“vies de livres”

5 Septembre 2020


Expulsion est une histoire courte qui a été publiée en 2006 ici sur mon blog, en 2007 dans mon premier livre, FLiC, Chroniques de la police ordinaire, et en 2008 en édition de poche.
C’est une histoire que j’ai vécue.

Ce récit est le pitch du film Police dans lequel jouent actuellement Omar Sy et Virginie Efira : la reconduite d'un condamné à mort à la frontière et l'avoir mis en situation qu'il puisse s'évader avant d'arriver à l'aéroport.

L'expulsion.
J’étais gardien de la paix.
La fille dans la voiture c’était moi.

Ce film est l’adaptation d’un roman de 2016, lequel est inspiré de mon histoire. Je ne l’ai appris qu’après coup en croisant l'auteur Hugo Boris lors d’un débat sur France-inter. Il me remercie à la fin de son livre. Ni mon éditeur, ni moi n’avons été avisés de cet "emprunt". La question de mes droits d’auteur ne s'est jamais posée.

Apprenant la sortie du film, et au vu du pitch qui, sauf les arches narratives des personnages, correspond à Expulsion, je réagis. Ce n’est pas la première fois que FLiC, Chroniques de la police ordinaire sert de réservoir d’histoires.
Mais sans mon histoire, il n’y a ni roman, ni film.
Je veux que FLiC soit mentionné.

En quelques échanges entre avocats j’apprends que mon récit relève du "fait divers" et qu’en fait, il est libre d’adaptation. Cette histoire n’a pourtant eu aucun écho médiatique, et son originalité, son unicité, réside dans l’histoire intime, la décision concertée et le non-dit des flics.

Je n’ai pas 20 000€ à lâcher à un avocat. Je ne peux compter que sur vous qui me lisez pour faire savoir que cette histoire est la mienne. Que mes collègues et moi ne le voulions pas, que notre mémoire en est meurtrie, mais nous avons emmené un homme à l’abattoir.


Bénédicte Desforges 
 



France-info  article du 10 septembre 2020

 

Voir les commentaires

9 Novembre 2017

L’étrange expérience de rentrer et voir de près à quoi ressemble le pilon, cet endroit où viennent brutalement mourir les livres. Je viens de recevoir une lettre de Casterman qui m’annonce la fin prochaine de Flic, la bande dessinée. Au pilon. Les livres coûtent moins cher à détruire qu’à stocker.

