Ma brigade

20 Juillet 2007

   À la sortie d’école de gardien de la paix, j’ai choisi une affectation en banlieue, dans un service départemental voué à l’anticriminalité. La première semaine à l’air libre avait été consacrée à la paperasserie d’usage, à quelques rappels de tir et de self-défense, et à l’essayage d’une tenue et d’un casque pour le maintien de l’ordre.
   Je n’avais pas encore pris possession de mon placard, ni de l’insigne de mon unité dont j’étais très fière, qu’un collègue était venu en éclaireur pour voir ma trombine. Il avait des Ray Bans, une moustache et un grand sourire. Tu vas voir, m’avait-il dit, il y a du boulot par ici, tu ne vas pas t’ennuyer... J’avais trouvé qu’il ressemblait à un acteur de films d’action, et il m’avait intimidée.
   Dans la brigade, j’étais la seule fille et l’unique stagiaire. J’avais reçu un accueil adorable de la part des anciens qui m’ont intégrée de bon cœur parmi eux, et qui m’ont très vite appris l’essentiel des bons réflexes et attitudes à avoir sur la voie publique. Tous les minuscules gestes que l’on n’apprend pas à l’école, tout ce qui se vit mais ne s’étudie pas. Tout ce qui s’invente au jour le jour passé sur le bitume…
   En intervention, l’arme que mes collègues dégainaient en premier était leur calme. Il était toujours temps de hausser le ton, et l’environnement était trop sensible pour que nous soyons à l’origine d’une guerre des nerfs ou d’un bras de fer.
   On connaissait bien notre monde, on avait vu des petits grandir et basculer. On jouait notre rôle et ils jouaient leur destin. C’était la règle du jeu.
   Mes collègues… L’équipe vivait en osmose. A la fin de service, on avait du mal à se quitter. On avait besoin de se parler encore et toujours du boulot, de nous, des autres. On traînait dans le vestiaire, on remontait de notre sous-sol boire un verre chez les motards, et on terminait souvent nos soirées autour d’une pizza ou au bowling. Quand on organisait un repas de brigade, une ou deux fois par an, on ne conviait même pas les conjoints. Ça nous aurait gênés, ça aurait été déplacé... Et on chantait, et on buvait, et on se remémorait des histoires ignobles en riant, et parfois survenait une bagarre pour des riens, pour des distorsions syndicales ou d’autres choses sans importance. Et on s’interdisait de parler du boulot mais on ne faisait que ça…
   Un jour, avant une tournée de soirée, on était allés ensemble à la pêche et je ne sais plus suite à quel pari, on avait jeté toutes nos munitions dans la rivière.
   On se connaissait bien. Et on s’aimait bien aussi. Sur le secteur souvent sulfureux qui était le notre, si l’un d’entre nous s’agaçait ou tombait dans le piège de la provocation, un autre prenait le relais. A leur contact, j’ai appris la patience et la mesure. L’essentiel…
   L’expérience, le risque et les interventions difficiles ne les avaient pas fait glisser sur la pente sournoise de l’aigreur et de la rancœur.
   Ils n’étaient pas des justiciers, juste des flics.
 

texte extrait de Flic, chroniques de la police ordinaire

Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire

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