4 Février 2013

Mise à jour 14 févier : Nadir est libre


à propos de la détention et la justice en Irak (+ Google trad) :

Nadir,

Je t’écris cette petite bafouille que tu ne peux pas lire tout de suite. Et en fait, ça m’arrange bien que de là où tu es, dans cette maudite prison irakienne, tu ne puisses pas lire l’inquiétude qui ne me quitte pas, tout comme ta famille et tes milliers de potes qui se font un sang d’encre sans nouvelles de toi. Franchement Tocard, on n’est pas tranquilles.

Mais je t’écris quand même, de cette façon, parce que je veux que d’autres sachent qui tu es et ce qui t’arrive, et qu’ils joignent leurs voix aux notres, parlent de toi, le plus possible, le plus fort possible, puisque là, tout de suite, c’est bien la seule chose qu’on puisse faire pour que tu deviennes une urgence, et que tout soit fait pour te sortir de ce merdier.

Je ne te raconte pas les médias, tu les connais mieux que moi. Ils sont comme tu peux les imaginer en ce moment même. Frileux pour la plupart. Plus ils ont de l’audience, et moins ils sont audacieux. Faut croire que pour eux, tu es une cause inconfortable… Un peu comme Salah Hamouri, et c’est bien ça qui me fout les boules. Et pas qu’à moi. Inévitablement, nous avons tous fait un petit tour d’horizon des bons clients, têtes de gondole et autres icones qui, dans la difficulté, ont pu s’assurer du soutien sans faille des politiques de tous bords, de l’opinion et des faiseurs d’opinion… et de l’autre coté des projecteurs, les autres. J’ai bien peur que tu sois parmi ces autres-là… Tu n’as pas d’étiquette, tu n’es la caution ou le porte-drapeau d’aucun apparatchik, tu n’as pas vendu ton âme, tu n’es pas un suceur de roue, et tu es un peu trop Nadir avec une tête de Nadir.

Nadir, tu es un électron libre, pour toi il n’y a pas de demi-mesure, encore moins de compromis, mais tu es exactement ce qui fait trop souvent défaut à la presse. Intègre, sincère, indépendant, libre, courageux, oui mon Tocard, terriblement courageux… Tu n’es pas un planqué, tu n’as jamais choisi la facilité, le confort et la gloriole. Quand il faut y aller tu y vas, et tu rapportes dans tes bagages des tonnes de vérités. Des vérités aveuglantes, des vérités pas bonnes à dire, qui dérangent et mettent en porte-à-faux tous ceux qui font semblant de ne pas savoir, ou ceux qui adoptent des postures de salon, et renient leur simulacre d’engagement dans la minute qui suit, dès qu’il s’agit de d’assumer vraiment la charge d’une cause. Et je ne parle même pas de risque, ce vrai risque, pour soi et sa liberté, que tu n’as jamais hésité à prendre. Je pense à la Palestine évidemment, mais pas seulement.

Je pense aussi à tous tes défis, tes folies en solo, tes milliers de kilomètres à vélo pour le HIV, ton ascension de l’Everest en bon Tocard de la montagne, et à ton geste tellement émouvant quand, la gueule toute cramée, tu as déployé au sommet du monde, ce petit drapeau algérien tout secoué par le vent, et ton bout de carton tout pourrave en forme de cœur avec le numéro de ton département chéri marqué dessus, comme autant de clins d’œil à tes lointains ports d’attache, toi qui passes ta vie à larguer les amarres.

Tu n’as pas attendu de devenir journaliste encarté pour être ce que tu es et faire ce que tu as fait. C’est peut-être juste une façon utile de faire entendre des causes justes, désespérées, des causes que les versions officielles camouflent ou travestissent, pour que leurs drames ne viennent pas éveiller les consciences et la révolte.

Et te voilà barré en Irak, là où il y a dix ans tu étais déjà parti avec ton drapeau blanc de toujours, faire le bouclier humain au service d’un peuple dramatiquement éprouvé. Pour une promesse, et parce que tu es un mec qui n’a qu’une parole, tu y es retourné. Et puis il y a ce chapitre de ton journal de bord inachevé, Devenir invisible, qui sonne comme un mauvais présage. Et te voilà au trou à Bagdad. Tout ça pour quelques photos sans autorisation, disent-ils.

Nadir, je souhaite que tout ça n’ait été qu’un excès de zèle, une sorte de garde à vue irakienne à géométrie variable. Je veux bien comprendre que là-bas ils fassent fort dans le principe de précaution, mais tout de même… Ils n’avaient qu’à te coller dans un avion et bouffer ton visa.