le pilon


  Il nous avait prévenus qu'on serait surpris. Et mal à notre aise. Mais il ne voulait pas nous dire où il nous emmenait. Il voulait voir nos regards au moment où on franchirait la porte, et revivre le choc dans nos yeux. Il nous avait simplement dit qu’il avait fait connaissance d’un homme, un veilleur de nuit, qui travaillait tout au fond d’une zone industrielle, dans un entrepôt pas comme les autres. Par amitié, il s’était occupé de lui annuler une contravention sans importance, et puis une deuxième, et l’homme lui avait alors proposé de le rejoindre sur son lieu de travail. Pour voir. Parce qu’il fallait voir ça au moins une fois. Parce que c’était un endroit secret. Et parce qu’il en avait la clé.
  Une nuit, il était allé le rejoindre, et quelques jours plus tard, il avait demandé à cette obscure sentinelle s’il pouvait revenir, parce que c’était plus fort que lui, et qu’il n’avait cessé d’y penser. Et l’autre lui avait permis de revenir avec nous. Avant de quitter le commissariat, on avait promis de ne jamais révéler à quiconque le chemin de cet endroit, ni de dire qu’on y avait pénétré. Le veilleur de nuit tenait au-delà de tout à son emploi, et n’avait le droit de laisser entrer personne.
  Nous étions donc partis en patrouille en direction de cette immense zone industrielle qui se trouvait de part et d’autre d’une longue avenue en impasse, faite d’une multitude de voies perpendiculaires formant de grands blocs entre lesquels on se perdait. Nous avions fait le chemin en plaisantant, échafaudant toutes sortes d’hypothèses farfelues autour de ce mystérieux entrepôt. On essayait de deviner, mais l’autre, qui demeurait silencieux, avait seulement lâché « Vous allez voir, c’est terrible… »
  On roulait doucement entre des hangars aux portes closes et des containers empilés, impatients de savoir. Après avoir emprunté une voie en sens interdit au bout d’une aire de chargement déserte, nous nous sommes arrêtés devant une grille derrière laquelle allait et venait un grand chien noir et fauve. Une petite pancarte rouillée nous a semblé indiquer qu’on se trouvait devant une entreprise de recyclage. Au fond d’une cour jonchée de bouts de papier, se trouvait un entrepôt semblable à tous les autres, fait de béton et de tôles ondulées. D’une petite porte située sur le coté, un homme est apparu, et a appelé le chien qu’il a attaché à une corde. Puis, il est venu nous ouvrir un battant de la grille pour que nous entrions la voiture dans la cour. Nous l’avons salué, et il nous a pressés de le suivre. Il était pâle comme tous ceux qui travaillent la nuit, et avait des cernes sombres sous des yeux rougis comme s’il venait de se réveiller. Mais son regard était malicieux… « Suivez-moi » nous dit-il en faisant coulisser une première porte dont il avait libéré la chaîne de son cadenas. Nous avons franchi un espace où étaient alignées de grandes bennes vides posées sur des cales. Et nous avons passé une autre porte pareillement verrouillée qui donnait accès à des dizaines de rangées de palettes et de cartons fermés. Le veilleur de nuit s’est arrêté devant la dernière porte et nous a regardés de ses yeux brillants de fatigue. « Je vous laisse là. Je vais retourner lire. Faites ce que vous voulez et prévenez moi quand vous partirez que je referme tout derrière vous. » Et d’un air soudainement grave, il fit tourner une clé dans la serrure, et rebroussa chemin. Et on est entrés.
  Il y avait là des montagnes de livres. Des tas immenses les uns à coté des autres, des tas qu’on aurait pu escalader, qui auraient pu nous engloutir. Des cordillères de collines de livres, de pages, de couvertures béantes. Des livres de toutes tailles, de tous genres. Certains étaient grossièrement troués, d’autres avaient été mouillés et leurs couvertures ne se refermaient plus sur leurs pages gondolées, d’autres encore étaient salis, tâchés de peinture, pliés, déchirés.
  On se regardait, incrédules, nous demandant ce que tout cela voulait dire.
  « C’est le pilon, dit l’un d’entre nous. C’est là que viennent finir les livres. Les livres invendus, les livres périmés, les ratés des imprimeries, les perdants, les mort-nés. On est dans le cimetière des livres. »
  C’est donc ainsi que venaient s’échouer les ouvrages dont personne n’avait voulu, dont la consommation s’était détournée. Des livres qui n’avaient jamais été ouverts, jamais été saisis par des mains impatientes et curieuses, des livres qui ne seraient jamais lus. On avait tous un sentiment de malaise face à ces milliers de livres vierges devenus déchets, et qui allaient retourner à l’état de papier, leur matière première.
  Il y avait dans ce spectacle de livres éventrés et malmenés, dont la destruction avait commencé, quelque chose d’obscène, une incohérence dérangeante. J’avais l’impression confuse d’être dans un charnier. Nous nous sommes mis à fouiller dans ces tonnes de livres. Il s’en trouvait qui étaient encore intacts, et nous les sortions de cette sorte de fosse commune en caressant leur couverture épargnée, comme on sort un oiseau blessé d’une marée noire. On s’est vite retrouvés avec des piles de livres que nous sommes allés entasser dans le coffre de la voiture. Quand celui-ci fut plein, nous sommes allés voir le veilleur de nuit et lui avons demandé l’autorisation de revenir un peu plus tard, quand nous aurions déposé notre cargaison quelque part. Il acquiesçât d’un clin d’œil entendu. Trois quarts d’heure et un différend familial plus tard, nous étions de retour sous l’éclairage cru et sinistre de l‘entrepôt. Et nous recommencions, les bras engagés jusqu’à l’épaule dans les amas de pages torturées, à tout retourner jusqu’à trouver des livres saufs.
  Nous avions pris l’habitude de revenir régulièrement. On accumulait les livres. On n’avait pas l’impression de voler. Personne n’avait voulu de ce papier qui ne se comptait désormais plus en plaisir mais en quintaux, et on en prélevait une infime quantité qui ne faisait pas la différence. Sauf pour nous qui avions le sentiment de troubler un drame, d’empêcher un absolu sacrifice, et accumulions chez nous ce qu’on considérait comme des objets nobles et beaux, mais tristement éphémères tant qu’ils n’appartiennent à personne.
  On s’était mis à lire bien plus qu’avant, et on offrait des livres à tout le monde. Jusqu’au jour où deux vigiles ont remplacé le chien et l’ami qui fermait les yeux sur nos petits pillages nocturnes. Il nous a manqué, et on continuait à penser au pilon qui avalait tout, désormais bien gardé par deux cerbères. Et il me plaisait d’imaginer que le veilleur de nuit était devenu libraire.
 

