Le témoin

6 Avril 2011

  L’ histoire était banale. En milieu d’après-midi, un homme était monté dans un wagon du métro. À l’arrêt suivant, à l’instant même où s’ouvraient les portes, il avait violemment bousculé une femme d’un coup de coude en plein thorax et lui avait arraché son sac. La femme était tombée par terre en poussant un cri strident, tout le monde s’était regardé avec des yeux ronds, et personne n’avait bougé.
   L’homme avait sauté sur le quai et s’était mis à courir vers la sortie. Ce qui était moins banal était la présence de ce passager qui s’était lancé à sa poursuite, laissant les autres dévisager leur lâcheté, eux qui étaient restés accrochés de toutes leurs mains aux barres métalliques du wagon, à s’en faire exploser les articulations.
   La fuite du voleur n’avait pas duré longtemps. Se voyant distancé, son poursuivant avait décroché un extincteur de sa niche sur le quai et le lui avait envoyé dans les jambes. Le voleur avait alors fait une culbute en plein élan, et était allé se casser le nez et s’étourdir contre un mur. La femme, encore choquée et peinant à retrouver sa respiration, était arrivée et avait ramassé son sac. Elle avait chaleureusement remercié l’homme et s’était vite éclipsée, pressée de se mettre à l’abri de ce sale souvenir et de se trouver hors de la vue de son voleur. Les témoins de la scène s’étaient également dépêchés de quitter les lieux, peu désireux de faire connaître leurs noms à l’homme audacieux, ou d’être confrontés à l’autre. Ils préféraient n’avoir rien vu, ça prend moins de temps et ça n’engage pas la parole.
   N’étaient restés sur le quai que l’homme et le voleur blessé, sans butin, le visage en sang, et qui s’était mis à hurler à l’agression. Il n’y avait plus ni victime, ni objet d’un vol, ni témoins. Simplement un homme à terre, un extincteur cabossé et celui qui l’avait lancé.
   La police était venue, et tout naturellement, puisque la scène parlait d’elle-même, le voleur avait été conduit aux urgences et l’homme en garde à vue, le premier dénonçant la folie du geste de l’autre qui pourtant protestait tant qu’il pouvait.
   Plus tard, dans la soirée, quelqu’un s’était présenté au commissariat. Un homme qui tenait à raconter une agression à laquelle il avait assisté dans le métro l’après-midi même. Il se trouvait dans le fond d’un wagon, il avait vu une sorte de bousculade, puis une femme s’effondrer en criant et un homme s’enfuir avec un sac à la main. La femme était sortie du wagon, et le métro avait redémarré car personne n’avait tiré le signal d’alarme.
   Alors tout naturellement, puisqu’à la virgule près il persistait et signait la même histoire que le lanceur d’extincteur, la police avait remplacé un agresseur par un autre, plus malfaisant dans la garde à vue.

Le truc en plus : Métro KO bobo

récit extrait de Police Mon Amour

Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire

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