“ailleurs...”

9 Septembre 2009


  Sur ces pages, j’écris parfois autre chose que des histoires de flics, parce que si je ne faisais pas ce que je veux avec ma ligne éditoriale – comme disent les blogueurs qui se la pètent furieusement en causant comme des rédacteurs en chef de la vraie presse – ce serait quand même dommage.
  D’autre part, je n’écris pas beaucoup parce que ce blog n’est pas un tamagoshi, moi je ne suis pas une crevarde en mal de fidélité internaute, et pour finir, je me fous avec application de tout ce qui – normalement - devrait me titiller puisque je suis blogueuse, à savoir la visibilité, les statistiques, les commentaires, le réseautage, bref tout le paramétrage du narcisse virtuel en détresse affective.
  Par ici, je peux juste vous certifier que je ne vous servirai pas du journal intime, des photos de mes vacances à la neige, ou un fac-similé de blog-de-pétasse avec du macaron Ladurée au banc d’essai assorti d’un verdict orthographié avec les pieds. Voilà mon engagement.
  Et ça s’arrête là.
  Parce que, si sur ce blog j’assure ma liberté d’expression, je ne garantis en aucun cas la votre.

  Cette frénésie propre à Internet qui consiste à déverser son opinion partout et sur tout, me saoule.
  De plus en plus rares sont ceux qui admettent sereinement qu’il existe des sujets sur lesquels ils n’ont rien à dire, ou trop peu pour que la chose mérite d’être exprimée et rendue publique. C’est exactement le contraire qui se passe. Comme si le simple énoncé d’un avis abolissait la frontière entre les domaines du néophyte et de l’expert.
Tout le monde se doit de parler de tout, d’intervenir partout, et de fait, le nombre aidant, entrainer n’importe quel thème abordé dans une désastreuse médiocrité rarement atteinte avant l’ère du web 2.0.

  Le sentiment de passer pour un con appartient à un temps révolu, et a disparu des structures mentales de l’internaute. Il faut juste qu’il cause, s’émeuve, s’agace, et surtout qu’il participe au bavardage pandémique, et laisse sa trace pour trouver une place dans le magma numérique.
Dans cette immédiateté facilitée, tout se dit dans l’urgence. On ne réfléchit plus trop, on s’exprime à la manière des micros-trottoirs, dans la gueulante ou l’émotion plutôt que le raisonnement.
  Tout doit faire débat, et peu se soucient d’apporter une plus-value au dit "débat".
Et dans ce monde de l’expression "libérée", où la qualité est asphyxiée par la quantité, ce ne sont pas ceux qui vous proposent des idées anémiques à commenter qui s’en plaindront, ils adorent ça. Plus ça cause autour d’eux, plus ça les flatte et les boursoufle de contentement, et plus ils en jouissent par procuration. C’est dire la misère...

  Trêve de démagogie et de simulation de copinage, toutes les opinions ne se valent pas.

  Il y a dans cette cacophonie de l’interactivité ce qui est intelligent et constructif, et toutes les nuances de la remarque, allant du stérile au propos honteusement idiot. Et tout au bout de l’argument absent, il y a l’insulte.
Et au milieu, il y a ceux, dont je fais partie, qui revendiquent le droit de faire la différence entre les gens intéressants et réfléchis, et les abrutis qui considèrent comme une qualité de l’échange, une spontanéité que ne leur autorisent pas leurs facultés mentales.

  Quel genre de "règle" ou de "convivialité" m’obligerait donc, sous couvert d’une supposée liberté d’expression due à chacun, à publier ici n’importe quelle remarque imbécile sans y répondre comme je l’entends ?
  La net-étiquette, les fâcheux peuvent se la carrer où je pense.
  Et leurs petits cris de protestation et autres diffamations peuvent prendre profondément le même chemin.
  Le registre agressif dans les réponses que je leur formule leur sied parfaitement, et je ne m’en priverai pas si je leur laisse la parole.
  La dictature de l’expression des opinions débiles ou bêtifiantes qui veulent exister au même rang que les authentiques argumentations, je m’en tape. Ici, la dictature dominante est celle du choix de ma non-indulgence. Ou intolérance, si vous préférez.
Je n’ai pas envie - ici - de tolérer ce qui m’insupporte.
Même si la tendance veut que les cons bruyants aient le même temps de parole que les discrets cérébraux, dans un espace phagocyté par des abrutis vaniteux.
  Internet est une illusion de débat. Il ne s’y passe pas grand-chose de conséquent hormis une hallucinante dépense d’énergie et de temps, à la manière d’un grand jeu de société.
Pendant ce temps, le monde tourne…

  Non, je ne dois rien à personne.
  Rien de rien dans ce féerique Internet où les seules discussions (si on peut appeler ça comme ça...) capables de fédérer en masse les opinions les plus dissonantes, et génératrices d’alliances les plus improbables, sont celles qui, sans courage, consistent au lynchage.