J’espère et je croise les doigts pour qu’ils t’aient plutôt retenu pour ce que tu fais, des photos donc, et du journalisme. Parce que ça, c’était "presque" prévisible, et la liberté de la presse s’en accommodera s’ils te foutent dans un avion dans les heures qui viennent.
Mais si c’est pour ce que tu es, militant et pacifiste, si le reste est un prétexte, il faudra bien considérer que cette liberté supérieure à toute autre, celle qui est un délit dans bien trop de pays, la liberté de pensée et d’opinion, est ta compagne de cellule.

On est nombreux derrière toi Nadir, jamais assez, mais quand même, je t’assure qu’il y a du monde. Alors rentre vite, on t'attend, viens te reposer un peu avant de repartir là où le monde a besoin de journalistes qui travaillent avec leur cœur et leur conscience.

Allez, te fais pas prier, reviens maintenant ! Ta race !

Je t’embrasse fort et à très vite.

BD

Pétition

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Bénédicte Desforges

#au jour le jour

25 Janvier 2013

En matière de police, les sirènes que l’on entend finalement le plus ne sont pas le chant des lumières bleues qui tournent et clignotent, mais celles des discours monotones et attendus des statistiques de la délinquance.

Nous aurions aimé croire, éternels naïfs que nous sommes, et après avoir assisté à toutes les hystéries électorales, que dans ce domaine « le changement c’était maintenant ».

L’automne dernier, devant les cadres de la police, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, volontaire et déterminé, pointait à mots à peine couverts, la réalité de la communication sur les chiffres de la délinquance constatée sous le précédent gouvernement :
 

« Tout d'abord, nous devons franchir une étape vers plus de fiabilité de la statistique publique de la délinquance, et de sincérité dans son maniement. Il faut sortir de l'instrumentalisation politique et médiatique permanente de données, trop hétérogènes pour être significatives, ou trop agrégées pour ne pas être manipulables.

Vous connaissez, mieux que moi, l'art et la manière de piloter habilement un taux d'élucidation global ou un volume "attrape-tout" d'infractions révélées par l'action des services (IRAS) ; les secondes pouvant d'ailleurs servir à gonfler artificiellement le premier.

Les reports statistiques du fait d'enregistrements clos le 26ème ou 27ème jour du mois, les déqualifications judiciaires injustifiées, les déperditions entre le logiciel de rédaction de procédures et le logiciel de centralisation statistique : toutes ces pratiques, là où elles avaient cours, doivent cesser sans délai ! C'est une obligation de service public.

J'entends mettre un terme aux pratiques statistiques ayant dérivé vers une "politique du chiffre", devenue pour vous une équation impossible.
Des pratiques qui ont pu, d'autre part, vous détourner, vos collaborateurs ou vous-mêmes, des missions véritablement prioritaires du traitement de fond des problèmes de délinquance. »


[discours cadre sur la sécurité - 19 septembre 2012]


La cause paraissait entendue, et le changement était peut-être pour maintenant : comme nous le répétons tous les deux depuis des années, les chiffres statistiques de la délinquance constatée, de même que ceux du réel taux d’élucidation, étaient bidonnés. Donc faux. Tout simplement. Nous pouvons même affirmer qu’ils étaient prédéterminés par des instructions précises d’objectifs à atteindre chaque semaine, chaque mois, chaque année.

À l’aune des communiqués réguliers des glorieuses victoires du Chemin des Dames de la lutte pour la sécurité depuis 2002, parfois pour seulement quelques dixièmes de point de baisse artificielle, l’imposture n’était pas neutre. Il aurait été simple à Manuel Valls de la faire établir clairement par une volée d’audits dans les services de police les plus représentatifs, en comparant tout bonnement par sondages le taux de variation entre les infractions réellement constatées et celles présentées après rectifications dans les statistiques officielles. Cela aurait déjà évité les éternelles querelles de politique partisane sur la progression ou non de la délinquance.
Sauf que…
Lui posant la question d’une telle « opération vérité », le 2 juin 2012, Jean-Jacques Urvoas, ancien secrétaire général des questions de sécurité au PS, répondait : « Impossible. Le gouvernement ne peut pas prendre le risque de se mettre à dos le corps des Commissaires. »

Serait-ce donc là le nœud du problème de communication de Manuel Valls sur ces fameux chiffres, et sur les récurrentes polémiques comparatives avec ceux de l’ancien gouvernement comme nous l’avons vécu ce mois de janvier 2013 ?

Le ministre esquive, argumente des évidences de principe, tourne autour d’une vérité pas bonne à dire sans jamais la formuler, rien n’est vraiment clair. Il ne dira pas que les chiffres étaient simplement faux. Circulez y’a rien à voir…

Pourtant, c’est bien le discours qu’il avait publiquement (et médiatiquement) tenu aux cadres des forces de l’ordre On aurait été en droit de s’attendre à ce qu’il s’y tienne et en informe les citoyens en toute transparence.

