Le chien

8 Décembre 2007

  « TV22, il y a lieu de mettre en surveillance une BMW de couleur blanche prise en chasse par les effectifs du 93, elle se dirige vers le département par les quais de Seine de Clichy. Véhicule signalé volé. Trois individus à bord. Viennent de commettre un vol à main armée. Prudence.
  - Reçu cinq sur cinq TN92. Ça arrive par la rive droite ou la rive gauche ?
  - Je n’ai pas l’information, une chance sur deux TV22…
  - On prend la rive gauche TN92.
  - Respect des consignes si vous récupérez la chasse TV22.
  - Reçu pour TV22. Pas de problème TN92, on a les photocopies des consignes plein la voiture, on les apprend par cœur et on se pose des questions piège.
  - Vous monterez me voir en rentrant à la base, et vous m’écrirez ça par rapport, TV22. Message terminé. »
  Un ange passe, les ailes chargées d’aigreur et de notes de service…
  « C’était peut-être pas la peine de lui dire ça, si ?
  - Bah… Quand on aura la caisse des braqueurs devant nous, on pilera devant le panneau Seine-Saint-Denis et on annoncera qu’on l’a perdue, c’est ça ?
  - Oui oui, c’est ça… Allez… »
  On roule sur le quai, les yeux fixés sur la route. Il y a peu de circulation. Si la chance nous sourit, on ne verra pas passer la voiture sur l’autre rive, et on ne poussera pas des cris de rage. Si la chance n’est pas du coté des Dalton, ça va nous arriver dessus très vite.
  « TV22 de TN92 les effectifs du 93 ont lâché en limite départementale. Normalement ça vient sur vous. Prudence !
  - C’est reçu pour TV22. »
  On est donc du bon coté de la Seine. Droit devant, toujours rien. On espère que la BMW n’a pas changé de route mais elle ne doit plus être loin. Aucun autre véhicule ne s’est annoncé sur la chasse, mais il y a sûrement des collègues civils fantômes en attente aux intersections, prêts à nous retirer le bon pain du jour de la bouche.
  « Aha ! Vous voyez ce que c’est les consignes ! Le 93 ouvre un large bec et laisse tomber sa proie !
  - Quelqu’un le fait taire ?... Ah ça y est… regardez ce qui nous va nous tomber dans les bras… Allez, on s’accroche… »
  Au loin, la BMW roule vers nous tous phares allumés, avec une trajectoire aussi rectiligne que la ligne blanche qu’elle chevauche. On allume le gyrophare et on accélère. A notre vue, la voiture tourne brusquement sur sa droite, et quand nous arrivons au carrefour, c’est pour la découvrir bien calée contre un feu rouge, avec ses deux phares qui louchent vers le sol, et le klaxon qui glapit tristement. Deux hommes ont réussi à s’en extraire. Mes deux collègues partent à leur poursuite dans des directions opposées. Je m’occupe du dernier passager, une jeune fille dont l’os du bras a eu moins de résistance que le matériel de voirie, et qui ne me fera pas courir. Elle n’est pas armée. Elle m’explique qu’elle a été prise en stop par les deux autres, mais un simple coup d’œil au contenu de son sac m’indique que son imagination ne carbure pas à l’adrénaline. Vu la quantité de biffetons et de bijoux qu’elle a dans sa besace, je menotte sa main valide à la poignée de la voiture, en même temps que je jette un coup d’œil dans le coffre qui s’est entrouvert avec le choc. Tout le produit du braquage est bien là… Un autre véhicule de police arrive en renfort en même temps que mes deux collègues qui reviennent essoufflés et bredouilles. Un des hommes a réussi un sprint jusqu’à la gare, et a sauté dans un train en partance vers la Seine-Saint-Denis. Retour à l’envoyeur, on transmet aussitôt l’information et le signalement. L’autre s’est volatilisé entre deux immeubles. Et la fille continue de clamer sa douleur, son innocence, l’ignominie d’un menottage sur personne mourante et tout un tas de plaintes amusantes, jusqu’à l’arrivée des pompiers qu’elle se met à insulter aussi. D’autres collègues arrivent ainsi qu’un OPJ, et nous nous chargeons de l’enquête de voisinage pour retrouver le dernier de la bande.
