3 Mars 2010

Police Mon Amour

Et comme je ne suis jamais mieux servie que par lui-même...

source : Refais le Monde Avant Qu'il ne Te Refasse

 

“Police, Mon Amour” de Bénédicte Desforges
par Philippe Sage

   Or donc, trois ans après Flic - Chroniques de la police ordinaire, Bénédicte Desforges nous revient avec Police, Mon Amour – Chroniques d’un flic ordinaire.
   Après le recto, le verso.
   Et ça prend aux tripes, ça secoue, deux tons, gyrophare, pas de héros, que des regards.
   Une mémoire.
   Qui émeut, ébranle et balaie tous les derniers clichés ou autres idées reçues sur un métier, celui de gardien de la paix. Ces flics en uniforme dont on ne parle jamais. Ceusses qui patrouillent avec un gros “Police” dans le dos, les voici ! Et c’est pas du Julie Lescaut, du Navarro, abracadabrantesques séries “policières” sorties de l’imagination pénible de quelques scénaristes de troisième division, non ! Là c’est du brut, et de décoffrage ; c’est du réel. Et dont personne ne sort indemne. Pas même elle, pas même Bénédicte Desforges.

   “Police, Mon Amour” n’est pas la suite de “Flic”. Mais son aboutissement. Oh certes, on retrouve ce style, percutant, précis, à la virgule et au “poing” près ; ces “scènes”, ces “images”, ces “sons” qui se succèdent avec juste ce qu’il faut de mots, toujours les bons, ciselés, imparables ; oui, comme dans “Flic” elle va droit à l’os, Bénédicte, et pourtant quelque chose a changé, dans le ton, le regard, encore et toujours le regard. Il nous bouleverse, souvent. Nous déstabilise et nous déshabille. Voilà même qu’on se reconnaît, au détour d’une page, cet automobiliste, ce “sale con”, celui qui s’en fout, qui grille tout ce qu’il peut, celui qui ne sait pas, ne connaît rien de l’horreur, du désespoir, de ce drame survenu sur l’A86, cette femme, son bébé, ce gardien de la paix qui hurle, impuissant, putain aidez-moi ! Oui, cet automobiliste, on l’a tous été, au moins une fois.
   La route, ses accidents, terrifiants, cela fait partie du quotidien peu réjouissant d’un gardien de la paix. Comme garder une rue, déserte, toute une journée durant. Attendre. Compter les pavés. Funambule. Les fleurs, regarder pousser ou effeuiller, “un peu, beaucoup, à la folie”. Et puis, attendre encore. Un cortège présidentiel, qui jamais ne viendra. Ou alors pas de ce côté-là. Mais voilà que, déjà, ça repart, et pas qu’un peu, deux tons, gyrophare, un braquage, un différend familial, un suicide ; la routine ? Même pas ! On a beau avoir du métier, en avoir vu des “scènes”, des “images”, elles ne sont jamais les mêmes, tout le temps elles vous surprennent et vous cueillent. Y’a de quoi rendre carte, insigne et pétard, tant la brutalité est féroce, l’ingratitude est constante, et maigre, si maigre, la reconnaissance.
   Faut-il avoir les nerfs en acier trempé, une solidité à toute épreuve, et de l’humour, une sacrée bonne dose d’humour, aussi ! Parfois il éclate, complètement, pleine page, et ça fait du bien ! Ah, ce ministre de l’Intérieur qu’un collègue prend, en toute bonne foi, pour un acteur célèbre et zozotant ! Cette escapade à Londres ou encore cet attaché parlementaire prétendant que “tout le Parlement va aux putes”, que “la France entière se fait tailler des pipes”, un attaché parlementaire aux jambes étranges … Ça vous distrait des macchabées, carbonisés, éventrés, des chaussures qui saignent ou de ces têtes qui ressemblent à des pizzas. Du poids des corps. Et de celui des insultes. Ah, si encore le gardien de la paix pouvait compter sur sa hiérarchie, mais non ! Cette hiérarchie travaillée, obnubilée par le rendement, le “chiffre”, ou par un détail insignifiant, déplacé, à ce point que c’en est obscène. Plus encore que les “scènes”, les “images” et les “sons” que croise et se fade quotidiennement le gardien de la paix. Prolétaire de la rue. Prolétaire jusqu’au bout.