Texte extrait de Police Mon Amour

Voir les commentaires

8 Mars 2015

gender flic studies

Je ne compte pas le nombre de fois où la question m’a été posée…
« Un métier d’homme, ce n’est pas trop dur ? »
— Il arrive que ce soit dur, parce que les situations sont dures, non pas parce que je ne serais pas à ma place dans la police. Quand c’est dur, c’est dur pour tout le monde.
— Oui mais quand même, une femme n’est pas faite pour ça.
— Pas faite pour quoi au juste ?... »

Et là, s’ensuit généralement une énumération de lieux communs et de présupposés.

Je réponds alors que, rationnellement, les qualités d’un bon flic sont asexuées.
Avoir une bonne connaissance de la loi et de la procédure, être intègre et juste, faire preuve de patience, de rigueur, persévérance, diplomatie, sang-froid. Être ferme mais objectif, avoir ce qu’il faut d’empathie, ni trop ni trop peu, mais une écoute sincère et sans jugement. Être solidaire dans les moments difficiles. Savoir s’adapter rapidement, surmonter et mettre de coté l’émotion, la colère, le dégoût. Etc, etc.
(de même que les défauts des mauvais flics sont tout autant asexués. Lâcheté, manque de fiabilité, arrivisme, etc.)

Immanquablement, c’est prévisible, arrive l’argument supposé mettre à mal mon argumentaire.
« Et la force physique ? Ça pose un problème tout de même…
— On ne peut pas résumer le métier de policier à la force et aux muscles. C’est totalement réducteur.
— Et quand il le faut ? Si vous devez maitriser un type très énervé de cent kilos, vous êtes dans la panade, non ?
— Dans ce cas de figure, tout le monde l’est.
— Mais dans une situation d’affrontement physique, vous êtes plus vulnérable qu’un homme...
— Pas forcément. Il y a des hommes plus faibles que certaines femmes. Il y a des hommes peureux aussi. Et d’autres qui seraient enclins à envenimer des situations. Globalement, plus puissants musculairement, mais aussi moins souples et moins agiles que les femmes. Mais tout ça est pondéré par le fait que la police de terrain est un travail d’équipe. »

Soit dit en passant, à propos de l’agressivité (au sens large et non péjoratif) que l’on a tendance à associer à la virilité et à la biologie masculine, voilà déjà plusieurs années que les endocrinologues ont établi qu’elle n’est pas une incidence de la testostérone. Au contraire, cette hormone mâle (mais que les femmes produisent naturellement en plus faible quantité, tout comme les hommes produisent des œstrogènes) tiendrait un rôle dans l’aptitude à gérer le lien social.

« Enfin, c’est indéniable, si vous portez un uniforme, une arme, vous devez bien mettre votre féminité de coté…
— Qu’entendez-vous par féminité au juste ?
— Hé bien par exemple, dans ce métier vous ne pouvez pas vous habiller "en femme", vous maquiller, porter une jupe, des talons hauts… être féminine.
— Bien évidemment, mais cette définition de la féminité est réductrice elle aussi. À mon sens les gestes que vous citez relèvent de l’image, voire de la séduction. Objectivement, ce sont des artifices qui n’ont pas nécessairement leur place dans l’exercice d’une profession, à moins de considérer que la féminité se résume à une apparence. »

Dans le discours commun, le mot féminité est très souvent associé à l’image, laquelle image est une sorte de caricature essentiellement à l’usage des hommes. Ce concept est ensuite décliné sous forme de comportements et de tâches prétendument dédiés au genre féminin.

