10 Février 2021
Lettre ouverte aux députés et au gouvernement
Sur la route, tout comportement susceptible d’exposer la sécurité d’autrui, des passagers de son véhicule, et de soi-même, constitue une infraction prévue par le Code de la route. Parmi ces infractions sévèrement punies : la consommation de substances psychoactives.
La première concernée est l’alcool. La loi prévoit une tolérance non nulle et mesurable, au-delà de laquelle le conducteur est réputé avoir conduit sous l'empire d'un état alcoolique, son état de conscience étant altéré et incompatible avec la conduite.
La formulation de la loi concernant les stupéfiants est très différente, puisqu’il s’agit de savoir si le conducteur a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants, et non pas de déterminer s’il est sous emprise.
En France, les contrôles routiers peuvent se faire de façon inopinée, c'est-à-dire qu’il n’est nul besoin de constater une conduite dangereuse, ou d’apporter la preuve d’un comportement incompatible avec la conduite.
Le test salivaire, dispositif de détection des stupéfiants, pose un problème avéré avec le cannabis. Le THC, principe actif, et le THC-COOH, forme inerte de sa dégradation, ont une persistance dans le corps, bien au-delà des effets de l’ivresse cannabique.
A contrario de l’alcool dont les traces s’estompent à mesure que se dissipent ses effets.
L’imprégnation du cannabis comporte beaucoup de variables : elle est entre autres, fonction de la fréquence de l’usage, du métabolisme et de la corpulence de l’usager, elle peut même se manifester sous forme de cannabisme passif.
De nombreuses études attestent qu’il est impossible d’établir une corrélation entre le taux de THC et de ses métabolites dans les fluides corporels, et la capacité à conduire, et concluent à la non-validité de ces analyses d’imprégnation cannabique. [1]
Nous, policiers, estimons qu’il est nécessaire, pour qu’elles soient efficientes et intelligibles pour les contrevenants, que les lois que nous appliquons soient justes et équitables.
L’usage de stupéfiants est un délit, soit. Mais c’est en flagrant délit que la répression s’applique.
La conduite après usage de stupéfiants telle que définie par la loi n’a rien du flagrant délit quand un test salivaire ou sanguin a détecté un métabolite dégradé et inactif du cannabis. Et donc que le conducteur a pu consommer plusieurs jours ou semaines avant son interpellation, et sera injustement pénalisé.
Ce n’est ni plus ni moins qu’une extension abusive de la répression du délit d’usage, une sorte de court-circuit destiné à le sanctionner hors flagrance.
Nous sommes très attentifs à tout ce qui améliore la sécurité routière, et il ne s’agit pas là de nier le danger de la consommation de produits susceptibles d’altérer les fonctions motrices et cognitives d’un conducteur. Ni de prétendre que le cannabis n’est pas dangereux derrière un volant : il l’est.
Nous estimons que le test salivaire est inadapté, et qu’il convient de le remplacer, à l’instar de beaucoup de pays, par un test comportemental visant à déterminer tout à fait concrètement l’aptitude à conduire.
Un test comportemental consiste en une batterie de vérifications que l’agent interpellateur effectue en quelques minutes sur le lieu du contrôle en cochant ou non les cases d’une check-list. Cette liste recense des points tels que comportement, démarche, coordination des mouvements, observation du visage, élocution.
Si rien de particulier n’est relevé, le contrôle routier est terminé. Si le nombre de cases cochées matérialise un doute, un test salivaire est alors effectué.
Un tel test présente l’avantage de la cohérence : c’est bien l’altération de la capacité à conduire qui est recherchée.
Un autre atout d’un tel dispositif serait la possibilité d’identifier les conducteurs qui ont pris le volant sous l’effet de médicaments rendant la conduite dangereuse. Les Français sont nombreux à consommer des benzodiazépines, psychotropes dépresseurs incompatibles avec la conduite, et aucun test ne détecte ces molécules. Il faut qu’il y ait un accident grave et que les assurances s’en mêlent pour que des analyses attestent de leur présence.
Les tests comportementaux sont donc adaptés à toutes les substances compromettant la sécurité routière. Ils ne requièrent aucun matériel, juste l’attention des forces de l’ordre formées à cette pratique.
En Europe [2] [3], en Amérique du nord [4] [5], un grand nombre d’États ont adopté ces tests comportementaux, les estimant plus adaptés et fiables que les tests salivaires, qui en outre présentent un nombre de « faux positifs » non négligeable, et très pénalisants.
Parce que l’efficacité et l’équité devraient présider à l’élaboration de la loi, et ne laisser place ni à l’arbitraire, ni au dogmatisme, la sécurité routière ne peut être le prétexte d’une politique de contrôle et de sanction des usagers de drogues quand la mise en danger d’autrui n’existe pas.
Le collectif Police Contre la Prohibition vous demande :
- La mise en place de tests comportementaux et de réflexes en lieu, place et préalable du test salivaire,
- La réécriture de la loi, qui viserait la conduite « sous emprise » - et non « ayant fait usage » - de produits stupéfiants ou de toute autre substance psychoactive incompatible avec la conduite.
Le collectif Police Contre la Prohibition
Paris, le 11 février 2020
Références :
[1] Michigan: Status of medical and recreational marihuana laws and driving per se limits
(étude la plus récente et complète ayant été faite à ce sujet)
[2] Europe: Legal approaches to drugs and driving - EMCDDA
[3] Belgique : Code de la route - check-list standardisée
[4] Québec : Épreuves de coordination des mouvements
[5] USA - SFST : Standardized Field Sobriety Tests