Mais autant il est aisé d’expliquer qu’un commissaire de police peut difficilement refuser d’obéir aux instructions et impératifs du gouvernement en place, sauf à sacrifier son emploi, sa carrière et son métier, autant il est plus délicat d’établir que l’enjeu va bien au-delà.

Imaginons juste qu’un journaliste pertinent (il doit en rester qui ne prennent pas leurs informations uniquement de sources autorisées) pose publiquement une question rationnelle sur le bon fonctionnement d’une institution républicaine :
« Les chiffres fournis par la hiérarchie de la police durant des années étant faux, cette même hiérarchie étant gratifiée, dans le même temps, de primes annuelles conséquentes, (et y rajoutant celles dites de performance depuis 2011) ,plusieurs dizaines de milliers d’€uros dont une bonne partie tenait à cette production statistique, peut on en déduire que ces résultats « de commande » furent « achetés » par la précédente majorité? Et combien cela a-t-il coûté aux citoyens ? »

Impossible. Cela dépasserait l’entendement.

Tout aussi préoccupant, les instructions chiffrées ont-elles cessé depuis le changement annoncé de mai 2012 ?

Dans bon nombre de services de police, ce n’est absolument pas le cas. D’absurdes notes de service imposant des objectifs chiffrés à atteindre ont même été réitérées depuis l’élection présidentielle. Le ministre en a été avisé. Ces notes sont néanmoins restées en vigueur, et les policiers les ont appliquées jusqu’à fin 2012.

Le ministre de l’Intérieur, de tout évidence conscient d’un problème de crédibilité, promettait une « nouvelle méthode » plus exacte et transparente, d’évaluation du volume de la délinquance constatée, et des évolutions des catégories d’infractions. Lors de sa présentation des chiffres du 18 janvier, il réaffirmait cette promesse pour l’année 2013, sans véritablement de précisions.

C’est là où le bât blesse. Et sérieusement. Parce que quelques jours plus tôt, le Directeur Central de la Sécurité Publique demandait, lui, à tous ses Directeurs Départementaux, de commenter la délinquance constatée par leurs services pour les années 2012, 2011 et 2010, en utilisant comme références…deux notes de service et une circulaire ministérielle datant de… 2010.
 

politique du chiffre 2013
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En clair, il faut donc qu’au 28 février 2013, ces hauts fonctionnaires de la police aient commenté des chiffres considérés comme inexacts, ou pour le moins explicitement mis en doute, par le ministre de l’Intérieur lui-même, et ce en application stricte d’instructions établies sous la mandature de Brice Hortefeux !

Des consignes élaborées pour la police du temps de la présidence de Nicolas Sarkozy seraient donc ces "nouveaux outils statistiques"(sic) ?

Voilà pour le moins un « changement » incompréhensible. Et une valse à deux tons plus que troublante.

Marc Louboutin et Bénédicte Desforges
ex lieutenants de police et auteurs

bonus (26 janvier 2013) :

jju-26janv2013

Manifestement, l'amnésie est un syndrome bien partagé.
Même la mémoire à court terme n'y résiste pas.

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Bénédicte Desforges

#actu police, #politique du chiffre

24 Décembre 2012

MISE À JOUR

suicide paris 2

suicide avignon

suicide paris

Aujourd’hui 24 décembre, à Paris, la semaine dernière à Avignon et à Paris. Il y a trois semaines, à Paris aussi.
Tous avec leur arme, tous sur leur lieu de travail.

Qu’on ne vienne pas prétendre que, dans ces drames, l’environnement professionnel n’a rien à voir puisque c’est précisément au travail, et avec un outil de travail, qu’ils ont mis un terme à leur vie.

Le message est si inaudible que ça ?

Il est plus que temps, il est urgent, que l’administration police regarde ce qu’elle fait de ses flics.

Il est temps que ministres et élus considèrent ce qu’est devenu ce service public, au lieu d’instrumentaliser la police, nationale et républicaine, et en faire le terrain de manœuvre d’ambitions électorales ou de caprices associatifs.

C'est intenable !

Quand la police aura les moyens de travailler correctement, mais surtout, quand on cessera de considérer les flics comme du mobilier urbain ou un joker idéologique, et quand ils ne seront plus les arbres qui cachent la forêt des incompétences et des échecs politiques successifs, ça ira certainement mieux. Pour tout le monde.

Marc Louboutin avait rédigé, il y a un bout de temps déjà, des préconisations pour la prévention des suicides dans la police. Je vous invite à les (re)lire et à les relayer. Elles sont simples, efficaces, faciles à mettre en œuvre, peu couteuses en effectifs et quasi néant en terme de budget.


 Prévention des suicides dans la police

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Bénédicte Desforges

#actu police, #suicides