  Ici, quand je veux, je censure ou j’envoie chier. C’est comme ça.
  Les frileux, passez votre chemin, vous m’ennuyez aussi.
  Rien d’hostile, juste un retour à un bon sens en adéquation avec des interlocuteurs pour la plupart anonymes, à qui je ne dois en aucun cas un espace pour exprimer ce que le cerveau humain peut produire de plus affligeant.
  Qu’ils aillent – si ce n’est pas déjà fait - se fabriquer leurs petites pages du prêt-à-penser, je peux même leur fournir quelques adresses attestant que l’expression de la connerie, de la vacuité et de la prétention, a atteint un niveau de désinhibition faisant que chacun peut se sentir très bien sur Internet.

Voir les commentaires

Bénédicte Desforges

#ailleurs...

8 Juin 2009


  Quel pataquès, dis donc. Ils n’ont pas bien supporté. Ils le savaient peut-être tout ça, mais ils ne voulaient pas qu’on leur dise. Ou alors, ils ne le savaient plus, va savoir… la force du nombre engendre sournoisement d’autres normes.
  Dans ce petit monde trafiqué et verbeux qu’on imagine être un monde, on laisse son petit journal (extime, dites-vous) grand ouvert sur une page choisie pas du tout au hasard, ses révoltes de clavier, ses rebellions hors sujet du courage, signés de frileux pseudos, et on gémit que la passante mal embouchée que je suis ait pu les lire. Et ait pu dire beuark. Foutaise !
  Sur un blog, n’importe lequel, la thématique qui intéresse tout le monde, c’est le blog.
  Et là, ça rapplique dans tous les sens, et ça rigole, ou ça s’offusque et ça pousse des petits cris..
  Alors tout vexés qu’ils étaient, ils ont lu et relu. Tout comme le lecteur du Parisien qui se précipite sur l’horoscope, parce que c’est la seule page du journal qui parle de lui. Avant de passer aux faits divers.
  Passionnant.
  Belle leçon.

  « À mon sens obtus, ils se ressemblent tous... farouchement dans l’insignifiance... Un petit peu plus un petit peu moins de plastronnage, de cuistrerie, tortillage, de velléités, d’onanisme. C’est tout ce que je peux découvrir !... Je me rends bien compte qu’ils essayent de faire des grands et des petits effets, qu’ils se donnent du mal, c’est exact pour faire lever un peu la pâte sur ces platitudes... mais la pâte ne lève jamais... C’est un fait... qu’on a beau prétendre le contraire, c’est loupé... ça flanche... ça découle...
  Et plus ils se décarcassent, se malmènent la pauvre traguitte, plus ils sonnent affreusement factices de tous leurs organes et tambours... Plus ils sont pénibles à regarder... plus ils déconnent intimement et plus ils s’ébullitionnent de rage et de haine !... qu’on s’en doute et s’en aperçoive... Ils ne peuvent plus émettre jamais que de "l’informe", c’est indiqué dans les oracles du magma, de "l’inorganique"... Ils ne sont plus assez vivants pour engendrer autre chose que des histoires creuses et qui ne tiennent plus debout... Ce sont des grossesses nerveuses, infiniment prétentieuses, autoritaires, susceptibles, délirantes, d’orgueil. »
 

Louis-Ferdinand CÉLINE, Bagatelles pour un massacre 1937

(évoquant des écrivains parisiens, ses contemporains bobos)

Voir les commentaires

B. Desforges

#ailleurs...

