Pour André Bories, en hommage et en fraternité...
18 Septembre 2010
Il y en a qui ont besoin d’équipements décents, d’autres de renfort en effectifs, et puis récupérer leurs jours de congés qui finissent par prendre la poussière à force de s’entasser sur des piles de fatigue.
Il y en a certains qui voudraient juste qu’on croie en leur parole, et qu’on cesse de les suspecter de faire indignement leur métier.
Aussi, il y en a qui ne demandent pas forcément un merci, mais de temps en temps le minimum de reconnaissance parce que ramasser tous les jours toute la merde que la société génère, c’est pas simple à vivre.
Il y a tous ceux qui ont compris qu’ils ne sont pas plus que les outils d’un service public méprisé et sacrifié, autant par la main qui les tient, que par ceux pour qui ils portent à bout de bras un équilibre humain et social lui-même malmené.
Et puis, il y a ceux qui ne demandent rien, mais dont on devrait se douter que leur quotidien peut être, certains jours, particulièrement monstrueux.
Il s'appelait André Bories, il allait avoir 39 ans le 10 décembre.
C’est celle qui partageait sa vie qui m’écrit.
(avec son autorisation)
Mon compagnon s'est suicidé il y a 14 jours aujourd'hui. Il avait été promu capitaine il y a moins d'un an, officier de la Police Nationale et exerçait depuis plus de 10 ans à la Brigade des mineurs...
Il aimait son métier et toute sa vie a été consacrée au bien-être de son prochain. Ses parents, sa femme, sa fille, nous... Mais lui?
Il voulait changer de secteur parce que le boulot lui pesait (pédophiles, autopsies de nouveau-nés, etc...) mais devait attendre encore un an et demi pour pouvoir demander une mutation qui risquait de ne même pas être acceptée - deux officiers dans le service, et son collègue voulait déjà partir. Lui, il rêvait de devenir formateur.(.../...)
On parlait de tout, sauf de son travail : je respectais l'aspect confidentiel des dossiers qu'il était amené à traiter et ne lui posais pas de questions. Lui me parlait juste de son ressenti quand il avait un mauvais jour mais ne donnait aucun détail sur les affaires en cours.
Pour le reste, on parlait de tout et je le savais épuisé physiquement autant que moralement, très angoissé d'un éventuel échec de notre couple, mais en même temps il montrait tant d'investissement et d'enthousiasme que j'étais sûre de la réussite de nos projets. On s'était fixé des petites étapes tous les mois concernant des choses positives sur lesquels il pouvait se focaliser et il me disait retrouver l'appétit et adorer retrouver toute cette vie en rentrant à la maison le soir.(.../...)
Il avait la garde de sa fille d’un premier mariage. Je l’avais rejoint avec mes enfants. Tous les cinq on voulait se construire ensemble un avenir dans lequel les maîtres-mots seraient plaisir et harmonie. Mais on n’en a pas eu le temps...
Le vendredi 3 septembre 2010, il a attendu que son collègue revienne de congés, puis il a pris son arme de service, a mis de l'ordre dans ses dossiers au bureau et ses affaires à la maison, il a roulé pendant plus de deux heures pour aller se tirer une balle dans la tête sur la plage.
La police m'a appelée au bureau pour m'avertir de sa disparition et des recherches en cours, ils ont tenté de localiser son portable mais il ne l'a allumé que juste avant... Quand je leur ai demandé de localiser son GPS qui est équipé d'une antenne radio, ils m'ont répondu que la loi l'interdisait pour atteinte à la vie privée.
Il a laissé des courriers pour ses collègues enquêteurs, pour sa famille, pour ses proches... Il tente d'expliquer son geste mais nous laisse évidemment avec la seule question qui compte : Pourquoi ?
J'ai dû me rendre au commissariat le lundi suivant pour faire une déclaration et répondre à des questions telles que: Ces lettres, ça lui ressemble ? Aviez-vous des problèmes de couple ? Saviez-vous qu'il pensait se suicider ?
Comme s'ils cherchaient à nous faire dire: Bien sûr, ça n'avait absolument rien à voir avec le boulot…
Depuis, je ne cesse de repasser en boucle ce jour et ceux qui ont précédé sans trouver de réponses, juste des raisons supplémentaires d'être en colère : Pourquoi le suivi psychologique n'est-il pas obligatoire dans ce corps de métier ?
Pourquoi son équipe, avec laquelle il passait plus de temps qu'à la maison, n'a pas réagi quand il s'est absenté à deux reprises pour malaise ?
Pourquoi la loi interdit la radio localisation dans de telles situations où il est indéniable qu'il y a danger de mort ? Pourquoi ce jour-là, je n'ai pas gardé mon portable dans ma poche comme d'habitude ?...
Enfin, je n'attends pas de vous des réponses à mes questions mais vous vous êtes exprimée à plusieurs reprises sur le travail des policiers, sur leur statut et les risques du métier, sur le suicide... Peut-être aurez-vous tout de même quelques explications pour m'éclairer, je vous lance ça comme une bouteille à la mer...
Il était l'homme le plus formidable qu'il m'ait été donné de rencontrer, mon meilleur ami, mon âme sœur, un père et beau-père exceptionnel.
Il était intelligent, intuitif, tendre, compréhensif, indulgent et extrêmement sensible...
J'ai perdu l'homme de ma vie et je n'arrive pas à l'accepter.
Pauline
Pauline,
Je ne pourrai jamais avoir la bonne réponse, la bonne explication, le mot juste...
Ou alors, vous énoncer des raisons - celles que je pense, que j'accuse - qui ne seraient que celles de ma colère :
L'indifférence de tout un système, les collègues comme les chefs, ça passe ou ça casse. La négation des difficultés de ce métier de la part de ceux pour qui on n’est qu’un matricule. Rien n’est dit avant, rien n’est fait après les moments insupportables.
La négation de l'usure, de la destruction qui touche ceux qui s'investissent et bossent les yeux grands ouverts, avec leur cœur, leurs tripes et leur raison.
Bien sûr que oui cette profession a un impact lourd sur le moral et le psychisme.
Bien sûr que oui, on vous jouera toujours le couplet des raisons personnelles, c’est tellement plus simple dans ce monde d’autismes juxtaposés où personne ne prend ses responsabilités, et ne veut admettre défaillances et erreurs.
André a laissé une lettre à ses collègues, il leur disait qu'ils n'y étaient pour rien, pas plus que son métier...
Il ne faut pas vous en vouloir, rien n’est de votre faute non plus. Rien.
L’arme menottée au poignet, c’est une signature.
L’assassin c’est cette profession.
Qu’André repose paix avec votre souvenir et de l’amour au fond de l’âme.
_____________________________________________________________________
Sur le même sujet :
- Suicides dans la police : hasard ?
- Suicides dans la police : un plan de réduction des effectifs ?
- Muriel post-mortem