“suicides”

23 Janvier 2012

suicide-77 conseil-de-discipline

La semaine dernière, il y a eu deux suicides dans la police nationale.
Arme à feu et médicaments. Suicides qui intéressent la presse et l’opinion. Ou pas.
La précarité de la vie d’un flic est un sujet anxiogène.
Qu’il s’abîme ou s’ôte la vie lui-même, ou que la délinquance s’en charge, c’est à chaque fois la sécurité publique et ceux qui la font qui en souffrent.

Le contexte de la disparition tragique d’un fonctionnaire de police ce week-end, dont il y a lieu de penser qu’il était à plus d’un titre fragile et vulnérable, indique une fois de plus à quel point la prévention est essentielle.

Il faut absolument éviter de résumer le suicide dans la police au débat de sa justification.
Tenter d’y distinguer des motifs personnels ou professionnels est un faux débat. Un débat malsain. Un débat qui prend la fuite sur des postulats de base erronés quand on sait à quel point, dans la police en particulier, l’exercice du métier peut gangrener la vie privée, et que dès lors, il peut parfois devenir compliqué d’identifier l’élément déterminant d’un suicide, et quel événement de la vie d’un flic a pu entraîner sa descente aux enfers.

D’ailleurs, Le Livre Blanc Sur La Sécurité Publique remis le 26 octobre 2011 au Ministre de l’Intérieur suggère dans son premier chapitre consacré aux "principales propositions" d’unifier les régimes sociaux de prise en charge familiale en cas de suicide de policier ou de gendarme, en abolissant la distinction entre motifs rattachables à l’activité professionnelle et motifs rattachables à la vie personnelle.

Dans ce métier, il n’est pas simple du tout de laisser son uniforme au vestiaire. Quoi qu’on fasse, et même si on s’en défend, chaque jour rapporte un peu plus de bleu à la maison.

Voilà la lettre que nous avons fait parvenir aux élus et à la presse en septembre dernier :

 

Lettre ouverte aux élus et aux médias

 

Bonjour,

Depuis des années, l’un comme l’autre, lors de nos carrières respectives de policiers puis au cours de nos activités d’auteurs de livres spécialisés sur la police, nous n’avons eu de cesse de nous préoccuper de manière active du phénomène des nombreux suicides dans l’institution policière.

Nous avons tous les deux écrit de nombreux articles et participé à de multiples interviews pour alerter publiquement sur ces décès dont la moyenne reste désespérément stable (entre 45 et 50 par an) malgré la mise en place après le pic de l’année 1996 du Service de Soutien Psychologique Opérationnel (SSPO).
Notre but n’est pas la polémique partisane, une telle utilisation serait indécente pour la douleur des familles et des proches des victimes qui, même des années plus tard, reste vive.

Les quatre suicides du 22 septembre dernier sont un nouvel appel, terrible par sa répétition, à une réaction la plus déterminée et prompte possible.

L’urgence pour les policiers, mais aussi, nous en sommes persuadés, pour la majorité des citoyens, n’est plus au constat mais à une recherche volontaire de solutions novatrices de prévention, attendues depuis des années par les effectifs, pour endiguer enfin de manière sensible cette hécatombe.

Nos ouvrages, nos contacts quotidiens avec les milliers de policiers qui font partie de nos réseaux, nous ont permis, avec eux, de rédiger une série de propositions pertinentes pour agir avec volonté et plus d’efficacité dans la prévention des suicides qui endeuillent trop souvent la Police Nationale.

Merci à vous d’en prendre connaissance, de relayer ces préconisations, complémentaires au dispositif existant, peu onéreuses et faiblement mobilisatrices en personnel, et de rejoindre les policiers dans cette volonté de préserver des vies, la leur comme celles de leurs collègues.
 

Marc Louboutin et  Bénédicte Desforges  
 

PRÉCONISATIONS POUR LA PRÉVENTION DES SUICIDES
DANS LA POLICE
:


- Engager, par le Ministère de l'intérieur, dans ses indicateurs de suivi des unités une démarche de mesure qualitative des relations d’écoute et d’échanges entre les personnels de tous grades et la hiérarchie, intermédiaire ou sommitale, dans les différents services. La prise en compte en temps réel de problèmes personnels ou familiaux, souvent passagers, peut désamorcer un sentiment (réel ou supposé) “d’abandon” ou de mépris par les fonctionnaires. Une recherche d’humanisation optimisée du commandement, sans en perturber la pertinence ni la performance, pourrait court-circuiter certaines démobilisations génératrices de tendances dépressives.

- Recentrage du SSPO sur sa mission initiale (et non comme élément intégré, trop souvent, à la chaîne hiérarchique). Retour aux consultations uniquement sur volontariat (et non comme devenu parfois sur saisine du commandement) Réaffirmation d’une confidentialité stricte des entretiens et saisine de la hiérarchie du problème rencontré avec accord express de l’intéressé(e). Possibilité de consultation d’un(e) psychologue extérieure à l’administration. Recherche de solutions graduées d’aide ne déqualifiant pas d’emblée les fonctionnaires requérant parfois un simple soutien moral.

