La patrouille

14 Novembre 2007

  Ils sont deux, ils sont jeunes, et ils patrouillent rue Réaumur.
  La police, ils l’ont rêvée depuis l’âge des revolvers à amorces qui sentent l’allumette. Ils le trouvaient impressionnant le flic qui les faisait traverser devant l’école, avec son arme au ceinturon et sa casquette. Il avait l’air tellement grand, serein et invincible. Et aujourd’hui, ils viennent de faire la même chose, devant une école comme la leur il y a longtemps, et ils ont croisé le regard des tout petits qui les détaillent de la tête aux pieds. « Dis maman, c’est un vrai pistolet qu’il a le monsieur ? » Et comme le flic de leur enfance, ils ont souri et ont dit oui avec les yeux. Et les enfants, comme eux il y a longtemps, étaient persuadés que s’ils n’étaient pas là, un flot de voitures les écraserait, eux, leurs mères, leurs copains et leur institutrice…
  Premiers jours sur l’arrondissement et premières missions.
  Ils ont des images plein la tête mais ce ne sont pas encore tout à fait les leurs. C’est tout ce qu’on leur a raconté quand ils sont arrivés, les histoires de la veille et celles d’avant, tout ce qu’ils ont écouté si fort qu’ils portent déjà en eux un bout de la mémoire des autres. Une histoire encore vierge et pourtant déjà familière.
  Quittant l’école et son passage piéton, ils remontent tranquillement vers le commissariat. Il reste encore une petite heure de travail avant de raccrocher les uniformes au vestiaire. Ils marchent d’un pas égal et paisible, c’est agréable d’être entre soi, sans chef et libre de ses initiatives. Tout en échangeant quelques mots, leur regard encore neuf scrute la rue, déjà à la recherche des yeux qui se baissent ou des poings qui se crispent au fond des poches. Dans quelques temps, ils le feront sans même y penser.
  En passant devant un bar PMU, ils aperçoivent face à la caisse un homme étrangement immobile. Il leur tourne le dos. Le tenancier du bar est livide, les deux mains appuyées sur le comptoir et l’air incrédule. Un des deux jeunes gardiens de la paix met un coup de coude à l’autre et lui désigne sans un mot la vitre de la porte dans laquelle se reflète la scène sous un angle différent. L’homme qui est campé devant la caisse tient à la main une arme de gros calibre qu’il pointe devant lui.
  En un instant, tout ce qu’ils ont appris à l’école, toutes les histoires qu’on leur a racontées, tout ce qu’ils avaient imaginé des années durant, les précipite dans le bar.
  « Police ! Ne bouge pas et jette ton arme !
  - Les mains en l’air ! Recule ! Recule encore ! »
  L’homme s’exécute. Il dépose son arme sur le sol, lève ses deux mains sans se retourner et fait deux pas en arrière.
Les deux jeunes flics ont leurs armes braquées en direction de l’homme.
  « Monsieur, dégagez de la caisse ! Dégagez !  en s’adressant au caissier qui aussitôt s’éclipse vers le fond.
  - Et toi, pose tes deux mains sur le mur ! Doucement bordel ! Doucement ! »
  Un des deux gardiens de la paix rengaine son pistolet, plaque brutalement l’homme contre le mur tout proche et d’un geste sûr lui fait reculer ses pieds, jambes écartées jusqu’à la limite du déséquilibre, avant de procéder à une palpation rapide.
Le braqueur, un homme de grande taille de vingt ans l’aîné des deux autres, ne dit rien. Son visage n’exprime ni peur, ni colère. Il regarde fixement par terre.
  « Appelle un véhicule, du renfort, grouille ! dit le jeune homme à l’autre resté en sécurité sur le coté, l’arme à la main dirigée sur le grand type impassible qui ne dit toujours rien.
  - Oui oui bien sûr ! Tout de suite !
  - Et passe moi tes menottes, j’en ai pas !
  - Je… j’en ai pas non plus… Je… je… j’en ai pas eu… il n’y en avait plus…
  - Merde ! Mais c’est pas vrai ! Appelle du renfort ! Putain vite ! Vite ! »
L’homme toujours les mains au mur, se met à rire doucement.
Le gardien de la paix crie dans la radio.
