Yelda, dix-huit ans (3)

23 Septembre 2007

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  Elle ne sera jamais infirmière. Ni puéricultrice. Yelda est retournée au Maroc et s’est mariée. Elle a abandonné ses études et ses projets, et a eu son premier bébé à dix-huit ans. Elle a accouché seule à Paris.
  Le garçon qui n’en voulait qu’à sa nationalité française, passait du bon temps à Casablanca.
Elle l’a rejoint avec le bébé. Elle me téléphonait en larmes pour me dire que sa belle-mère la traitait en esclave et la battait. Yelda ne voulait pas qu’on vienne la chercher parce qu’elle avait peur que la famille garde l’enfant. Elle me disait que ça irait mieux après, quand son mari et elle reviendraient en France. Elle vivait là-bas isolée et ne parlant pas un mot d’arabe. Elle sortait rarement, toujours accompagnée d’un frère ou de la vieille, et elle était voilée.
  Elle est revenue seule, enceinte à nouveau, et il et l’a rejointe en France avec des papiers en règle. Elle ne l’avait pas su tout de suite, mais il avait une autre épouse au Maroc.
  A dix-neuf ans, elle avait deux enfants.
  Il la frappait, pire que ce qu’elle avait subi dans l’enfance. Un jour, il a fendu une armoire avec la tête de Yelda. Elle se sauvait avec ses petits, et revenait chez Yasmina. Elle ne voulait pas déposer plainte, elle l’aimait plus que tout au monde. Elle pleurait beaucoup et rentrait chez elle.
  Yelda n’a jamais réalisé ses rêves. Elle a travaillé quelques mois chez MacDo, mais son visage était trop marqué. Elle touche le RMi depuis longtemps, et va chercher à manger dans les centres de la Croix Rouge. Lui ne travaille pas, il boit et fume les allocs. Les services sociaux ne peuvent rien. Personne ne peut rien.
  Yelda ne savait vivre que sous emprise.
  Personne n’a jamais su la sortir de cette spirale de violence. Elle avait appris à communiquer comme ça. Sa pauvre vie ne lui avait enseigné que ce langage, et ne lui avait pas laissé le temps d’en apprendre un autre. Sa naïveté et son rêve d’être aimée l’avaient rendue sourde à tout conseil. Avec obstination, elle est retombée dans ce qu’elle avait voulu fuir.
  Yelda habite un taudis à deux pas de l’endroit où je l’ai trouvée.
 

extrait de Flic, chroniques de la police ordinaire

Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire

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