7 Mars 2012
Lettre ouverte à Claude Guéant, Ministre de l'Intérieur
Objet : demande d'indulgence.
Monsieur le Ministre,
Nous venons d’apprendre par la rumeur, qui décidément ne cesse de surprendre, qu’un de nos ex collègues, le lieutenant de police Y. exerçant en banlieue parisienne, venait de tomber dans une drôle d’affaire, et faisait l’objet d’une procédure disciplinaire.
Ce fonctionnaire de police n’a pourtant pas volé, pas davantage commis de violences policières interdites par les conventions de Genève, il n’a pas non plus insulté sa hiérarchie, ou pire un ministre, pas plus qu’il n’a participé à des viols collectifs entre policiers.
Non, monsieur le Ministre, il s’est bêtement fait détroncher alors qu’il participait avec son épouse à une émission de divertissement sur France Télévision - affligeante, on vous l’accorde - sans en avoir préalablement demandé une autorisation qui ne lui aurait peut-être pas été accordée.
La demande d’indulgence que nous vous adressons aujourd’hui aurait pu avoir un autre goût, du panache, de l’envergure, un retentissement médiatique international, si seulement Y. n’avait pas eu l’extravagance d’aller se vautrer administrativement sur le plateau de Les Z’amours, une misère télévisuelle qui logiquement provoque un effet immédiat sur toutes les télécommandes bien portantes.
Le lieutenant Y. aurait pu aller pérorer sur un plateau à audience, en prime time, galvanisé par des présentateurs de renom, il aurait raconté des histoires invraisemblables, en aurait même inventées, il se serait pris pour la star d’un soir, et se serait imaginé une influence majeure sur la marche du monde. Il aurait pu recommencer le lendemain, rejouer la même, et puis encore le lendemain, et ainsi de suite… Là bien sûr, une sanction impitoyable aurait été justifiée, et une supplication d’indulgence aurait été sans effet.
Mais voilà, ça n’a pas été le cas. Y. a joué petit. Tout petit. Une minuscule prestation sans conséquences dont personne ne se souviendra.
L’image de la police nationale et le respect de l’obligation de réserve sont des concepts sérieux, et n’importe qui ne peut pas en faire n’importe quoi sans répondre de ses écarts et les assumer.
Mais pour Les Z’Amours, Monsieur le Ministre, saurez-vous être magnanime avec le pauvre lieutenant Y. dont la circonstance atténuante est d’avoir eu de mauvaises fréquentations quand il était affecté à la PAF Orly, et peut-être par mimétisme ou par naïveté, imaginer que tout fonctionnaire de police en activité pouvait impunément aller faire son show à la télévision ?
C’est parce que nous avons entière confiance en votre sens de l’équité, Monsieur le Ministre, et qu’il ne peut pas y avoir, comme disait Nicolas Sarkozy pas plus tard qu’hier soir, deux poids et deux grosses mesures, que nous vous demandons de bien vouloir considérer le cas du lieutenant Y. avec indulgence et compréhension, et l’acquitter pour son insignifiante transgression.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, l'expression de notre respect et sincère considération.
Bénédicte Desforges et Marc Louboutin
auteurs et ex lieutenants de police