29 Mai 2009

   Ah que c’est triste ! Affreux ! Ils ont les humeurs et les sangs à l’envers, un sang d’encre qui ne coule plus sur la page web ! Misère ! Ça coagule d’immobilisme, la posture était trop dure à tenir ! Et ça contagionne et métastase dans tous les sens ! La relation de l’homo blogum vulgaris à sa chose se complique dans les grandes douleurs ! Le monstre est gourmand, exigeant, la fonction a créé l’organe et l’organe est devenu vital ! il a pris le pouvoir, il le domine, il lui en fait baver ! Le chœur des pleureuses nous le fait tout en vibrato !
   Ils se posent des questions, et ils angoissent métaphysique, les pauvrets ! Et ils craquent, anéantis par la démultiplication de leurs ambitions impossibles.
   Et un jour, le blog se referme comme la coquille vide d’une matrice fétide, exhalant un dernier charabia d’agonie sur son créateur.
  Il se pensait le roi du monde, dressé sur la pointe des pieds en haut de son minuscule podium à ego, ce petit tribun de son moi immense. Face à une tribu qui déserte, absente et ingrate, la salope. Il y avait quelques clampins désœuvrés, chasseurs d’amitiés factices. Mendiants prosternés devant des solitudes miroirs.
  Et là, d’un coup, il se sent très seul. Les courtisans n’étaient que des passants. Qui déambulaient sur les chemins de l’empathie facile, et de la sympathie approximative, postillonnant des petits mots creux. C’était un terrible effort d’y croire quand il n’en reste presque rien. Des fidèles sans lendemain et sans visages, avec des faux noms et l’esprit flou. La flatterie facile dégoulinant de leurs virtuelles bouches sans voix, la compassion en bandoulière, errant de pages en pages, d’intimités répandues en confidences indécentes. Mateurs chez les autres, et exhibitionnistes dans leur cabane en paille de petit cochon. Échangisme d’inspirations anémiques et d’états d’âmes clones.
   C’est très con un journal intime, quand la confidence n’est plus un murmure complice, mais un strip-tease en place publique. C’est super naze si tu y regardes de près, ces blogs à tout faire. Ils sont comme des trous noirs. Celui qui en accouche finit par tomber dedans.
   Ou bien il part s’accrocher tout seul à la potence du non-sens.
   Il ne pense qu’à ça toute la journée. À son grand déballage du soir, à son spectacle sans son ni lumière, sa petite mise en scène quotidienne. Et pour bien plomber la chose, il est souvent plus prompt à gémir qu’à rire.
   Ah ! Regarde comme je souffre bien ! Comme j’ai la larme gracieuse et élégante, n’aie pas peur d’approcher, elle ne mouille pas, elle ne tâche pas celle-là ! Mais si tu pouvais compatir, m’applaudir, et aussi fermer ta gueule quand je dis des horreurs…
   Parce que oui, il y en a des mochetés, des culs malpropres et des saloperies étalées, mais l’intime c’est sacré tu vois, on ne touche pas, on ne juge pas, même si on te met le nez dedans. On ne l’ouvre pas en grand, on regarde par le trou de la serrure, et par tous les trous qu’on te présente d’ailleurs, sans jamais ne rien dire à moins d’être désigné comme un frustré arrogant. La contradiction est malvenue, la remarque doit être emballée avec précaution. On ne se dégoute pas, on indulgence à tout va. On se contorsionne l’intellect pour se dire, parce que c’est l’usage, que l’autothérapie en plein air, ça a forcément du bon s’ils disent que ça leur fait du bien. Si au moins ça avait l’air vrai, ce bien qu’ils se font…
   Alors on part en balade sur les petits blogs à fond noir des bérénices, des petite-fleur, des chat-sauvage, et autres princesses et poètes de fond de chiottes. Et on y cueille des fleurs fanées de honte entre les halètements d’une boulimie de points de suspension qui se veulent soupirs et mystère. On y voit de belles images aussi. Images prétextes pour vous ravir… non ! pour les cacher, les travestir, ces vilains niais !
   Alors on prend une autre route, histoire de voir, d’explorer la forêt des ego. On a des petits élans d’affection pour quelques perfectionnistes d’un art maitrisé, pour des talentueux discrets, on se marre de quelques débats d’idées, finalement ils s’amusent au moins ceux-là, ils ferraillent avec leurs contradictions, quand ils se font chier ils les fabriquent ces contradictions pour jouir d’une joute de plus, ils ont le verbe haut et facile, ils ont la méchanceté efficace, c’est drôle.