   Oh bien sûr, il s’en trouvera quelques uns pour dire que, oui, bon, c’est bien joli tout ça, mais enfin, cette police-là, c’est avant tout celle de Bénédicte Desforges ! Une police rêvée, parce qu’humaine, trop humaine ! Non mais attendez, à la lire, on en viendrait à l’aimer, la police ! Convenez que tout de même, c’est un peu fort de café !
   Sauf que, ce n’est pas une police rêvée, c’est juste une police qui s’en va. Qui a vraiment existé. Mais qui s’en va. Petit à petit. Une police qu’on démembre, qu’on désosse, qu’on brade. C’est cela qu’il faut lire, entre toutes ces lignes ; c’est cela qu’il faut comprendre, le danger qui nous guette, un avenir qu’a une sale gueule, Minority Report, police privée, où tout le monde en prendra pour son grade. Cette police, celle des Anciens, est en train de disparaître, et nous ne faisons rien. Assis sur nos canapés, confortables, regards vissés sur cette putain de télé. A préférer des Julie Lescaut ou des Navarro, quand ce ne sont pas les héros tristes et fatigués du cinéma éthéré d’Olivier Marchal.
   Voilà pourquoi ce livre (d'une belle littérature) est essentiel, urgent, un livre magistral, celui d’une femme qui aura tout donné, et qui, au final, la mort dans l’âme, sur la pointe des pieds, au matricule réduite, a quitté bien plus qu’un métier ; un amour. Éternel. Mais perdu.

”Police, Mon Amour – Chroniques d’un flic ordinaire” de Bénédicte Desforges - Anne Carrière Éditions - 4 mars 2010 [274 pages – 17,10€]

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14 Février 2010

menottes2


  J’avais ressorti mes petites histoires de menottes des archives pour tenter de faire passer un message. En douceur. Sans citer des articles de lois ou extraits de règlement – vous les trouverez ailleurs. Parce que j’ai pensé que ça suffisait pour faire comprendre cet aspect du métier de flic, et donner un éclairage différent sur des anecdotes d’actualité. Et que tout ça est moins simple que dans les rapports d’Amnesty International. Qu’un menottage, c’est bien autre chose qu’une entrave à la liberté, que sa raison d’être est multiple.
  Alors quoi ? Ça n’engage que moi, mais oui, oui je n’ai probablement pas toujours respecté les consignes.
  Je ne menotte pas pour humilier ou faire une piètre démonstration de pouvoir.
  Je le fais pour neutraliser celui que j’embarque et l’empêcher – éventuellement - de se mettre tout seul en danger, pour protéger ceux qui sont dans son entourage immédiat, et pour préserver les fonctionnaires de police - et moi avec - de réactions imprévisibles, notamment pendant le transport. Ça a l’air tout bête expliqué comme ça, hein ?
  Alors que vous dire que je n’ai pas déjà raconté ? Que je ne peux pas compter les gens à qui j’ai passé les pinces ? Parmi eux devaient se trouver des mineurs, certainement. Parfois plus grands que moi (je mesure 1m66) plus forts (j’ai vu des petits de 14 ans de 1m85 et 80 kilos, pas vous ?) mais surtout plus motivés à prendre la fuite ou à me coller un bourre-pif. Donc, clic-clac menottes, et boum! dans les droits du jeune citoyen et de ses bons amis donneurs de leçons.
  Pas très réglementaire me direz-vous, vous qui ne connaissez rien à la délinquance et à la procédure pénale, hormis ce que vous voulez bien entendre...

