l’hostilité permanente pour certains d’entre nous. Et rien n'indique que ça peut aller en s'améliorant.
- Le danger de ce métier, les blessés et les morts en service, en nombre suffisant pour que chacun d’entre nous en héberge quelques uns dans sa mémoire (la vulnérabilité physique du fait d’autrui, se faire blesser, mutiler, tuer en service, n’est pas si courant que ça dans le monde du travail)
- Le fonctionnaire de police subit de plus en plus de violences physiques, et on ne lui propose que l’usage de moyens violents en réponse.
Il est le bouclier unique et absolu contre toutes les manifestations brutales des dysfonctionnements sociaux. L’intégrité physique est une entité fragile. Celle de "l'autre" puisque ce métier implique de souvent le constater, et aussi la sienne. Vous avez dit suicide ?
- Le stress que ce métier engendre, les horaires atypiques, des vies de famille qui ne s’en relèvent pas…
etc… etc…
Avec cette énumération rapide et incomplète, je reste modérée, presque évasive.
Parce que tous ces mots sont banals.


Plus explicite, je vous laisse lire cette lettre que j’ai reçue :

Salut à tous,
Voilà une semaine que je lis dans les journaux un article par jour, épuré et conforme aux directives du ministère de l'intérieur… ayez confiance, tout est sous contrôle…
Le malaise est présent. Tous se posent la question : pourquoi cette "vague" de suicides, de dépressions et de rendez-vous chez le psy ?
Messieurs, vous n'avez qu'à venir au niveau des flics. Ah non c'est vrai on ne les trouve plus beaucoup au service, car ils ne doivent ni perdre de temps à rédiger leurs procès verbaux, ni prendre le temps d'un café, d'ailleurs ils ne doivent être présents que sur la voie publique, pas question de souffler après une intervention difficile, des contrevenants rôdent il faut sévir… la prise de contact avec nos concitoyens ne se fait que par écrit : la contravention.
Mais où est le malaise ?
- Impossibilité de se laver les mains en l'absence de produits = gain de temps.
- Le temps de passage au poste des patrouilles est contrôlé (bientôt surveillance par GPS) = gain de temps.
- Le panneau des petites annonces entre collègues a été ôté = gain de temps.
- Nous devons rendre compte à la minute prés de l'activité mais en moins de 20min pour une journée = gain de temps.
- Pour de 8h15 de travail continu, le temps de pause journalier est passé de 45 min à 20 min, ceci comprenant l'arrivée au service, le passage aux toilettes, le repas et le départ = gain de temps.
Comme nous sommes payés en heures de récupération (travail jours fériés et WE) que nous ne pouvons prétendre uniquement selon les nécessités du service (exit les WE, les jours de cour d'assises, les vacances scolaires, et les jours de manifestation de quelque nature qu'ils soient) pour gagner un peu de temps, ils ont inventé un impôt horaire quotidien de 6 min, d'où le temps de pause de 45 à 20 min…
Contrairement à ce qu'avancent certains détracteurs, nous ne sommes payés que sur 12 mois, toutes nos primes sont imposables, l'heure de nuit est majorée à 1€, pas de prime de fin d'année, ni pour les vacances, mais de toute façon avoir 15 jours de vacances en été est un luxe. Et l'hiver c'est Noël ou 1er de l'an voire les deux au boulot.
Pas de temps de déshabillage, pas de briefing ni de débriefing, pas de prime repas, pas de cafétéria non plus, vive les sandwiches et autres plats préparés. Les sautes d'humeur et les coups de barre sont à proscrire, en cas de gastro intensive il vaut mieux se porter pâle car sinon c'est plusieurs fonctionnaires qui pâtissent du temps perdu aux toilettes.
La formation continue n'existe pas, pas plus que l'entraînement hormis l'obligation des 3 séances de tir annuelles.
La promotion est squelettique, des examens et concours absurdes vous donnent la fonction mais pour le grade et le salaire faut s'armer de patience… la liste est longue.
J'arrête là je ne voudrais pas vous foutre le cafard avec nos problèmes.
Alors en effet quand un jeune entre dans la police il ne pense pas qu'il va vivre ça, c’est écrit POLICE-SECOURS, mais c'est Police "au secours"…
Fuyez voilà la Police… Le pire c'est qu'en vingt ans les "anciens" ont la même désillusion.
Et quand le policier s'enfuit c'est souvent tragiquement.
Je remercie nos syndicats qui après avoir vendu notre droit de grève et celui d'ouvrir nos gueules, ne servent à rien sauf à apporter un peu d'espérance.
Mais quand on ouvre les yeux, le malaise est profond, et certains ne voient aucune issue. L’arme à la ceinture est d'une simplicité et d'une efficacité redoutables. En principe il n'y a aucun signe avant-coureur, c'est la surprise pour tous. En quelques années, le nombre de suicides s'est multiplié par deux, mais comme il n'y a aucun chiffre officiel, c'est tabou, c'est peut être pire que cela…

- un collègue -

Documents :

  • Le Monde du 23 janvier 2008 ici
  • AFP 24 janvier 2008 ici
  • Libération du 29 janvier 2008 :
    "La course aux chiffres accusée après des suicides de policiers"  ici
  • À relire aussi : Le Figaro (octobre 2007) ici
  • Étude menée par Nicolas Bourgoin, maître de conférence en démographie sociale et chercheur au laboratoire de sociologie et d'anthropologie de l'Université de Franche-Comté (1996) ici
  • Article de Frédérique Mezza-Bellet, sociologue à l’Orphelinat Mutualiste de la Police Nationale (2001) ici

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18 novembre 2009, suite :

Suicides dans la police : un plan de réduction des effectifs ?