   Un peu plus loin, il y a quelques vestiges d’une aristocratie déchue, ceux qui se sont fait doubler par le nombre, et qui ne savent pas s’ils doivent l’accepter ou jouer de l’entre-soi comme des vieux cons et des sales dindasses acariâtres. Les dinosaures sont malheureux, mais les aristos c’est fait pour se faire couper la tête, n’est-ce pas, et ça n’a jamais fait aucune révolution. Pas plus ici que dans l’Histoire. Alors, ils continuent à disserter la bouche en cul de poule sur l’outil qu’ils ont tant aimé. À la manière d’une discussion qui n’en finirait pas sur des tournevis et des clés à molette dont ils n’ont finalement pas fait grand-chose.
   Au virage suivant, on croise une armada de mères Teresa. Ceux-là, ils aiment tout le monde, toutes les bonnes causes sont les leurs. Trémolos. Du bébé phoque au Darfour, tout les émeut, ils en font une affaire personnelle, et vous livrent deux ou trois lignes d’une analyse très fouillée de la situation. Ils sont merveilleusement bons et généreux. Ils veulent qu’on les aime au moins pour ça. Faut pas leur dire qu’ils sont bidons, c’est méchant.
   Et on bifurque encore, on se retrouve chez les crados, les gros dégueulasses, comme celui-là tiens, qui avait des prétentions. Actes Sud sinon rien, grognait-il ! Il se libère lui aussi, il fait ses écritures, un peu de sperme, un peu de larmes, un peu de merde, au moins c’est coloré, et ça te met du relief sur ses fictions pédo-littéraires. Quand je te dis qu’il y a des horreurs. Mais chut. Ta gueule. Ferme-la, ne dis rien, tu es ici sur un espace de liberté, d’intense créativité. C’est un crachoir ? Un urinoir ? Mais non ! C’est un blog !
Il expose, il y a vernissage tous les jours ! Oui ! Il s’expose à la critique aussi ? Au jugement ? Ah oui, mais non. Faut rien dire, t’as pas le droit, laisse donc les narcisses en plastique s’épanouir dans les cloaques, les tombes sont béantes, grandes ouvertes, t’as qu’à pas y aller après tout. Mais c’est si drôle. Tu connais ce dicton : quand je me vois je me désole, quand je les vois je me console. Et bien voilà ! pourquoi s’interdire d’y aller, de s’en morfaler de profondes bouffées qui puent l’autopsie ? Et admettre sans tortiller du fion qu’ils sont à la limite de l’atteinte à la dignité humaine, et une immense insulte au bon goût. Littérature mon cul. Il n’y a pas de littérature. Les rimes merdiques, c’est pas de la littérature, le passé simple c’est pas de la littérature, les points-virgules non plus. Je ne sais pas ce qu’est la littérature, mais c’est pas ça, évidemment.
   Que c’est misérable cette incapacité à la solitude.
   Ils quémandent, leurs blogs cannibales se nourrissent de vous, disent-ils, c’est affiché à l’entrée, pliez-vous à la règle, soyez généreux, balancez-leur des petits papiers sous leur porte, ils croient qu’on les aime.
   Et ils continueront à se raconter, s’enjoliver, jacasser, pérorer, bomber du torse, du nibard ou du cul qu’ils doivent avoir aussi triste et flasque que leur propos.
   Ils continueront à pleurnicher sans grâce aucune, juste pour avoir l’air triste, c’est tellement romantique et séduisant la tristesse… C’est un si joli fond de commerce. Tu leur jettes deux mots mignons tout plein, ça t’engage à rien, et ils te remercient comme si tu venais de leur décrocher la lune de ta sœur ! et vous devenez amis. C’est adorable, n’est-ce pas.
   On devrait avoir pitié, mais même pas. C’est juste grotesque. Et fascinant.
   Cet incroyable brouhaha de monologues intimistes et putassiers qui finirait par engendrer la répugnance de son prochain. Cette prétention à croire que tout peut être déballé et intéresser. Cette médiocrité de l’expression qu’on sauve à grands coups d’artifices, pour fabriquer des petites ambiances où le semblable se sentira bien, quelle escroquerie ! Cette vulgarité auto complaisante, ces simulacres de communication, cette masturbation collective pénible…
   Merde. Stop. C’est lourd.
   Vous êtes atteints de blogopathies multiformes.
   Amputez-vous du blog.
   Ou supportez le microscope sur vos gueules inconnues.

Voir les commentaires

Bénédicte Desforges

#ailleurs...