Vingt-deux

30 Juillet 2009

  Il était tranquillement installé devant la table, et avait fait deux tas de choses qu’il avait pris le temps de trier. Ce qu’il avait choisi d’emporter, et ce qu’il allait laisser là. Sur le lit, dans la pièce à côté, il y avait également des piles un peu hétéroclites. Des vêtements, des livres, des petits objets en porcelaine, des couverts argentés bien alignés sur l'édredon. Des bijoux aussi, des vrais et des faux. Il n’avait apporté avec lui que trois sacs vides. Deux grands sacs de voyage et un sac à dos qu’il avait déjà rempli au moment où on est arrivés. On est arrivés à vingt-deux flics. Sans faire de bruit, tout comme lui qu’on a surpris en plein travail. On est arrivés par la porte et par les deux fenêtres, et on a aussitôt rempli le petit appartement. On était vingt-deux et il était seul. Seul en train de cambrioler une petite vieille absente de chez elle, mais qui avait laissé un mot sur la table. Si vous revenez me voler, s'il vous plaît, rendez-moi mon chien. Il me manque. Comme on était vingt-deux et qu’il était tout petit et tout maigre, il n’a opposé aucune résistance quand on l’a arrêté et menotté. Il n’a pas même essayé de mentir ou de partir, il s’est laissé faire.
  Nous, on n’arrivait plus à tenir et bouger dans cet appartement, d’autant plus qu’une patrouille du secteur nous avait rejoints. On n’y voyait déjà pas grand-chose. À vingt-deux, c’était comme si on avait éteint la lumière dehors et dedans. Et on ne s’entendait plus, tout le monde y allait de son petit commentaire, discutant à deux, à trois ou à vingt-deux. Alors j’ai décidé qu’on descende tous dans la courette de l’immeuble, avant d’en désigner quelques uns qui feraient les constatations. À vingt-deux, nous avons dévalé l’escalier en file indienne, et arrivés dehors nous nous sommes mis sur deux rangs, le voleur au centre, nous avons souri et nous sommes pris en photo.
  La veille, nous avions eu un gros arrivage de gardiens de la paix stagiaires, et pour leur premier jour de service, j’avais pris l’initiative d’emmener mes petits en minibus estampillé police, pour une visite guidée de l’arrondissement. Histoire de faire avec eux une cartographie des zones délinquantes, de celles de la mémoire des rues et des peuples, du folklore, et aussi celles de l’ennui plus couramment appelées points sensibles ou bitume. Chemin faisant, j’allais tenter de leur expliquer quelques particularités et codes de leur futur secteur, les mettre en garde et les encourager à la fois. Ils étaient jeunes, impatients, curieux de tout, mais craintifs comme des débutants.
  Et puis il y a eu cet appel radio. Cambrioleur en action.
  « On est à côté, je prends !
  - Vous y allez... à vingt-deux ?
  - Affirmatif. À vingt-deux. »

extrait de Police Mon Amour

Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire

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