Police, drogue, Kassovitz, et là c’est le drame !
29 Décembre 2017
Acte 1
• Le décor : l’hôpital Saint-Jacques de Rézé (44) qui comprend entre autres services, ceux de psychiatrie et d’addictologie.
• Le scénario :
- Septembre : un trafic a lieu au sein de l’hôpital, d’après le personnel soignant il s’agit essentiellement de cannabis mais aussi de Subutex (traitement de substitution aux opiacés)... prescrit en addictologie soit dit en passant.
- Novembre : une agression à l’arme blanche est commise par un patient sur un autre malade, rien ne la relie toutefois au trafic dénoncé. L’auteur et la victime quittent le service de psychiatrie, l’un pour la garde à vue, l’autre la réanimation.
- La direction de l’hôpital souhaiterait l'aide de la police pour régler cette affaire de trafic. La police n’est pas favorable à intervenir dans l’enceinte de l’hôpital (les interventions dans certains établissements sont soumises à des règles très strictes). Le directeur départemental de la sécurité publique indique que les patrouilles sont renforcées dans le secteur mais que la police ne peut pas se substituer à la sécurité interne de l’hôpital.
"Cela fait des années que cela dure et tout le monde se renvoie la balle" s’énerve le délégué CFDT du CHU de Nantes.
- Finalement, sur réquisition de la direction du CHU et du procureur de la République la police mène une "opération de sécurisation et de recherche de stupéfiants" le 21 décembre.
- Bilan : 7 grammes de shit et un tweet pour le moins surréaliste.
Dans un premier temps, je me suis dit qu’il fallait interner les flics dans les lieux mêmes de leur intervention et mettre le rédacteur du tweet dans une chemise qui s’attache dans le dos avec les manches.
Parce que claironner qu’on a débarqué à 24 flicards et deux chiens stups, qu’on a trouvé une boulette de 7g de shit dans la piaule d’un malade, et que tout ça résulte d'une belle collaboration avec le CHU, il faut quand même le faire.
Ceci dit, tout est possible, mais bon, on aime croire que non.
Et il y a le petit clébard qui m’a mis la puce à l’oreille. Ce petit chien-là :
Un vrai foutage de gueule ce petit chien stups. Le truc de trop. Comme le reste ?
Hypothèse... N’y a-t-il pas une lecture subliminale à faire de ce tweet, un autre sens à lire entre les lignes ? jusqu’à cette "belle collaboration" ?
Après avoir longtemps insisté pour avoir le concours de la police, le CHU a obtenu gain de cause (réquisition de la direction du CHU et du proc) et l’opération a eu lieu. Et elle n’est donc pas de l’initiative de la police. Ça n’a rien donné (sans vouloir froisser les prohibitionnistes, on va dire que 7g de shit c’est rien). Peut-être que les uns et surtout les autres s’attendaient à une saisie significative. Saisie qui aurait permis au CHU de justifier ses sollicitations d'intervention, et peut-être s'assurer d'un dispositif pour la suite. Parce qu’à présent, ça va être un peu plus compliqué de faire tenir la thèse d’un grand marché de la drogue qui ne peut pas être réglé par les effectifs de la sécurité de l’hôpital, et mobiliser la police suite à ce fiasco.
Mon hypothèse est donc que cette communication désastreuse repose sur un tweet volontairement outrancier et cynique, et que les flics ont été les premiers à se dire Tout ça pour ça, une saisie de 7 grammes de shit, la consommation personnelle d’un seul et unique patient, c'est tout de même minable... Et qu’ils se font un petit plaisir, certes ambigu, de tacler le CHU de Nantes qui souhaitait cette "belle collaboration", qui est passé en force avec le procureur de la République, et à qui s'adresse le tweet.
Va savoir…
Je ne sais même pas si on peut mettre cette affaire dans la liste des échecs de la guerre à la drogue, parce que pour ça encore faut-il qu’il y ait de la drogue...
Mais c’est toutefois une démonstration supplémentaire indiquant qu’il y a urgence à revoir la loi de 1970 qui réprime l’usage de drogues, et accessoirement considérer les vertus thérapeutiques du cannabis, déjà en pharmacie dans plusieurs pays.
Quelques explications là : La dépénalisation pour les nuls
Acte 2
• Le décor : Les réseaux sociaux.
