“ailleurs...”

12 Février 2012

   L’autre jour, histoire d’éclairer ma lanterne citoyenne, j’ai eu envie de comprendre les élections différemment, apprendre ce que je ne sais pas des modalités sociologiques de ce fameux droit démocratique en France, et faire l’acquisition d’un livre tout récemment paru aux Presses de Sciences Po,  Le vote des Français de Mitterrand à Sarkozy, coécrit par cinq chercheurs, professeurs, tous experts en science politique, tous spécialistes en comportements électoraux et politiques, et en décryptage de l’opinion publique.
   À moins de trois mois des élections présidentielles, c’était le soir moment ou jamais.

   Je trouve ce livre sur internet, d’occasion comme neuf et à moitié prix, via le site d’une petite librairie parisienne sur Amazon.
Deux jours plus tard, je le reçois, effectivement comme neuf, jamais ouvert, sauf… la page de garde sur laquelle je découvre la dédicace d’un des auteurs à Frédéric Taddeï.

   Il faut savoir que quelques jours avant la parution d’un livre et dans le cadre de sa promotion, les services de presse des éditeurs, ou les auteurs eux-mêmes, envoient quelques exemplaires, de façon la plus pertinente possible, à des journalistes susceptibles d’être intéressés et d’en parler. Et avec un peu de chance, pour décrocher une invitation télé ou radio, ou une interview, pour exposer soi-même son travail.

   Je me fends d’un petit coup de fil au libraire pour lui demander s’il vend ainsi beaucoup de livres d’occasion comme neufs qui ont d’abord été adressés à des journalistes. Il me répond que oui, et j’essaye d’en savoir plus, lui précisant qu’étant moi-même auteur, il m’est plusieurs fois arrivé de trouver mes livres en vente avec leur page de garde arrachée. Ce à quoi il me répond - preuve que la manip est bien rodée - que Frédéric Taddeï contrairement à d’autres, ne donne pas de consigne particulière concernant les pages de garde qui lui sont dédicacées. Très exactement, il me dit « Il s’en fout. »
   Je tente encore de comprendre ce petit bizness du livre offert-revendu-dédicacé-jamais-ouvert, et il reconnaît que c’est un peu compliqué, que c’est une sorte de réseau, s’interrompt d’un coup pour me demander en quoi tout ça m’intéresse.
« Parce que, voyez-vous, je trouve pas ça "un peu compliqué" mais plutôt un peu honteux. Et je vais vraisemblablement écrire un petit truc là-dessus.
- Ah oui mais bon, je vous interdis de répéter ce que je vous ai dit !
- Et comment comptez-vous faire pour me l’interdire ? »

   Amusant, non ?
   Un journaliste qui bosse à la télévision (deux émissions sur France 3), à la radio (Europe1, puis France Culture) dans la presse écrite (Figaro Magazine), sur internet, et dont on doute fort que les fins de mois soient bien "compliquées", revend les livres qui lui sont offerts à titre professionnel.
   On se doute bien que ces gens-là ne lisent pas tout ce qui leur est envoyé, mais au moins qu’ils se débarrassent de leur stock de façon élégante, utile, qu’ils les offrent à leur tour, qu’ils les mettent à disposition de leurs confrères, collègues de travail, ou de bibliothèques.
   La déontologie et l’éthique de la presse sont déjà suffisamment mises à mal, sans en rajouter de façon aussi consternante.
   Mais non, il y a manifestement des revendeurs dans le circuit qui font l’affaire des journalistes crevards et sans le sou (je blague) et des radins (moi par exemple) qui calibrent au mieux en quantité et qualité leur budget livres. Les livres neufs avec une page en moins - sauf pour Frédéric Taddeï -  se trouvent donc à moitié prix grâce à eux : dans cette librairie [lien] on trouve même bradées des publications… du jour.

   Mais au-delà de ce minable petit trafic à la julot casse-croute, on observe aussi ce qui est considéré - ou non - comme une information digne d’être rendue publique, donc accessible au plus grand nombre.
   Ce qui figure dans ce livre, Le vote des Français de Mitterrand à Sarkozy, est véritablement d’utilité publique, et pleinement d’actualité. Il recèle tous les outils pour comprendre, interpréter, anticiper.

   Mais l’information grand public ne se danse pas comme ça.
Personne n’a parlé de ce livre.
Les experts ne sont pas de bons clients (comme disent les journalistes). Leurs livres - à cause de Frédéric Taddeï et de ses clones journalistes - restent dans l’ombre et leur lecture restreinte.
   Il y a des gens qui étudient des années entières, et le jour où leur travail sort des laboratoires et des universités pour qu’une connaissance, une méthodologie, une manière de penser intelligente et intelligible, deviennent accessible et à la portée de tous, les médias leur claquent la porte au nez et revendent leurs bouquins sans les avoir ouverts.