  Bah oui madame Michu, je me suis foutue hors la loi toute seule comme une grande, et pas qu’une fois. Et pas qu’avec les menottes.
  Un jour par exemple, j’ai insulté un méchant type, et j’ai eu très envie de lui coller une tarte. Finalement, c’est un collègue qui se l’est emplafonné, parce qu’il en a eu envie plus vite que moi. Il avait fait un truc moche ce type-là, très moche, et y a eu léger pétage de plomb de notre coté. C’est mal, je vous l’accorde, on n’est pas payés à faire une justice sous forme de baffes. C’est rare mais ça arrive, je ne vais pas mentir, et vous en auriez peut-être fait autant. À notre place. Mais vous n’y êtes pas, alors vous pouvez blâmer.
  Un autre jour, je m’en souviens très bien, j’ai laissé repartir un voleur de pneus et d’outils. Sous-payé par son employeur, licencié de surcroit, il avait fait quelques réserves, nous avait-il expliqué en pleurant au dessus du coffre de sa voiture. Cinoche ou pas, ça a fait tilt et il est reparti avec son butin et un "ça ira pour cette fois" dont il doit encore se rappeler. Et là, normalement, Clic! les menottes sont celles de l’IGS pour ma pomme. Comme de se laisser émouvoir, embobiner ou agacer par un sans-papier, et décider - en conscience et de notre propre chef, sans autre pouvoir de décision qu’une indulgence spontanée et irracontable - qu’il a droit a une chance supplémentaire parce qu’il a une bonne bouille et qu’on était disposés à entendre des histoires de massacres en Afrique Noire.
  Madame Michu et ses potes si prompts à m’expliquer comment exercer mon métier, trouvent toujours que ce genre de coups de canif dans la Loi est extrêmement sympathique. Et so hype sous dictature de droite molle, et tellement plus glamour ! Passibles de révocation, mais ça... bref, rien à foutre.
  Oui, j’ai fait plein de trucs pas prévus par la Loi ou le règlement, répréhensibles et passibles de sanctions, c’est le jeu ma pov’ Lucette. C’est le jeu d’un métier humain.
 Je menotte, madame Michu, et je suis équilibrée psychologiquement pourtant, et je ne fais pas nécessairement du chiffre quand je le fais, je dirais même que je n’y pense même pas.
  Et aussi, vieille gaucho que je suis et je ne me soigne même pas, bon flic que j’ai aussi été malgré ce penchant qui ne trouve plus d’écho satisfaisant dans le linéaire paysage politique français, j’avoue aussi avoir fait des contrôles d'identité au faciès. Et merde, qu’est-ce que ça marche bien le pifomètre avec un peu de métier, vous n’imaginez même pas ! Bon, ne vous y méprenez pas, j’englobe dans cette pratique des bonnes tronches de Maghrébins et des sales gueules de Blancs, ça marche aussi. N’allez pas penser à mal, ou je ne sais quoi...
  D’ailleurs, il faut que je vous dise autre chose, je suis bien plus à gauche que vous, bande de droitdelhommistes de salon. Moi je travaille avec le peuple et je vis avec, pire je le comprends dans ses pires dysfonctionnements, oui je le comprends même quand je ne l’approuve pas. Mais ce matériel humain est ma passion, ne vous choquez pas pour le mot, il est affectueux… Quand vous vous prétendez de gauche, parce que vous en parlez peut-être plus et mieux que moi, et que vous approuvez ce qui ne peut pas vous toucher, que vous avez une complaisance posturale, et que penser du bien du travail de la police pourrait vous faire basculer dans le camp des fascistes incurables.
  Vous parlez de violences policières sans savoir ce qu’est la brutalité du monde.
  Tiens à propos, le CNDS considérait un menottage brutal comme une violence policière. Vous qui validez d’emblée, parce que oui, l’idée qu’on s’en fait est brutale, eh bien je vous mets au défi de passer les menottes à quelqu’un qui n’est pas consentant sans le faire avec un peu de brutalité, ce que nous appelons aussi coercition.