  On demande à tous les badauds, restés sur place pour faire des victimes innocentes au cas où ça aurait défouraillé. Personne ne l’a vu. On visite les caves, on sonne chez tout le monde, à tous les étages des deux immeubles. Personne non plus. On repasse encore, en s’échangeant les cages d’escalier pour faire comme si on n’était pas encore passés. Toujours rien.
  Les autres collègues décident de partir, ironisant sur notre insistance.
  « Mais il s’est barré votre type ! Il est chez lui là, il écoute les infos régionales et il rigole !
  - Impossible. Il est rentré et il n’est pas ressorti de là.
  - Mais ça fait deux heures que vous ratissez ! Deux heures ! Les égouts, vous y avez pensé ? »
  On avait tous les trois le même sentiment que l’affaire n’était pas finie. On n’arrivait pas à partir de cet endroit. La voiture était toujours là, enlacée au feu rouge et sous bonne garde. Sur la banquette, à la place du disparu sans trace ni indice, il y avait un pull en laine.
  « Les chiens ! Les chiens !
  - Quoi les chiens ?
  - Il faut demander aux chiens de venir, on ne sait jamais.
  - Ok, j’appelle les chiens et après on tente un dernier recours avec Jacques Pradel. »
  Le véhicule des maîtres-chiens ne patrouillait pas très loin. Arrivés sur place, ils font descendre un gros malinois qui s’ébroue avec bonheur avant de s’asseoir devant son maître et de le regarder d’un œil vif et impatient.
  « Alors papa ? on fait quoi là ?
  - Tiens Toto, sens-moi ce tricot et trouve une odeur qui lui ressemble dans le coin.
  - C’est comme si c’était fait, le cent pour cent laine ovine, c’est tenace ou je ne m’y connais pas.
  - Va-z-y mon chien, t’auras ton gâteau.
  - J’y compte bien. Suivez-moi. »
  Et le chien part en galopant et sans hésiter vers un des immeubles, et nous entraîne à sa suite jusqu’au dernier étage. L’air satisfait, il se couche sur le paillasson d’un des deux logements du palier.
  « C’est ici ! »
  On sonne à la porte.
  « Bonsoir Monsieur, excusez-nous de vous déranger à une heure tardive, mais voyez-vous, il y a eu un bête accident de la circulation en bas de chez vous, et nous recherchons le propriétaire de la voiture qui a oublié ses clés sur le contact. C’est un grand type brun, avec un pantalon noir et un polo blanc. Ça ne vous dit rien ? Pas vu ? Il ne serait pas passé devant votre porte ou votre fenêtre par hasard ?
  - Oh non, je n’ai rien vu rien entendu. Je suis un retraité sans histoire, je ne me mêle de rien, moi. Vous m’excuserez, mais j’ai un yaourt sur le feu. Au revoir. »
  Le vieux n’a rien vu, et le chien qui nous regarde de travers fait l’objet de toutes les muettes intentions de mise au chômage de son maître. On redescend l’escalier en silence, et on rejoint les voitures.
  « Bon, on va la refaire. Toto, pour la dernière fois, pour mon amour-propre et pour le tien, mets ta truffe en mode malinois malin, et respire à fond dans ce pull. Et trouve-moi le type qui était dedans y’a deux heures !
  - C’est pas la confiance qui t’étouffe, papa… »
  Et le chien repart en gambadant jusqu’à l’immeuble, jusqu’au dernier étage, jusqu’au même paillasson sur lequel il s’assoit et nous regarde d’un air goguenard en nous tirant la langue.
  On sonne à nouveau à la porte.
  « Bonsoir monsieur, c’est encore nous. Heu… Vous êtes sûr que… Hé ! C’est à vous ce sac de sport, là ? »
  Un doute terrible nous envahit. Le brave et honnête retraité n’a pas le physique d’athlète qui colle avec l’écusson boxe thaïlandaise cousu sur le sac posé juste derrière lui dans l’entrée.
  « Monsieur, il faut tout nous dire maintenant. Le chien ici présent est une machine de guerre qui n’attend pas les ordres d’un OPJ pour opérer des perquisitions illégales. Autant vous le dire, il est très mal dressé mais ce soir on n’avait que lui. Pas de chance. »
  Le brave homme sans soupçon avait vendu son silence et son hospitalité au braqueur, moyennant une partie du butin. Ils dînaient tous les deux attendant simplement qu’on dégage de là.
  « Alors ? Hein ? Qu’est-ce que je vous disais ?
  - Toto, je t’en prie ! Un peu de modestie, que diable. »

texte extrait de Police Mon Amour

Bénédicte Desforges

#chroniques d'un flic ordinaire

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