Je ne compte pas le nombre de fois où la question m’a été posée…
« Un métier d’homme, ce n’est pas trop dur ? »
— Il arrive que ce soit dur, parce que les situations sont dures, non pas parce que je ne serais pas à ma place dans la police. Quand c’est dur, c’est dur pour tout le monde.
— Oui mais quand même, une femme n’est pas faite pour ça.
— Pas faite pour quoi au juste ?... »
Et là, s’ensuit généralement une énumération de lieux communs et de présupposés.
Je réponds alors que, rationnellement, les qualités d’un bon flic sont asexuées.
Avoir une bonne connaissance de la loi et de la procédure, être intègre et juste, faire preuve de patience, de rigueur, persévérance, diplomatie, sang-froid. Être ferme mais objectif, avoir ce qu’il faut d’empathie, ni trop ni trop peu, mais une écoute sincère et sans jugement. Être solidaire dans les moments difficiles. Savoir s’adapter rapidement, surmonter et mettre de coté l’émotion, la colère, le dégoût. Etc, etc.
(de même que les défauts des mauvais flics sont tout autant asexués. Lâcheté, manque de fiabilité, arrivisme, etc.)
Immanquablement, c’est prévisible, arrive l’argument supposé mettre à mal mon argumentaire.
« Et la force physique ? Ça pose un problème tout de même…
— On ne peut pas résumer le métier de policier à la force et aux muscles. C’est totalement réducteur.
— Et quand il le faut ? Si vous devez maitriser un type très énervé de cent kilos, vous êtes dans la panade, non ?
— Dans ce cas de figure, tout le monde l’est.
— Mais dans une situation d’affrontement physique, vous êtes plus vulnérable qu’un homme...
— Pas forcément. Il y a des hommes plus faibles que certaines femmes. Il y a des hommes peureux aussi. Et d’autres qui seraient enclins à envenimer des situations. Globalement, plus puissants musculairement, mais aussi moins souples et moins agiles que les femmes. Mais tout ça est pondéré par le fait que la police de terrain est un travail d’équipe. »
Soit dit en passant, à propos de l’agressivité (au sens large et non péjoratif) que l’on a tendance à associer à la virilité et à la biologie masculine, voilà déjà plusieurs années que les endocrinologues ont établi qu’elle n’est pas une incidence de la testostérone. Au contraire, cette hormone mâle (mais que les femmes produisent naturellement en plus faible quantité, tout comme les hommes produisent des œstrogènes) tiendrait un rôle dans l’aptitude à gérer le lien social.
« Enfin, c’est indéniable, si vous portez un uniforme, une arme, vous devez bien mettre votre féminité de coté…
— Qu’entendez-vous par féminité au juste ?
— Hé bien par exemple, dans ce métier vous ne pouvez pas vous habiller "en femme", vous maquiller, porter une jupe, des talons hauts… être féminine.
— Bien évidemment, mais cette définition de la féminité est réductrice elle aussi. À mon sens les gestes que vous citez relèvent de l’image, voire de la séduction. Objectivement, ce sont des artifices qui n’ont pas nécessairement leur place dans l’exercice d’une profession, à moins de considérer que la féminité se résume à une apparence. »
Dans le discours commun, le mot féminité est très souvent associé à l’image, laquelle image est une sorte de caricature essentiellement à l’usage des hommes. Ce concept est ensuite décliné sous forme de comportements et de tâches prétendument dédiés au genre féminin.
« Heureusement tout de même qu’il y a des femmes dans la police. Vous tenez certainement un rôle privilégié quand il s’agit d’intervenir sur des différends conjugaux, des femmes battues, des victimes viols, des enfants en détresse…
— Cliché. Dans ces situations qui nécessitent beaucoup de tact et d’écoute, voire de la douceur, ce ne sont pas nécessairement les femmes flics qui sont les plus à l’aise et efficaces. Dans l’absolu, c’est bien davantage une question de ressenti, d’expériences, de situation familiale ou d’âge. Dans la pratique, femme ou homme, chacun fait au mieux.
