“drogues & legislation”

28 Juin 2006

  C'est l'été. Je patrouille tranquillement sur l'arrondissement avec un collègue, il fait une chaleur accablante malgré les vitres ouvertes, et l'on espère ne pas avoir à décoller nos chemises trempées de sueur du skaï des dossiers avant la fin de service.
Je suis en train de rêver d'une douche fraîche, quand on capte un appel radio qui nous envoie sur un cadavre qui repose dans une baignoire depuis plusieurs jours, et dont le colocataire ne sait que faire. On se regarde en évoquant toute la sympathie qu'on a pour les macchabées en hiver. Demi-tour et on y va doucement, rien ne presse, il est déjà mort. Second appel radio. Personne décédée sur la voie publique. On est à côté, et je saute sur l'occasion et sur le micro de la radio... « On est à proximité, on prend l'affaire ! » Le choix est vite fait et sans hésitation. Très égoïstement, j'ai préféré le cadavre frais du jour, laissant lâchement à la police secours le pourri dans sa baignoire. Ce soir, je leur offrirai un café pour leur faire oublier l'odeur.
Sur place, un attroupement d'une trentaine de passants autour d'une Sanisette, ces toilettes publiques dont la porte s'ouvre automatiquement au bout de vingt minutes pour éviter que leur usage ne soit détourné. Je me faufile dans la foule de voyeurs, et j'aperçois une jeune fille effondrée près des chiottes, les yeux révulsés et les vêtements tachés de sang. Les badauds me disent qu'elle est morte, qu'on l'a assassinée et toutes sortes de conneries. Je rentre dans la Sanisette. Je comprends. Overdose. Une seringue, les bras et le ventre lacérés, couverts d'hématomes et de cicatrices infectées. Le sang vient de son bras. Comme tous les toxicos, une fois l'aiguille dans la veine, elle a aspiré avant d'injecter. Si du sang monte dans la seringue, c'est que l'aiguille est bien placée, et que l'héroïne ne se perdra pas. Au prix de la dose, mieux vaut s'en assurer.
J'ai appris avec les pompiers du secteur à réanimer les overdoses quand il est encore temps. L'overdose est un arrêt ventilatoire. Le cœur bat, mais la respiration est stoppée. Comme une noyade. Pour réanimer, il faut mettre sous oxygène ou faire suffoquer par tous les moyens. Et j'ai ma méthode, bien plus efficace que le bouche-à-bouche, et qui jusque-là a souvent été infaillible sans aucun matériel.
Je redresse la fille et lui colle une baffe de cow-boy en pleine figure. Je la sens tressaillir. Les passants me regardent ébahis, en se demandant pour quelles raisons un flic peut bien gifler un cadavre. C'est vrai qu'elle en a tout l'air la pauvre. Et elle est tellement maigre. Je n'ai aucun mal à la sortir de là, à l'installer contre un arbre au soleil pour continuer - pour la bonne cause - mes violences policières. Je crois bien que je lui ai mis cinq minutes de baffes avant qu'elle se réveille en grognant que je lui faisais mal. Je crois aussi que je l'ai engueulée parce que j'ai eu peur de ne pas y arriver. J'ai aussi engueulé les gens qui continuaient à nous regarder elle et moi, avec leurs yeux de cons, eux qui l'auraient laissée crever sans même avoir l'idée de poser un doigt sur une de ses pauvres veines et de constater que son cœur battait. Je leur ai dit de se tirer, je leur ai même demandé s'ils voulaient aussi des baffes. J'étais encore par terre, j'avais cette gamine fragile qui avait la mort dans le sang, qui pleurait dans mes bras, et ils se rinçaient l'œil comme des dégueulasses.
On était attendus sur une autre intervention. J'ai quand même appelé les pompiers, je voulais qu'elle aille à l'hôpital, qu'on s'occupe d'elle, qu'on lui parle de désintoxication, et qu'elle fasse partie de l'infime proportion de toxicos qui s'en sortent bien.
Je ne l'ai pas revue. J'espère, sans trop y croire, qu'elle va bien.

