15 Octobre 2008
Il avait pour habitude de débarquer dans les postes de police par surprise. Il dédaignait de s’annoncer, et prenait tout le monde au dépourvu, c’était sa façon de faire. Une sorte de ruse, il était connu et redouté pour ça. On s’était dit qu’il aimait probablement observer in vivo les poulets en liberté dans leur habitat naturel, avant que le coq de la basse-cour n’ait pris soin de les aligner, vérifier la couleur de leurs chaussettes, les plis de chemise, et donné les recommandations d’usage.
Il faut bien dire que ce n’était pas monsieur-tout-le-monde, et que la perspective de le voir débarquer n’importe quand, provoquait des sueurs froides à quiconque avait une responsabilité sur l’ordre, la discipline, ou du moins les apparences.
Ce soir-là, il avait décidé de rendre visite aux effectifs du poste des G.C. Peut-être même allait-il y rester le temps de boire un café, et fumer une cigarette. Car il fumait beaucoup, on le savait aussi. Il avait donc laissé sa voiture en haut de la rue qu’il avait descendue seul, les mains dans les poches de son imperméable, et une cigarette aux lèvres.
Le planton, qui avait aussi les mains dans les poches et qui fumait de même, l'avait d'abord regardé venir sans trop y prêter attention. L’homme était assez grand, il avait le pas de celui qui sait où il va, et une belle assurance se dégageait de lui.
Il s’était arrêté devant la porte du poste de police.
« Bonsoir.
- Bonsoir monsieur. » avait répondu le gardien de la paix.
Et puis il avait regardé cet élégant quinquagénaire aux boucles grises qui n’avait pas vraiment le style du quartier, et son visage s’était fendu d’un immense sourire. Il s’était alors retourné vers l’intérieur du poste et avait crié en direction de ses collègues.
« Ho les gars ! Venez voir ! Il y a Darry Cowl qui vient nous rendre visite ! »
Et se retournant vers l’homme :
« Quelle bonne idée vous avez eue de passer cette nuit, monsieur Cowl ! J’adore votre humour, passez-moi l’expression, mais vos films me font pisser de rire ! »
L’homme le regardait d’un air imperturbable, et restait silencieux.
« Hé les collègues ! Il nous reste bien un fond de whisky pour trinquer avec Darry, bougez-vous, c’est pas tous les jours qu’on a la visite d’un comique ! »
Le chef de poste était alors apparu sur le seuil, et d’une voix blanche s’était adressé à l’homme :
« Mes respects monsieur le Ministre, si vous voulez bien vous donner la peine de rentrer... »
Et il avait hurlé :
« Fixe ! »
Et monsieur Joxe, Ministre de l’Intérieur, était entré dans le poste de police.
Toute ressemblance ou similitude avec des faits et un ministre ayant existé, n’a rien d'une coïncidence fortuite. Messieurs Joxe et Cowl se ressemblaient pas mal. Surtout de nuit.
Récit tiré d’une histoire vraie.
extrait de Police Mon Amour