- Immersion régulière obligatoire des psychologues de soutien du SSPO avec les services actifs pour les imprégner de la réalité du métier, leur permettre d'avoir une analyse pertinente des stress rencontrés dans les missions, d’être plus accessibles, et renouer un lien de confiance (et de confidences) parfois dissous avec les effectifs de leurs zones de compétence. La possibilité de constatation “de visu” des situations possiblement traumatisantes (lorsque c’est possible et sécurisé) ne pourrait de plus qu'accroître la compétence de ces professionnels reconnus et leur appréhension des effets possibles.

- Mise en place d’un réseau de cellules de veille et d'écoute par fonctionnaires référents volontaires (avec expérience de services actifs et élus par l’ensemble du personnel du service concerné, bénéficiant d’une formation adaptée) dans les services et de détection et d'alerte aux psychologues professionnel(le)s du SSPO et/ou de relais avec des structures sociales ad hoc. Il ne s’agit pas de créer des “inactifs” mais des personnels en activité détachables en fonction de l’urgence de leurs saisines de cas préoccupants. Affichage de ce recours d’écoute dans les services. Là également, confidentialité stricte des entretiens et avis à la hiérarchie du problème abordé avec accord express de l’intéressé(e).

- Mise en place d’une écoute nationale permanente, centralisée (par téléphone, mails, intranet et sms), permettant d’optimiser le recours à un soutien même la nuit, une autre voie de saisine du référent sectorisé, éventuellement de prendre des mesures d’urgence motivées. Cette cellule centraliserait et d’analyserait les retours d’expérience des dossiers traités par les référents de service. Mise en place d’un réseau Intranet des réactions et commentaires des personnels de service ayant connu un suicide d’un de leurs collègues. Analyse (éventuellement extérieure pour plus de crédibilité) de ces témoignages et des enquêtes de faits de suicide. Personnel bénéficiant d’une formation adaptée, d’une expérience de terrain préalable significative et recruté après un sérieux entretien de motivation.
(cela fonctionne, nous avons testé avec succès de telles écoutes aux policiers en difficultés psychologiques affirmées lors "d'appels au secours", qui effectivement se confient avec beaucoup plus de spontanéité à des collègues "comprenant" et appréhendant totalement leur univers. D'une part par les centaines de courriers reçus par l'un et l'autre d'entre nous, suite à la visibilité conférée par notre expérience éditoriale, puis via nos sites et pages internet, notamment "Le blog de police" depuis deux ans - avant que la direction de FaceBook ne supprime les groupes de plusieurs milliers de policiers à trois reprises. L'utilisation, comme personnes ressources de policiers ayant surmonté de telles difficultés est un plus.)

- Meilleure affirmation, appréhension et règlement des enquêtes internes pour harcèlement.( Il semblerait apparemment - de source syndicale - que l'un des fonctionnaires s'étant donné la mort s’était déclaré victime dans une telle procédure en cours.)

- Enfin, reconnaissance de possibilités d'états de stress post-traumatique (ESPT) à court (événement exceptionnel), moyen ou long terme (par répétition des situations) et possibilité d’adoption sur dossier médical d'un statut de reconnaissance de maladie professionnelle. L'ESPT s'ajoute à des traumatismes extérieurs à la fonction, de même que certains syndromes possible dits de "Burn out" (usure professionnelle), et même sans les admettre de manière dogmatique comme une cause primordiale ou essentielle dans la mortalité par suicide dans la police, il est difficile d'en contester la part, souvent rajoutée à des traumatismes personnels (divorce, difficulté familiales, endettement...etc etc...)

- Debriefing systématique du personnel concerné par un suicide dans un service et association de celui-ci aux mesures locales de prévention*, de même qu’association du référent élu “prévention suicide” du service à l’enquête interne, avec communication par la hiérarchie des conclusions au personnel concerné. (*Le retrait systématique de l’arme en fin de service à tous les fonctionnaires d’un des services concernés par les suicides du 22/09/2011, dérogatoire à l’article 8 du Code de déontologie entendant une obligation d’intervention en flagrant délit hors service, est considéré par eux comme une infantilisation et une déqualification par suspicion générale de faillibilité)

- Présentation d’un bilan qualitatif annuel des interventions nationales de prévention et de celles du SSPO, du nombre de suicides et du décryptage (anonymisé) technique de leur causalité en association avec les centres d’aide aux policiers (ex : centre du Courbat de l’ANAS) et mise en place d’une journée nationale de consultation des personnels dans chaque service sur le “malaise” éventuel des effectifs, l’importance locale des ESPT et du “burn out”, et des solutions préconisées par le personnel, de même qu’un état de la gestion locale des interventions (anonymisées) du référent sus-mentionné. Retour qualifié de ces réunions à la cellule centrale, et affichage au personnel dans chaque service de ce bilan local, de même que de celui qualitatif et quantitatif national. Définition d’objectifs pour l’année à venir.

