Fukushuu

23 Juin 2012

Quand il est arrivé au cours, il ne devait pas avoir plus de sept ans.
Il ne savait pas se servir de son corps, de ses poings, de ses pieds. L’espace lui semblait étranger, il ne savait pas se l’approprier, il était incapable de bouger sans penser à ses gestes. Il était lent, il n’osait pas, s’épuisait de trop de retenue. Il n’aimait pas que je lui montre comment serrer le poing, sa main dans la mienne pour placer son pouce sous ses petits doigts repliés. Il n’aimait pas une main sur l’épaule ou dans le dos pour l’aider à une technique. Il n’aimait pas le combat parce qu’il n’aimait pas qu’on le touche, mais quand ça arrivait, il se fichait d’avoir mal. Il n’aimait pas les katas, parce qu’il n’aimait pas qu’on le regarde. Alors il regardait par terre et se perdait. Il ne savait plus où il était, ne savait plus ou aller. Il s’immobilisait en se mordant la lèvre, essayait de se rappeler s’il devait avancer ou reculer. Il perdait l’équilibre à force de se demander comment rester debout.
Il n’était jamais tout à fait là, le regard vers nulle part, il paraissait s’absenter de lui-même.
Il ne disait jamais rien.
Un jour, je lui ai passé une médaille de bronze autour du cou, et je l’ai embrassé comme les autres enfants, pour lui souhaiter de bonnes vacances. Il a eu un frisson, il n’aimait pas qu’on l’approche.
Mais il ne disait rien.
Les enfants sont partis. Le prof et moi on a rangé la salle. On s’est dit qu’il avait changé, qu’il évoluait tout doucement, et qu’un art martial c’était bien pour lui.
Et on a fait le calcul des années de prison qui restaient à purger à son père.
Peut-être encore dix ans.
Et on s’est demandés s’il serait capable de lui casser la gueule à sa sortie.

B. Desforges

#ailleurs...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
laisser un commentaire