texte extrait de Flic, chroniques de la police ordinaire

Voir les commentaires

28 Juin 2006

  En sortant de l'école de gardiens de la paix, j'ai choisi un poste en banlieue. Je vivais déjà en banlieue, mais je devrai désormais changer mon regard sur la ville. Ça deviendra très vite une habitude...
La première intervention à laquelle j'ai participé nous a menés dans le local à poubelles d'une des plus grandes cités du département. Des centaines de mètres de bâtiments délabrés, enclavés entre une autoroute et des voies rapides, quelques pelouses râpées devant les entrées des immeubles, des milliers de fenêtres...
Le message radio est clair, il s'agit d'une overdose. Sur place, on nous dirige vers le fond d'un hall, dans le local à poubelles. Un jeune homme gît à terre, il a encore le garrot au bras. On le sort de l'obscurité et de la puanteur, et on le couvre. Il est inanimé, livide et il ne respire plus. Les pompiers arrivent et ne parvenant pas à le réanimer, ils appellent un Samu.
Je n'arrive pas à détourner le regard de ce tout jeune homme que la vie est en train de quitter. Je me sens désarmée. Le néon renvoie un éclat fade entre ses paupières entrouvertes. Ses prunelles sombres ne réagissent pas. Le médecin du Samu, enfin arrivé, donne des instructions rapides aux infirmiers. Il pose à ses côtés un matériel que je vois pour la première fois. Il prend dans chaque main des plaques qui ressemblent à des fers à repasser, et demande à tout le monde de s'éloigner. Un bruit d'électricité quand il actionne le boîtier. Plus tard, je comprendrai que ce bruit pue déjà la mort. Il pose les plaques sur les flancs du garçon. Le corps décolle du sol dans une crispation qui le tord. Le cœur ne bat pas. Il recommence plusieurs fois. Rien. Il débranche tout et entreprend de badigeonner le sternum de désinfectant. Je ne comprends pas jusqu'à ce que je voie la taille de l'aiguille de la seringue qu'il tient à la main. Adrénaline. Il prend des repères avec les doigts de sa main gauche, et plante l'aiguille dans le cœur d'un geste sûr. Massages cardiaques, oxygène... Il se tourne vers nous en rabattant le drap bleu pâle taché de sang sur le visage du jeune homme.
C'est fini...

texte extrait de Flic, chroniques de la police ordinaire

Voir les commentaires

26 Juin 2006

  Le talent d'un dealer d'héroïne d'envergure moyenne est avant tout de cacher efficacement sa came. C'est cher, ça dégage de la plus-value à la revente, la demande est supérieure à l'offre, et c'est illégal. Se faire saisir le stock est redoutable de conséquences pour un dealer : garde à vue, dépôt, trou, perquisition qui entraînera le dépôt de bilan de la petite entreprise, et donc des problèmes de trésorerie.
Il convient donc de déployer ruses et astuces pour mettre toute cette merde à l'abri, non seulement des flics, mais aussi des toxicos dont le dealer dira qu'ils sont peu scrupuleux et mauvais payeurs.
Pour pouvoir dire en cas d'interpellation, qu'il n'est que simple consommateur, le dealer n'a généralement sur lui qu'une à trois doses. S'il les a emballées sous forme de bonbonnes, il peut les avaler, mais ce procédé plutôt réservé à l'urgence, empêche l'immédiateté de la vente.
Mais le reste de la came n'est jamais loin. Les cachettes standard sont les compteurs collectifs EDF, les poubelles, les boîtes aux lettres, etc., bref tous les endroits qui ne sont à personne en cas d'irruption intempestive de la police, et à tout le monde en cas d'heureux hasard pour un toxico.
Si le dealer a une voiture, il dispose de plusieurs possibilités de planque. Il peut par exemple scotcher la came derrière les enjoliveurs.
Tout ça reste très classique et très ébruité. Il y a chez les dealers de véritables virtuoses de la cachette.
Dans une cité, il y avait un type craint de tous à cause de son énorme rottweiler. On ne lui connaissait pas d'activité “ stupéfiante ”. Un jour pourtant, je ne sais plus quel soupçon ou dénonciation nous a amenés vers lui, et on a découvert des dizaines de doses d'héroïne dans le collier du chien.
Un peu plus loin, il y avait un autre gars qui, lui, était plaint de tous à cause d'un handicap qui l'obligeait à marcher avec une béquille. Et un jour, je ne sais plus ni pourquoi ni comment, on a découvert une centaine de doses dans la béquille.
Etc.

texte extrait de Flic, chroniques de la police ordinaire

Voir les commentaires