  Vous voyez où je veux en venir ?
  À cette pauvre enfant menottée à 14 ans, bien sûr... ma tentative d’explication de l’usage des menottes s’étant cristallisée autour de ce non-évènement, bien davantage que la raison du nom de ma promotion de gardien de la paix.
  Petite pitchoune - même pas en situation irrégulière, ha ha ! - jetée du lit à 10h15 un jour d’école par des policiers tortionnaires, petite nénette rendue suspecte d’avoir participé à des violences en réunion sur un gamin. Les médias vous en ont abreuvés, ça n’a pas pu vous échapper.
  Les médias pour qui l’enfance est à géométrie variable selon l'actualité, entre la jeune enfant de 14 ans menottée ignominieusement, et la jeune femme de 13 ans qui avait allumé Polanski, vous me suivez ?
  Mais surtout, surtout, ne vous demandez pas pourquoi ces histoires de sales mômes sont surmédiatisées, préférez interpréter cette information en excès de zèle policier et consignes occultes qui n’auraient pas filtré ci-devant votre éminente jugeote. Préférez oublier que la législation va être modifiée, et que ces histoires de mineurs tombent à point nommé. Rappelez-vous des hordes de chiens mordeurs et tueurs déferlant sur TF1 avant le vote de la loi sur les chiens dangereux, et avant que ces molosses disparaissent du champ médiatique du jour au lendemain. Souvenez-vous aussi de ces enfants surineurs de profs juste avant les élections européennes et qui, dès le lundi matin lendemain du scrutin, ont cessé d’agresser leurs enseignants à l’arme blanche.
  Vous vous faites balader pour un oui pour un non. Il suffit de parler d’un fait de société pour que vous le pensiez émergent, ou de le taire pour qu’il cesse d’exister. Haïti va presque bien, tiens...
  Mais pour revenir à nos moutons entravés, à ces putains de menottes, soyez tranquilles, un avenir radieux se dessine. Les effectifs de police sont en baisse, donc les paires de bracelets aussi. Les prérogatives se diluent doucement, les armes c’est pas bien, ça fait mal, les armes non-létales c’est pas bien non plus, la police est écartelée entre des politiques et des missions contradictoires, entre la politique du résultat et l’impopularité de l’uniforme…
  Mais tout va bien, les caméras de vidéosurveillance arrivent, tout est opérationnel. La police se désincarne, se déshumanisera de fait, vous n’aurez plus à souffrir de ses travers. On a pris en compte votre sentiment d’insécurité alors que vous refusiez nos principes de précaution, le menottage par exemple.
  À cause de vous, nous ne sommes plus des gardiens de la paix, mais des forces de l’ordre, et demain nous serons à la faveur d’un glissement sémantique fort à propos, des forces de sécurité.
  Pourquoi ?
  Parce qu’à force de nous voir de travers, la politique qui façonne notre travail, au gré de l’opinion, des élections et des fantasmes citoyens, ultra sécuritaires ou néo anarchistes - l’un et l’autre sont aussi absurdes - cette politique opportuniste fera de nous ce que vous souhaitez. Vous aurez la police que vous méritez.
  Et rira bien qui rira le dernier.
  Même si j’ai mal à mon métier.
  Mais moi, ne vous en déplaise, j’étais gardien de la Paix.
  Malgré mes menottes...

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13 Février 2010

Smilflic

---- info / dernière minute ----
samedi 13 février 2010 - 14h50 GMT
 

Des gardiens de la paix du XVIIIème arrondissement de Paris auraient effectué
des contrôles d’identité aux alentours du boulevard Barbès.

Sous couvert d’anonymat, l’un d’eux a avoué que cette pratique avait cours depuis toujours dans la police nationale.

Ces faits se seraient répétés à plusieurs reprises
dans la même semaine.


Alertez Rue89 et Amnesty international !

C’est du lourd ! 

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