   L’information est un spectacle. Écrite, parlée, creuse et gonflée à l’hélium, mise en scène. La sobriété et l’expertise sont inaudibles. De la météo à la politique, il faut de la sensation forte et des mots qui percutent. Ad nauseam.
Pire, en période d’élection, l’information n’est plus que propagande. Serviles, les mots trichent et les propos mentent.
   Plus qu’à tout autre moment d’un mandat électif, il faut subir jusqu’à saturation des commentaires et "chroniques" politiques, qui relèvent bien davantage de l’opinion des uns et des autres que d’information au sens strict.
   Il faut assister aux bavardages, soi-disant débats d’idées, toujours les mêmes, petits rendez-vous de l’oligarchie médiatique des éditocrates, toujours les mêmes, tous ces gens qui ont pris possession de l’opinion publique, qui vocifèrent et s’engueulent à l’écran et dînent ensemble après le générique de fin.
   Et quand ce n’est pas cette clique qui vient servir la soupe de la politique spectacle, il faut prêter l’oreille à l’avis du n’importe qui du jour, baladé par un attaché de presse, qui a un disque, un record du monde, ou une biographie à vendre. Et qui n’a pas mieux à dire qu’un micro trottoir, mais participe avec satisfaction au brouhaha des opinions.
   Il faut rire du décryptage cynique supposément drôle de la politique, proféré par les faux impertinents des médias. Persiflage courtisan, et bouffons du roi, dramatiquement politiquement corrects à y regarder d’un peu plus près. Cette vision ricanante de la vie politique, qui finalement lisse chaque chose, la vide de son sens, l’apprivoise, et place l’ensemble à même niveau d’indigence intellectuelle et civique.

   Voilà ce qu’on fait passer pour de l’information.
Voilà qui sont ceux qui décident de l’importance relative des faits de société, des choses à dire, à taire, et des gens à qui donner la parole. Ou pas.
À croire que la lutte des classes se joue désormais contre une caste.
Et que cette lutte est celle de l’information et de la connaissance.
Contre la malhonnêteté intellectuelle.

CEVIPOF

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Bénédicte Desforges

#vies de livres, #ailleurs...

10 Janvier 2012

Sabah n’est pas un documentaire, c’est une fiction.
Ou alors, un documenteur comme aime bien dire son réalisateur, Farid Lozès.

Sabah n’a jamais existé, mais elle aurait pu.
La ville où vit Sabah n’existe pas non plus, et pourtant, on a l’impression d’y être déjà passé. Elle ressemble à mille autres villes, mais elle n’est aucune d’entre elles. Ou alors toutes à la fois.

Et l’histoire est celle du tournage d’un documentaire en banlieue, incroyablement réaliste.
Une vraie leçon faite aux vrais documentaires… L’angle choisi n’est pas celui – attendu, souvent - de la délinquance, mais de la culture, à travers le portrait de Sabah, responsable d’une association de quartier.
On devine que son regard sur le monde et les gens est un peu celui de Farid Lozès… créatif, enthousiaste, généreux, et obstinément citoyen.

Le talent de Farid Lozès a été avec Sabah de contourner tous les clichés inhérents au sujet, avec un casting et des rôles d’une justesse étonnante. Sans outrance et sans complaisance non plus.
L’histoire de Sabah invite à réfléchir.
La solidarité, la responsabilité, l’engagement, le rôle des médias quand il s’agit pour faciliter les discours de placer des étiquettes indélébiles sur les uns et sur les autres, beaucoup de sujets d’autant plus essentiels que cette fiction deviendra une tragique réalité, un an après le tournage du film.

scénario et réalisation : Farid Lozès
production : AS DE PIC

Sabah est la fondatrice de l'association Malices qui dynamise un quartier autour de projets culturels. Une équipe de journalistes vient faire un reportage. Sabah accepte d'être filmée et interviewée dans le quotidien de l'association. A travers son portrait, on découvre une banlieue qui bouge et l'existence d'une jeunesse en demande de moyens culturels et artistiques.

Tourné en 2004, diffusé sur France 2 en 2006, 2007 et 2008, ainsi que sur TPS STars, TV5, Sabah est régulièrement diffusé en salle pour des débats à travers toute la France, y compris dans des établissements scolaires. Il sert aussi de support pédagogique pour animateurs et professeurs, et d'outil d'échange avec des policiers, pompiers, élus, et journalistes.

Sabah

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23 Novembre 2011

Bénédicte Desforges

#ailleurs...