— Une femme ne se confie pas plus facilement à une femme ?
— Pas forcément, mais une victime peut en formuler le souhait si c’est son cas. »
Lors d’une intervention, l’expérience ou la situation (généralement désagréables) d’autrui peut faire écho au vécu de l’interlocuteur policier, et le rendre à même ou difficilement capable d’avoir l’attitude attendue. Être femme ou homme ne fait pas la différence. Dans le domaine de la compétence policière, il y a bien plus de différences d’atouts ou d’entraves, à prendre en compte que la différence de genre.
« De toutes façons, il y a une application de quotas au recrutement dans les écoles de police.
— En effet, mais ça ne présume en rien des aptitudes des uns et des autres. Un recrutement sans quotas pourrait d’ailleurs réserver des surprises.
— Plus de femmes ?
— Non, mais peut-être une parité naturelle… Quand je suis entrée dans la police, les quotas étaient très défavorables aux femmes. Du coup, au concours de gardien de la paix, toutes épreuves confondues, les femmes ont été reçues à partir de 17/20 et les hommes 9/20. En revanche, à la fin de la scolarité, la tête de promotion était constituée de 5 femmes et 5 hommes. »
Ce n’est pas parce que la police a été un bastion masculin très résistant à la féminisation de ses effectifs – Police nationale, un métier d’homme - qu’elle devait arbitrairement rester un domaine réservé.
Les hommes l’ont néanmoins plutôt mal vécu au début, et ont longtemps couiné à l’aberration de cette mixité. Un peu comme si leur virilité s’en était trouvée affectée, puisque du jour au lendemain, ils s’étaient retrouvés à ne plus exercer... un métier d'homme.
Objectivement, aujourd'hui beaucoup de métiers d’homme ne le sont plus, et beaucoup de métiers dits pour femmes, de façon similaire, le sont uniquement en application d’un conformisme social et culturel et de prédispositions supposées.
Une femme qui envisage de devenir flic, pompier, mécanicienne, chef d’orchestre, pilote de ligne ou astronaute n’usurpe la place de personne. Pas plus qu’un homme qui souhaiterait faire de la puériculture son métier, ou devenir danseur classique. La bonne place est celle que l’on choisit hors du carcan de conventions qui n'ont pas ou plus de sens.
Au nom de quel aveuglement hors d'âge faudrait-il qu’on tolère encore d'entendre parler de sexe fort et sexe faible ? et que perdurent des stéréotypes sans autre fondement que le dictat d’une phallocratie devenue sans objet ? si tant est qu’un jour, elle en ait eu un…
Si l’école enseigne que des nations se sont émancipées, que le temps de l’esclavage et de la ségrégation est révolu, que le racisme n’a aucun sens, que la colonisation était inéquitable, invivable – et pourtant, dans ces époques-là, tout le monde trouvait ça parfaitement normal et cohérent – s'il est démontré que l'héritage du passé n'est pas toujours beau à voir et qu'il faut en tirer des leçons, mais encore, si l’éducation civique et les Droits de l’Homme font partie des programmes scolaires, si le mot discrimination est dit et expliqué, alors il est logique que le sexisme et tous les déterminismes abscons qui lui toujours sont liés, soit abordé, expliqué et démonté, tant le principe du stéréotype justifie une approche intellectuelle.
L’égalité n’est pas synonyme d’uniformité, et dégagés du poids des clichés et préjugés, de Vénus et de Mars, féminité et masculinité trouveraient enfin un sens qui ne soit pas synonyme d’entrave sociale. Et la seule parité acceptable, qui aurait un sens authentique, serait celle qui, non contrainte par des textes inefficients et à courte portée, se construirait hors de tout stéréotype.
Alors ne vous moquez pas des fillettes qui jouent au cowboy, trouvent qu’en rose elles ressemblent à une fraise tagada, ou se rêvent dans un 38 tonnes. Ou au volant d’une voiture de police.
Plus le garçon est manqué, plus la fille est réussie.