  « TN répondez ! TN vous me recevez ? Urgent ! Collègues en difficulté ! Besoin de renfort ! Vol à main armée ! Urgent ! Urgent ! Mais répondez bordel de merde ! Répondez !
  - Passe-moi la radio ! Et surveille l’autre ! »
  La radio change de main et l’homme rit toujours face au mur.
  « TN est-ce que vous me recevez ?
  - …
  - Du renfort TN…
  - …
  - Putain de TN de merde, tu me captes avec ma radio de merde ou quoi ?
  - …
  - La radio ne marche pas. »
L’homme éclate de rire. Il se redresse et se frotte les mains. Se retourne vers les deux jeunes flics hébétés, l’un la radio à la main, et l’autre avec son arme qui retombe lentement au bout de son bras.
  « Écoutez-moi bien vous deux. Je viens de faire dix ans de trou, et j’ai pas envie d’y retourner. Mais alors vraiment pas du tout. Vous n’avez pas de menottes. Votre radio reçoit mais n’émet pas. Et mon flingue est par terre. Vous savez ce que je vais faire ?
  - Heu… Non.
  - Hé bien je vais partir d’ici. » dit-il avec un grand sourire.
  Et aussitôt l’homme s’élance dehors, traverse la rue comme un éclair, saute sur une moto et disparaît dans la circulation.
  Dans le bar, les gens n’avaient pas bougé, ils n’avaient pas téléphoné non plus, n’avaient rien compris de ce qu’il se passait. Le pistolet était par terre à l’endroit où l’homme l’avait posé, une balle de 9mm engagée dans le canon.
  Grâce au signalement donné, la police judiciaire a arrêté le braqueur multi récidiviste quelques jours plus tard à six heures du matin. Dans une chambre d’hôtel au dessus d’un PMU.
 

texte extrait de Police Mon Amour

Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire

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R
Mais quand est-ce qu'un producteur de cinéma va se pencher sur ton vécu? Ou le vécu de vrais flics, histoire de faire un vrai film sur la police! ;-)
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L
Hi Romain :o) Mon vécu est tout ce qu'il y de plus banal. Vécu de flic en tenue quoi. C'est ça la force. Et il y a du projet dans l'air ;o) Bizoux
D
A ceux qui sont tentés de juger ces collègues selon le dernier cri de la Stratégie julie-lescautienne des techniques d'intervention policière, j'aurais envie de rappeler quelques réalités du terrain. Il y a quelque chose de fondamental qui différencie le flic du fonctionnaire de police. Le flic, qu'on appelle tour à tour cowboy, zorro, barbouze, starsky, rambo, c'est le fonctionnaire de police qui a ce petit quelque chose en plus qu'on pourrait appeler l'envie, parfois la passion du job et souvent le professionnalisme. La différence notoire entre le flic et le fonctionnaire de police est que le flic peut se tromper, le fonctionnaire beaucoup moins... Pourquoi ? Ben tout simplement parce que le flic veut bosser, a signé pour attraper les méchants, sauver les innocents enfin toutes ces conneries qui font le mythe du métier de flic et qui sont tellement peu notre quotidien. Le fonctionnaire de police lui, il ne cherche qu'à faire sa place tranquillement dans une administration aveugle. Il exploite les règles, il obéit même à l'absurde parce que réfléchir c'est déjà désobéir. Ce fonctionnaire n'a jamais rêvé de flagrant délit, de courses poursuites et de sauvetage de faibles et d'innocents. Ce fonctionnaire a surtout hésité entre la SNCF et Poulaga. Alors quand le flic a l'occasion de faire du "flag' ", de sauver une princesse, un manant ou une caisse enregistreuse et bien le flic, il prend ses patins, saute sans filet et fonce... Malheureusement, souvent avec son organe génital et son couteau ! Alors quand il fait le flag', il rentre au poste avec la banane sur la gueule, le poitrail haut et les oursins sous les bras. Les autres collègues se disent qu'il est un bon collègue et sa hiérarchie lui filera peut-être une image parce que c'est un bon élève. Mais s'il y a une couille, il y aura toujours des fonctionnaires de police pour lui dire qu'il y avait une note de service qui stipulait qu'il va l'avoir dans le cul. Il aura même droit à des reproches de sa hiérarchie qui, pour bien lui faire comprendre, félicitera devant lui le fonctionnaire de police champion toute catégorie de PV de contravention de stationnements gênants. Donc peut-être auraient-ils pu faire autrement, peut-être n'avaient-ils pas d'autres solutions, peut-être fallait-il appeler le RAID et entamer des négociations et dépêcher un hélico en position stationnaire au dessus du magasin pour couvrir une quelconque fuite... En gros, peut-être que dans un monde parfait où on a 10 heures pour réfléchir le cul au chaud sur une chaise avec un budget illimité, ces jeunes collègues couillus auraient pu faire autre chose que des zorros, des cowboys et j'en passe... Maintenant il y a une réalité policière vérifiée. Les Yaka Fokons ne ramènent jamais de belles affaires. Les zorros, parfois quand ils ont de la chance. En tout cas, des stagiaires qui partent au charbon comme ça, j'espère qu'une chose, c'est qu'ils sont toujours chez Poulaga
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L
¿ sɐƃǝʌ sɐl à ǝıɹɐɯ ǝs uo,nb ʇsǝ,ɔ puɐnb ¡ ʍoʍ
M
Abattez-moi, abattez-moi!!!<br /> Des bizettes, allez double.
