Burqa, niqab, hijeb et autres fanfreluches
9 Février 2010
Vous reprendrez bien un peu de burqa ?
(article du 2 juillet 2009)
Seigneur dieu roi du ciel ! Le petit blanc a croisé des fantômes dans les rues de sa douce France ! Et il a eu grand peur. Et il se demande s’il ne faut pas interdire tout ça, pour ne conserver que Halloween et le fondamentalisme dormant des citrouilles, le père Noël et tous ces petits paganismes entre amis.
Parce que ça, cet accoutrement ridicule et hors d’âge, c’est tout de même extrêmement dangereux pour la République, voyez-vous. Si si, absolument. Certes, il y avait bien cette vieillerie de loi de 1905, dite de séparation des églises et de l’État, qui ne préconise l’intervention de ce dernier qu’en cas de trouble à l’ordre public par des fantaisies d’inspiration religieuse, mais il semblerait qu’elle soit tombée en désuétude. Dommage. Elle aurait dû être rangée au patrimoine mondial des lois intelligentes.
Mais là ! Merde alors ! Les bougnoules et leurs fatmas dépassent les bornes ! Sus aux Sarrasines masquées que diable ! Enfin un prétexte. Croisade ! Croisade !
Bon, c’est vrai que ce n’est pas forcément très fin de lire le Coran avec des rondelles de saucisson halal devant les yeux, pour finir sous un niqab. Dans ce texte vieux de 1500 ans, il est juste indiqué aux femmes de faire preuve de pudeur devant les hommes qui ne sont pas leurs proches ou leurs esclaves eunuques. "Qu'elles rabattent leur voile sur leurs poitrines..." (in sourate Les Croyants, verset 31) Rien de très coercitif en fait. Le Coran (pas plus que les Hadiths) ne prescrit en rien quelque chose qui ressemblerait à une burqa. Mais ces femmes ont donné un sens spirituel à un voile, c’est ainsi.
Alors il faut l’interdire dit-on à droite comme à gauche, chez les intellos éclairés et au bistro, chez les féministes totalitaires, comme chez les bigames clandestins et les cocus. Interdire au nom de la liberté de la femme évidemment.
Interdire au nom de la liberté, oui c'est ça. Même si ça sonne faux.
Parce que par ici, la liberté ne se calcule que sur la voie publique, ne se mesure qu’à la visibilité. Les dames en niqab ou hijeb dérangent parce qu’elles sont trop voyantes à ne vouloir être vues. Si la preuve était faite que le voile des musulmanes était assorti d’une oppression domestique, les ayatollahs blancs s’en ficheraient passablement. Mais la condition féminine tout le monde s’en fout un peu, n’est-ce pas. Le niqab c’est plus exotique que l’égalité des salaires par exemple, plus voyant que l’excision, ça enflamme mieux les conversations. Parce qu’autant on trouve ça tout à fait pittoresque dans les rues de Marrakech ou à Barbès (passe encore nous dira-t-on, allez, c’est presque le Maghreb) quand il faut en débattre en France, c’est une autre affaire.
La liberté de la femme ne s’entend qu’à la mode occidentale, on ne supporte pas qu’elle puisse être déclinée autrement. Parce que sous le voile, le niqab, le hijeb, il y a quand même des femmes qui affirment qu’elles ont pris la liberté de la porter. Soit dit en passant.
Quoiqu'il en soit, on se retrouverait donc à résumer la liberté de la femme à la gestion de l’accoutrement, aussi extravagant soit-il. Donnant un accord social tacite au droit (au devoir si on est conformément "émancipée") de montrer ou laisser deviner son cul, et repoussant ce symbole de pudeur extrême décrit comme tel par les femmes voilées de la tête aux pieds.
En outre, l’esprit est ainsi fait que tout ce qu’on ne voit pas est une porte ouverte au fantasme.
Par ici, on dit qu’il y a conspiration, qu’elles sont mandatées par des imams barbus pour tester la résistance de la Nation à une future islamisation des masses. Facile, mais l’époque paranoïaque s’y prête bien. Que ce voile plus ou moins noir est la porte ouverte aux dérives communautaristes. Mais à force de règlementer, légiférer, interdire, on ne fait qu’attiser les manifestations et bravades identitaires, et il serait judicieux de prendre en compte, avant tout autre paramètre, le caractère récent de cette radicalisation du voile.
Par là, on hurle à l’asservissement et à l’oppression. Et si la musulmane affirme haut et fort que ce choix est le sien, c’est entendu comme une preuve supplémentaire de la perversité de la domination masculine dans l’islam.
Parce que ces femmes voilées, elles ont quand même un truc pas clair et très déstabilisant pour ces défenseurs des libertés qui veulent tout gérer des libertés d’autrui, n’est-ce pas. Si c’est une maman discrète, elle est forcément opprimée. Forcément. Par un mâle en djellaba. Et si c’est une femme célibataire et pire, instruite – le voile laisse passer les idées et les arguments – c’est de toute évidence une dangereuse idéologue prosélyte… ou terroriste, allez savoir.
On parle aussi de renoncement à la féminité. Quelle féminité ? Qui donne les limites de la féminité ? Le modèle dominant du dictat de l’apparence est-il si séduisant ? Faut-il s’étonner de postures provocatrices – le niqab par exemple – en réaction à une image de la femme qui n’est pas calibrée pour convenir à tout le monde ?
Sans approuver, ne peut-on pas tenter de comprendre pourquoi on renonce à ce point à la nuance pour se couvrir de la tête aux pieds ? Finalement, la femme occidentale "libérée" ne satisfait-elle pas toutes les attentes et exigences phallocrates ? Et si le carcan était en fait là, quand la notion de féminité rime avec séduction et obligation sociale de plaire...
Mais non, il faut interdire le niqab. La non-apparence dérangeante.
Sous prétexte de la liberté et de la dignité d'autrui à préserver, il faudrait interdire un asservissement présumé.
Même si la liberté s’entrave bien ailleurs que sous un voile et sur la voie publique.
Clamer qu’on veut, qu’on exige, qu’on ordonne de voir les visages, parce que c’est la coutume par ici, une histoire de correction, de sociabilité, d’humanité… alors qu’on est si prompt à ne pas regarder dans les yeux les vraies différences, les vraies discriminations. La misère. La violence. Les inégalités et oppressions parfaitement visibles. Confortablement intégrées dans le décor.
Le voile, le hijeb, le niqab ! La belle affaire !
Un combat idéal pour petits blancs héritiers de toute l’arrogance et la condescendance judéo-chrétiennes.