• Le scenario :
- Le tweet est lu et pas approuvé du tout. Ça se passe dans un hôpital, il y a des chiens dans les chambres des malades, effectivement c’est brutal. La disproportion entre moyens mis en œuvre et résultat choque, et il y a de quoi.
Tout le monde s’énerve, et il se passe de façon très prévisible ce qui constitue l’essentiel des échanges sur les réseaux sociaux : insultes et invectives.
- Mathieu Kassovitz n’est pas le seul, loin de là, mais il se distingue parce qu’il est Mathieu Kassovitz.
Mathieu Kassovitz n’aime pas les flics et les flics n’aiment pas Mathieu Kassovitz.
Je ne connais pas l'origine de ce désamour, et je dois reconnaître que ça m'indiffère complètement.
- Et voilà que la tragédie prend de l’ampleur.
Sur les réseaux sociaux, on passe vite à autre chose, l’essentiel est de pouvoir gueuler en utilisant le minimum de matière grise disponible.
On ne parle plus que de ça, et plus du tout des tenants et aboutissants de cette opération anti-drogue. Et encore moins des incohérences de la législation.
Non non, le sujet est Mathieu Kassovitz, ses tweets, et les plaintes qui ont été déposées contre lui. Et vas-y que ça disserte sur la définition de l’outrage, l’insulte, l’injure, l’écrit répréhensible, etc. Tout le monde y va de sa petite contribution.
L’idiot regarde le doigt quand on lui montre la lune ?
Les réseaux sociaux sont un immense cloaque, un magma numérique puant, un brouhaha dégueulasse. Quand il en émerge une initiative, un mouvement collectif, quand ça fédère autre chose que la haine, que ça n’appelle pas au lynchage numérique pour un oui pour un non, ça tient du miracle.
Je n’aime pas la plupart des pages et groupes de flics. Ces espaces clones qui empilent les faits divers crasseux et ne parlent jamais de ce qui est utile ou positif, qui accueillent sans scrupules toutes les déclinaisons de la détestation, à croire que c’est fait pour. Ça se plaint d’avoir un devoir de réserve, et ça n’en a aucune quand il s’agit de s’exprimer sur un réseau social. Au mépris de l’image d’une profession qui n’a de cesse de se plaindre d’un manque de considération à son égard, c'est paradoxal. On dira que c’est l’expression de l’opinion, que c’est une "liberté", soit. Gaffe quand même, les mots ont un sens.
Jusqu’ici tout va bien. Mais l'important n'est pas la chute, c'est l'atterrissage.
Voilà plus de 48 heures que Mathieu Kassovitz s’en prend plein la gueule, en flux continu sur le réseau social flic dans son ensemble, au point que son "Bande de batards" peut être relégué au rang du piaillement inaudible et insignifiant.
Après l’inévitable bobo-gaucho-collabo-toxico, tout y passe. Les insultes, raclure, fils de pute, sac à merde sans couilles, enculé, mérite une balle dans la tête, suceur de racailles, aussi pourri que X le bougnoule, les menaces, on sait où t’habites, ne pas se presser pour intervenir chez lui au cas où, sur son physique, gueule de camé, tête de fion, son métier, cinéaste raté, ses origines juives, etc. Par centaines...
Le tout étant tout ce qu’il y a de plus public et accessible.
C’est tout de même surprenant de reprocher les écarts langagiers d’autrui quand on fait ou laisse faire dix fois pire, cent fois plus ordurier, non ?
Ce qui est plus ennuyeux, c’est que ces espaces en free-style constituent pour quiconque, curieux ou intéressé, un accès direct aux échanges avec des fonctionnaires de police, et qu’on a vite fait de penser qu’ils y sont représentatifs. Que la police peut se résumer à ces grotesques cohortes d’anonymes pseudos éructants et agressifs, déguisés en templier ou en Dirty Harry, et qui se satisfont du renfort dans le même état d’esprit, de groupies en pâmoison devant les uniformes, de "fans" des forces de l’ordre et des armes, de nostalgiques des guerres coloniales et des croisades, et autres débiles bruyants.
Tout ça pour dire qu’à ce jeu-là, Mathieu Kassovitz a une concurrence très sérieuse. Et que si son propos n'est pas fin et d'autant plus blessant que cette bande de bons à rien - qui a certes commis un tweet incompréhensible - n'a rien décidé de cette opération, les réactions idiotement corporatistes qu'il a suscitées gagnent haut la main la bataille de l'abjection.