Les zonzons
25 Mars 2009
Il était aux écoutes, il s’ennuyait. Ça faisait des heures qu’il ne se passait rien, sinon des coups de fil insignifiants. Un rendez-vous de dentiste, un allo-comment-ça-va de la vieille mère en province, le gamin qui appelle pour dire qu’il rentrera un peu plus tard.
La commission rogatoire avait été délivrée dans le cadre de la surveillance de deux braqueurs et leur entourage. Des beaux mecs, comme il me l’avait dit, des costauds, des sévères, de ceux qui défouraillent facilement, sans que leur cœur ne batte plus vite. Des truands qui avaient déjà fait des années de prison, toujours actifs dans le milieu, et qu’on soupçonnait d’avoir un projet imminent.
Mais ce soir-là comme la veille, rien. Que dalle. Des bavardages sans mystère. À croire que les deux bandits s’étaient décidés à rentrer dans le rang. Ou à être extrêmement discrets.
Et puis vers minuit, il y a eu un appel. Une voix d’homme.
« Allo ?
- C’est moi. »
Enfin. C’est ce qu’il attendait, ce flic seul dans la nuit, seul aux zonzons dans cette salle sinistre, à se dire qu’il serait peut-être le premier à avoir l’information qui ferait que la machine se mettrait en marche derrière le flagrant délit.
« Ah, enfin c’est toi.
- Je n’ai pas eu le temps d’appeler avant. Tu comprends, il fallait que je m’en occupe.
- Je sais ! Mais tout de même, tu aurais pu téléphoner avant !
- Excuse-moi, mais ça a été plus dur que ce que je pensais.
- Je me suis fait un sang d’encre !
- Tais-toi, c’est justement...
- Alors ?
- Alors il est mort.
- Oh merde...
- Je n’ai rien pu faire. Il respirait encore, mais il était très salement amoché. Il a perdu beaucoup de sang. Pas beau à voir.
- Avec ce qu’il s’est pris, ça ne m’étonne pas. Et merde… ça me fait quelque chose.
- Et moi donc.
- Il était sympa comme tout, ce petit.
- Et intelligent, et pas bavard pour un sou. Un bon complice.
- Et merde et merde. J’arrive pas à me faire à l’idée.
- Oui, mais il y a un problème maintenant.
- Quoi ?
- Je ne sais pas quoi en faire.
- Hé bien, il faut l’enterrer et vite !
- Dans un trou ?
- Mais oui, abruti ! Dans un trou ! Tu fais un trou dans le jardin ! Avec une pelle.
- Oui, mais je ne peux pas l’enterrer comme ça, ça ne se fait pas, il faut que je le mette dans... je ne sais pas moi, dans quelque chose. Une sorte de cercueil, non ?
- Et tu n’as rien qui peut servir de cercueil chez toi ?
- Je ne vois pas quoi...
- ...
- ...
- J’ai une idée !
- Dis-moi.
- Une boite à œufs. Tu le mets dans une boite à œufs.
- Ah c’est pas con, ça.
- Un chaton ça doit bien tenir dans une boite à œufs.
- Surtout s’il est écrasé.
- Saloperie de bagnole. »
Et le flic, seul dans la nuit, seul aux zonzons, soupirait, soupirait…
extrait de Police Mon Amour