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M
Bon, je la refais.<br /> Je disais donc en substance que j'ai hâte de toucher le papier.<br /> des bizettes, c'est bien re faire le plein de l'engin de temps en temps, un peu comme donner à manger au tamagoshi.
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L
Toi, t'as pas eu ton compte de sommeil !(t'as pas mis ta bizette à la fin du msg, Tamagomélizette ! avapa ?):o)
C
courageux mais pas prudents, il aurait pu y avoir du grabuge!
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L
Alala mais c'que c'est crétin un poulet tout d'même !Et c'est pour ce genre de service public que le contribuable se saigne ?Pffff.... allez zou >> voir réponse deux comm avant.
M
Abé vala je t'ai retrouvée, ptain de flux de merde à la con qui pue.<br /> Vachement contente.<br /> Pour le reste, me tarde de lire les mots sur le papier, je pense que la prise de contact n'en sera que plus délicieuse.<br /> Des bizettes
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L
Pitain la Mélinette t'as trop des gros mots plein la gueule toi !Pour le reste, ata la fin de la grève des pétété steuplai. Ziboux.
F
Ils auraient pu se faire braquer et tuer ces jeunes, qu'est ce qui leur a pris de jouer les zorro sans réfléchir ?<br /> 50/50 la faute, non ?
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L
NON !!! Moitié pour les flics, et moitié pour qui ? Le braqueur qui n’était pas assez motivé ? Il n’y a rien de rationnel, de statistique, pas de CHIFFRE, pas d’estimation, pas de résultat prévisible dans ce genre de situation, quand il faut intervenir TOUT DE SUITE. Et OUI, ils auraient pu se faire tuer ! Ou le caissier. Ou les gens présents dans le bar. Ou des passants. ETC ! Alors ? On fait quoi ? On regarde passer les trains ? Et puis NON ! ils ne jouent pas les Zorro ! ce sont des jeunes flics, point barre. Additionnés à du matériel défectueux ou inexistant. Et là, on fait quoi ? Et bien on dit qu’on n’a pas eu de chance sur ce coup-là. Et on se dit aussi qu’on prend des risques et qu’on pourrait aussi bien vivre au far-west et tirer des coups de feu dans le plafond ou dans le dos des méchants indiens. Et que les flics ne réfléchissent pas, c’est bien connu. Et qu'en flag, on fait un briefing, on boit un jus, on fait un tarot avant d'y aller...Et qu’on aurait pu être fautif à 50% à titre posthume. Et on se fait juger par sa propre hiérarchie, et par tous ceux, d'ici et d'ailleurs, pour qui le seul risque professionnel est de se planter un crayon dans l’œil ! C’est quoi la recette infaillible ? C’est tellement facile de juger, tout en disant la main sur le cœur qu’on nous comprend, nous, cette putain de chair à canon payée - entre autre - à nourrir les sarcasmes du bon peuple qui a réponse à tout.Alors à la question "qu’est ce qui leur a pris" : ILS ONT FAIT LEUR BOULOT COMME ILS ONT PU.
B
Et c'est même pas une blague ?!!
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L
Non !(j'ai une tête à blaguer ? :o) ... )
F
Continue le combat !
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L
La fleur au fusil ! Comme d'hab !