Si vous souhaitez apporter une remarque à ce qui précède,
je vous remercie de le faire avec retenue.

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Bénédicte Desforges

#actu police, #suicides

9 Septembre 2009


  Sur ces pages, j’écris parfois autre chose que des histoires de flics, parce que si je ne faisais pas ce que je veux avec ma ligne éditoriale – comme disent les blogueurs qui se la pètent furieusement en causant comme des rédacteurs en chef de la vraie presse – ce serait quand même dommage.
  D’autre part, je n’écris pas beaucoup parce que ce blog n’est pas un tamagoshi, moi je ne suis pas une crevarde en mal de fidélité internaute, et pour finir, je me fous avec application de tout ce qui – normalement - devrait me titiller puisque je suis blogueuse, à savoir la visibilité, les statistiques, les commentaires, le réseautage, bref tout le paramétrage du narcisse virtuel en détresse affective.
  Par ici, je peux juste vous certifier que je ne vous servirai pas du journal intime, des photos de mes vacances à la neige, ou un fac-similé de blog-de-pétasse avec du macaron Ladurée au banc d’essai assorti d’un verdict orthographié avec les pieds. Voilà mon engagement.
  Et ça s’arrête là.
  Parce que, si sur ce blog j’assure ma liberté d’expression, je ne garantis en aucun cas la votre.

  Cette frénésie propre à Internet qui consiste à déverser son opinion partout et sur tout, me saoule.
  De plus en plus rares sont ceux qui admettent sereinement qu’il existe des sujets sur lesquels ils n’ont rien à dire, ou trop peu pour que la chose mérite d’être exprimée et rendue publique. C’est exactement le contraire qui se passe. Comme si le simple énoncé d’un avis abolissait la frontière entre les domaines du néophyte et de l’expert.
Tout le monde se doit de parler de tout, d’intervenir partout, et de fait, le nombre aidant, entrainer n’importe quel thème abordé dans une désastreuse médiocrité rarement atteinte avant l’ère du web 2.0.

  Le sentiment de passer pour un con appartient à un temps révolu, et a disparu des structures mentales de l’internaute. Il faut juste qu’il cause, s’émeuve, s’agace, et surtout qu’il participe au bavardage pandémique, et laisse sa trace pour trouver une place dans le magma numérique.
Dans cette immédiateté facilitée, tout se dit dans l’urgence. On ne réfléchit plus trop, on s’exprime à la manière des micros-trottoirs, dans la gueulante ou l’émotion plutôt que le raisonnement.
  Tout doit faire débat, et peu se soucient d’apporter une plus-value au dit "débat".
Et dans ce monde de l’expression "libérée", où la qualité est asphyxiée par la quantité, ce ne sont pas ceux qui vous proposent des idées anémiques à commenter qui s’en plaindront, ils adorent ça. Plus ça cause autour d’eux, plus ça les flatte et les boursoufle de contentement, et plus ils en jouissent par procuration. C’est dire la misère...

  Trêve de démagogie et de simulation de copinage, toutes les opinions ne se valent pas.

  Il y a dans cette cacophonie de l’interactivité ce qui est intelligent et constructif, et toutes les nuances de la remarque, allant du stérile au propos honteusement idiot. Et tout au bout de l’argument absent, il y a l’insulte.
Et au milieu, il y a ceux, dont je fais partie, qui revendiquent le droit de faire la différence entre les gens intéressants et réfléchis, et les abrutis qui considèrent comme une qualité de l’échange, une spontanéité que ne leur autorisent pas leurs facultés mentales.