Le 24 septembre 2011,
 

Marc Louboutin
Journaliste et auteur de “Métier de chien” et “Flic c’est pas du cinoche”

Bénédicte Desforges
auteur de “FLiC” et “Police Mon Amour”

 

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B. Desforges

#actu police, #suicides

3 Novembre 2011

Strasbourg-3suicides
.../...

Le secrétaire général de l’organisation syndicale majoritaire – celui qui promet des grosses colères policières à intervalles réguliers - a déploré (si déplorer est la seule chose qu’il aime faire, on peut objecter qu’il le fait avec à-propos et dès que la situation l’exige.)
Il a en outre effectué un rapprochement éminemment clairvoyant entre ce qu’on appelle pudiquement le malaise dans la police et les suicides.

Cette série de suicides (pour raisons personnelles) est dramatique, et je crois bien, chers collègues, qu'il n'y a plus qu'une attitude à adopter :

Ne pas bouger. Obéir.
Faire comme si de rien n’était.
Gratter. Interpeller. Garder à vue.
De plus en plus.
S’optimiser. Obéir encore.
Se syndiquer.
Obéir encore.


Surtout ne changez rien.

Les suicidés de demain vous en seront éternellement reconnaissants.
 

Merci de poster vos remarques, si vous en avez, sous l'article du suicide de Nice.

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Bénédicte Desforges

#actu police, #suicides

1 Novembre 2011

Sébastien suicide

L’info va vite, demain on n’en parlera plus, après-demain on n’y pensera plus.
Dans l’info, il y a trop d’infos, rien n’a plus vraiment d’importance.
Ou plutôt si : tout a beaucoup d’importance, tout de suite, énormément, intensément, définitivement, et la seconde d’après, plus du tout.
Partout, quelque part, on tue, on se fait tuer, on se tue.
Et on se tait.
C’est la vie.

Dans la police, il y a plutôt plus de suicides que dans d’autres professions, c’est sûrement pour ça qu’on évoque immédiatement des raisons d'ordre privé quand un flic s’autolyse.
Fatale logique.

Sébastien s’est suicidé en uniforme.
Faut-il croiser les doigts qu’aucun chefaillon de la police ne franchisse un autre pas vers l’indécence, et n’invoque Halloween pour donner du sens à ce détail ?

Les policiers sous le choc ont porté du crêpe noir en signe de deuil.
C'est très sympathique, mais cela semble être la moindre des choses. On ne va pas leur décerner la médaille du courage et du dévouement pour si peu. Dommage qu'aux signes de deuil ne s’associent jamais des signes de colère.
Une petite grève du zèle a minima aurait pu être une réaction joignant l’action à la certitude qu’on n’écarte pas d’un revers de main les raisons professionnelles du suicide d’un flic.

Les deux syndicats de police sont pour une fois d’accord en formulant un non-avis. Raisons professionnelles ET personnelles. Standing ovation... Saluons le courage syndical de cette analyse incroyablement audacieuse.
Normal me direz-vous, ils ont du apprendre l’existence et la mort de Sébastien au même instant.

Sébastien demandait depuis quatre ans un rapprochement familial.
Ah. Voilà sûrement un début d’explication, l’enquête vient de faire un grand pas en avant.
Eh bien disons que si l’administration police réfute systématiquement les motifs d’ordre professionnel, elle ne se met pas les tripes à l’air pour ne pas y rajouter des raisons personnelles.
J’espère que l’enquête mettra à jour le rôle des syndicats dans une telle demande non aboutie, aussi insignifiante soit-elle dans un tableau de mutations, mais aussi vitale pour la vie d’un homme.

Le parquet de Nice semble avoir fait le tour de la question d’un drame privé,
Et la hiérarchie policière a fait part d’une grande émotion, même si chacun qui connaît sa "très haute bienveillance" sait qu’elle n’en pense pas un mot.
(lors d’un suicide de l’année, la hiérarchie s’est flattée que le suicidé ait eu la délicatesse de faire "ça" chez lui… )

Quant à l’épitaphe en forme de foutage de gueule, que l’administration a soufflée à Nice-Matin, j’en suis encore abasourdie.

Sébastien, tu t’es flingué alors que tu étais l’élu entre tous pour être chauffeur d’un préfet ? Sérieusement, tu ne sais pas apprécier le cadeaux de la vie, toi. Parce que chauffeur de préfet pendant le G20… quand même !
Sébastien, je ne crois à rien, je ne peux plus rien te souhaiter, c'est trop tard.

Je ne porterai aucun deuil, mais haut et fort, la colère de l’annonce de ta mort dans les faits divers.

Et je souhaite à ceux qui n’ont rien dit, rien vu, rien entendu, rien fait et laissé faire, de ne pas trouver la paix.

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Bénédicte Desforges

#actu police, #suicides