« Heureusement tout de même qu’il y a des femmes dans la police. Vous tenez certainement un rôle privilégié quand il s’agit d’intervenir sur des différends conjugaux, des femmes battues, des victimes viols, des enfants en détresse…
— Cliché. Dans ces situations qui nécessitent beaucoup de tact et d’écoute, voire de la douceur, ce ne sont pas nécessairement les femmes flics qui sont les plus à l’aise et efficaces. Dans l’absolu, c’est bien davantage une question de ressenti, d’expériences, de situation familiale ou d’âge. Dans la pratique, femme ou homme, chacun fait au mieux.
— Une femme ne se confie pas plus facilement à une femme ?
— Pas forcément, mais une victime peut en formuler le souhait si c’est son cas. »

Lors d’une intervention, l’expérience ou la situation (généralement désagréables) d’autrui peut faire écho au vécu de l’interlocuteur policier, et le rendre à même ou difficilement capable d’avoir l’attitude attendue. Être femme ou homme ne fait pas la différence. Dans le domaine de la compétence policière, il y a bien plus de différences d’atouts ou d’entraves, à prendre en compte que la différence de genre.

« De toutes façons, il y a une application de quotas au recrutement dans les écoles de police.
— En effet, mais ça ne présume en rien des aptitudes des uns et des autres. Un recrutement sans quotas pourrait d’ailleurs réserver des surprises.
— Plus de femmes ?
— Non, mais peut-être une parité naturelle… Quand je suis entrée dans la police, les quotas étaient très défavorables aux femmes. Du coup, au concours de gardien de la paix, toutes épreuves confondues, les femmes ont été reçues à partir de 17/20 et les hommes 9/20. En revanche, à la fin de la scolarité, la tête de promotion était constituée de 5 femmes et 5 hommes. »

Ce n’est pas parce que la police a été un bastion masculin très résistant à la féminisation de ses effectifs – Police nationale, un métier d’homme - qu’elle devait arbitrairement rester un domaine réservé.
Les hommes l’ont néanmoins plutôt mal vécu au début, et ont longtemps couiné à l’aberration de cette mixité. Un peu comme si leur virilité s’en était trouvée affectée, puisque du jour au lendemain, ils s’étaient retrouvés à ne plus exercer... un métier d'homme.

Objectivement, aujourd'hui beaucoup de métiers d’homme ne le sont plus, et beaucoup de métiers dits pour femmes, de façon similaire, le sont uniquement en application d’un conformisme social et culturel et de prédispositions supposées.

Une femme qui envisage de devenir flic, pompier, mécanicienne, chef d’orchestre, pilote de ligne ou astronaute n’usurpe la place de personne. Pas plus qu’un homme qui souhaiterait faire de la puériculture son métier, ou devenir danseur classique. La bonne place est celle que l’on choisit hors du carcan de conventions qui n'ont pas ou plus de sens.

Au nom de quel aveuglement hors d'âge faudrait-il qu’on tolère encore d'entendre parler de sexe fort et sexe faible ? et que perdurent des stéréotypes sans autre fondement que le dictat d’une phallocratie devenue sans objet ? si tant est qu’un jour, elle en ait eu un…

Si l’école enseigne que des nations se sont émancipées, que le temps de l’esclavage et de la ségrégation est révolu, que le racisme n’a aucun sens, que la colonisation était inéquitable, invivable – et pourtant, dans ces époques-là, tout le monde trouvait ça parfaitement normal et cohérent – s'il est démontré que l'héritage du passé n'est pas toujours beau à voir et qu'il faut en tirer des leçons, mais encore, si l’éducation civique et les Droits de l’Homme font partie des programmes scolaires, si le mot discrimination est dit et expliqué, alors il est logique que le sexisme et tous les déterminismes abscons qui lui toujours sont liés, soit abordé, expliqué et démonté, tant le principe du stéréotype justifie une approche intellectuelle.

L’égalité n’est pas synonyme d’uniformité, et dégagés du poids des clichés et préjugés, de Vénus et de Mars, féminité et masculinité trouveraient enfin un sens qui ne soit pas synonyme d’entrave sociale. Et la seule parité acceptable, qui aurait un sens authentique, serait celle qui, non contrainte par des textes inefficients et à courte portée, se construirait hors de tout stéréotype.

Alors ne vous moquez pas des fillettes qui jouent au cowboy, trouvent qu’en rose elles ressemblent à une fraise tagada, ou se rêvent dans un 38 tonnes. Ou au volant d’une voiture de police.
Plus le garçon est manqué, plus la fille est réussie.

Voir les commentaires