  Quel genre de "règle" ou de "convivialité" m’obligerait donc, sous couvert d’une supposée liberté d’expression due à chacun, à publier ici n’importe quelle remarque imbécile sans y répondre comme je l’entends ?
  La net-étiquette, les fâcheux peuvent se la carrer où je pense.
  Et leurs petits cris de protestation et autres diffamations peuvent prendre profondément le même chemin.
  Le registre agressif dans les réponses que je leur formule leur sied parfaitement, et je ne m’en priverai pas si je leur laisse la parole.
  La dictature de l’expression des opinions débiles ou bêtifiantes qui veulent exister au même rang que les authentiques argumentations, je m’en tape. Ici, la dictature dominante est celle du choix de ma non-indulgence. Ou intolérance, si vous préférez.
Je n’ai pas envie - ici - de tolérer ce qui m’insupporte.
Même si la tendance veut que les cons bruyants aient le même temps de parole que les discrets cérébraux, dans un espace phagocyté par des abrutis vaniteux.
  Internet est une illusion de débat. Il ne s’y passe pas grand-chose de conséquent hormis une hallucinante dépense d’énergie et de temps, à la manière d’un grand jeu de société.
Pendant ce temps, le monde tourne…

  Non, je ne dois rien à personne.
  Rien de rien dans ce féerique Internet où les seules discussions (si on peut appeler ça comme ça...) capables de fédérer en masse les opinions les plus dissonantes, et génératrices d’alliances les plus improbables, sont celles qui, sans courage, consistent au lynchage.

  Ici, quand je veux, je censure ou j’envoie chier. C’est comme ça.
  Les frileux, passez votre chemin, vous m’ennuyez aussi.
  Rien d’hostile, juste un retour à un bon sens en adéquation avec des interlocuteurs pour la plupart anonymes, à qui je ne dois en aucun cas un espace pour exprimer ce que le cerveau humain peut produire de plus affligeant.
  Qu’ils aillent – si ce n’est pas déjà fait - se fabriquer leurs petites pages du prêt-à-penser, je peux même leur fournir quelques adresses attestant que l’expression de la connerie, de la vacuité et de la prétention, a atteint un niveau de désinhibition faisant que chacun peut se sentir très bien sur Internet.

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Bénédicte Desforges

#ailleurs...

30 Juillet 2009

  Il était tranquillement installé devant la table, et avait fait deux tas de choses qu’il avait pris le temps de trier. Ce qu’il avait choisi d’emporter, et ce qu’il allait laisser là. Sur le lit, dans la pièce à côté, il y avait également des piles un peu hétéroclites. Des vêtements, des livres, des petits objets en porcelaine, des couverts argentés bien alignés sur l'édredon. Des bijoux aussi, des vrais et des faux. Il n’avait apporté avec lui que trois sacs vides. Deux grands sacs de voyage et un sac à dos qu’il avait déjà rempli au moment où on est arrivés. On est arrivés à vingt-deux flics. Sans faire de bruit, tout comme lui qu’on a surpris en plein travail. On est arrivés par la porte et par les deux fenêtres, et on a aussitôt rempli le petit appartement. On était vingt-deux et il était seul. Seul en train de cambrioler une petite vieille absente de chez elle, mais qui avait laissé un mot sur la table. Si vous revenez me voler, s'il vous plaît, rendez-moi mon chien. Il me manque. Comme on était vingt-deux et qu’il était tout petit et tout maigre, il n’a opposé aucune résistance quand on l’a arrêté et menotté. Il n’a pas même essayé de mentir ou de partir, il s’est laissé faire.
  Nous, on n’arrivait plus à tenir et bouger dans cet appartement, d’autant plus qu’une patrouille du secteur nous avait rejoints. On n’y voyait déjà pas grand-chose. À vingt-deux, c’était comme si on avait éteint la lumière dehors et dedans. Et on ne s’entendait plus, tout le monde y allait de son petit commentaire, discutant à deux, à trois ou à vingt-deux. Alors j’ai décidé qu’on descende tous dans la courette de l’immeuble, avant d’en désigner quelques uns qui feraient les constatations. À vingt-deux, nous avons dévalé l’escalier en file indienne, et arrivés dehors nous nous sommes mis sur deux rangs, le voleur au centre, nous avons souri et nous sommes pris en photo.
  La veille, nous avions eu un gros arrivage de gardiens de la paix stagiaires, et pour leur premier jour de service, j’avais pris l’initiative d’emmener mes petits en minibus estampillé police, pour une visite guidée de l’arrondissement. Histoire de faire avec eux une cartographie des zones délinquantes, de celles de la mémoire des rues et des peuples, du folklore, et aussi celles de l’ennui plus couramment appelées points sensibles ou bitume. Chemin faisant, j’allais tenter de leur expliquer quelques particularités et codes de leur futur secteur, les mettre en garde et les encourager à la fois. Ils étaient jeunes, impatients, curieux de tout, mais craintifs comme des débutants.
  Et puis il y a eu cet appel radio. Cambrioleur en action.
  « On est à côté, je prends !
  - Vous y allez... à vingt-deux ?
  - Affirmatif. À vingt-deux. »

extrait de Police Mon Amour

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Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire

29 Juillet 2009

Plus de temps à perdre.
Il faut qu'avant la fin de l'été, il soit ficelé, terminé, fini.
Achevé.

Je m'en vais donc patrouiller dans le texte, tracasser les virgules fugueuses et les points de suspension clandestins, fermer les yeux sur des pléonasmes calculés et laisser mes allitérations en planque, disperser les répétitions, flinguer de la dissonance, surveiller de près la concordance des temps, et finir le travail.

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Bénédicte Desforges

#vies de livres, #au jour le jour