N
Moi j'ai confié mes menottes à fille qui est prof de karaté et bien elle me les a rendues...<br /> (bon elle a failli oublier...) <br /> Arf!
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L
Tu parles de tes menottes avec de la peluche rose autour ?Eeeek ! pas de ça chez nous, hein collègue ?:o)
B
oui, c'est bien le british dont tu parles ! Merci beaucoup et à très bientôt. ;)
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L
Vive Monty Python ! That's great !
M
Content de retrouver ce blog que je n'avais pas lu depuis plusieurs mois. Après le livre continuer à écrire sur Internet, je trouve cela bien. Je vais donc revenir et rattraper le temps perdu. Je garde un bon souvenir de notre rencontre autour d'un café à Montpellier. A bientôt.
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L
idem bon souvenir Marc ! j'espère que l'occasion se représentera. je t'embrasse fort ainsi que ta douce moitié :o)
L
L'anecdote de l'absence de menottes ne m'a même pas étonné, même pas choqué. Par contre, mes potes non flics sont restés interloqués ! <br /> Faire la police de l'Amérique, avec les moyens du Ministère de l'Intérieur du Burundi : on ne connaît que ça dans nos unités... J'ai souvenir d'un officier qui a annoncé dans une conférence avoir quitté la DNAT (l'anti-terrorisme) pour se retrouver dans un commissariat du Sud-Ouest, qui résumait ainsi sa vision : "Avant, si j'avais eu besoin d'un avion et d'un sous-marin, il me suffisait de demander. Aujourd'hui, je ne demande même plus de toner pour la photocopieuse".<br /> Je balance ce lien à toutes mes connaissances, pour que ma réalité s'imprime grâce à ton style. Merci.
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L
Et c'est bien pour ça qu'est élu délégué syndical du service celui qui arrive à remettre du PQ dans les chiottes, parce que c'est déjà une performance en soi !
B
Je découvre, et j'aime beaucoup ! A bientôt.
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L
Oh dis, c'est bien le british de la silly walk que t'as en bannière ? Je suis déjà passée chez toi je ne sais plus par quel lien, c'est +++ top :o) @+
M
Les jours passent et ne se ressemblent guère dans ce travail !<br /> L'indifférence des gens par contre est bien souvent la même partout. :-/<br /> <br /> J'ai lu ton bouquin et l'ai fini ce matin! C'est impressionnant ! des chroniques inoubliables ! J'espère sincèrement que tu as changé le regard de bien des gens sur les flics !
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L
Merci :o) Sur cette anecdote je ne crois pas qu'il s'agisse d'indifférence de la part des gens, il n'y a guère de candidats héros qui partent à l'assaut d'un braqueur en flag les mains vides ! Bon courage au boulot Miss !
N
Bonjour Mme Desforges. Ce texte est-il un de vos chapitres du livre FLiC ? <br /> <br /> Si non, quand allez-vous nous faire le PLAiSiR d'en publier un nouveau ?!!!! ;-)<br /> <br /> Amicalement!
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L
Non non, c'est une production spontanée du jour ! :o) J'essaye de remettre du carburant dans ce blog.
C
Mon coeur a doublé de rythme...<br /> Heureusement, pas de blessés, et encore moins côté policier. Ouf !<br /> J'espère que le braqueur restera un moment entre quatres murs.
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L
Bah... il n'y a pas de morale particulière à cette histoire.
J
J'ai bien cru que ça allait finir plus mal que ça... Ouf !
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L
Faut dire que le type avait une certaine classe (dans son genre !) :o)
B
Pour Bernard du 76 : <br /> <br /> * commentaire censuré *<br /> <br /> Désolée, je ne publie pas de commentaire renvoyant sur un blog qui titre sur les "policiers véreux". Histoire de principe. <br /> <br /> En outre, l'incident que vous rapportez n'est qu'une histoire d'ivrognes de sortie de boite - flic hors service et non-flics - et il me semble tout à fait déplacé, voire illégal, de balancer les noms, prénoms et adresses des protagonistes. <br /> Je ne serai pas le relais de ce genre de truc, tentez ailleurs.
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L
Pas de violence, pas de blessés, l'auteur interpellé...<br /> C'est tout ce qui compte, non?<br /> Quand au service matériel...on a tous le même! lol
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L
... et on finit tous avec des menottes perso, les miennes s'appellent Smith et Wesson.